LA SANTE EN LIBRAIRIE
J EAN-JOSEPH JULAUD aurait bien un peu hésité entre études de médecine et études littéraires, et s'il a finalement opté pour l'enseignement de la littérature, c'est à condition de le pratiquer en collège.
Il s'accommode mal en effet de cette façon scientifique de la didactique qui a cours au lycée et à l'université, de disséquer la poésie : on ne doit pas pratiquer la vivisection sur la poésie, explique-t-il, sous peine de tuer l'émotion.
Comment peut-on se demander ce que le « locuteur » Rimbaud veut dire à l' « allocutaire », en l'occurrence le malheureux élève, sans enlever une bonne partie du charme du « Bateau ivre » ? Sans ôter à la majorité des « allocutaires » l'envie de lire ledit poème et l'idée même qu'il peut faire du bien ?
Or Jean-Joseph Julaud sait, par expérience, que lorsqu'on lit un poème de Baudelaire, de Verlaine, de Rimbaud ou de Racine, pour ne citer que quatre poètes particulièrement chers à son cur, « on se sent mieux, on est guéri », même si on ne sait pas toujours de quoi. S'étant habitué à aller lire (ou réciter) des poèmes dans le petit bois derrière chez lui, ayant constaté combien cette pratique lui faisait de bien, il s'est dit que d'autres pourraient en profiter et s'est donc attelé, dictionnaire des symptômes en main, à la rédaction d'un ouvrage de poésiethérapie.
Une dimension jubilatoire
Comment, pourtant, reconduire le lecteur vers cette poésie dont l'école l'a trop souvent éloigné, voire dégoûté ? L'humour lui est apparu comme le meilleur moyen de retour à la poésie. Certes, il y a un peu de provocation dans l'appel à Charles Péguy pour traiter la constipation, ou dans la lecture tout à fait particulière, à l'intention des éjaculateurs précoces, du combat contre les Mores du Cid de Corneille. Mais, comme le souligne Jean-Joseph Julaud, on a complètement perdu la dimension un peu rabelaisienne, jubilatoire, de la poésie. Combien d'anciens écoliers savent que Corneille, « fieffé coquin », a truffé ses vers de jeux de mots, de montages cachant des double sens ? Le plus connu d'entre eux est sans doute le fameux passage de « Polyeucte » : « Plus le désir s'accroît, Plus l'effet se recule », mais c'est loin d'être le seul.
Accessible grâce à l'humour, la poésie peut jouer un rôle de catharsis, d'exutoire qui ne soit pas tout à fait seulement de l'ordre de la plaisanterie. Du reste, si à la lecture des poèmes, on y ajoute l'apprentissage, il est bien possible que le travail de mémoire ainsi réalisé prémunisse contre certains maux.
Les mots contre la douleur
Jean-Joseph Julaud, convaincu de l'efficacité des prescriptions de poésiethérapie, n'a-t-il pas été récemment sollicité par un déprimé ayant entendu parler de son livre et lui demandant conseil ? N'a-t-il pas eu confirmation du fait qu'un homme, dont le mal était de ne rire jamais, avait ri en lisant son livre ?
Qui peut affirmer que « l'effervescence des mots » du poème de Baudelaire « Recueillement » (le fameux : « Sois sage, ô ma douleur... »), bien amenée, fasse aussi bien qu'acide acétylsalicylique ou paracétamol ? Ou que François Villon ait des mots plus convaincants pour freiner certains appétits féroces, que les traités de nutrition les plus savants ?
On ne saurait cependant se passer, pour plus d'efficacité, des mots de Jean-Joseph Julaud, fort habile à présenter le mal qui correspond à chaque remède-poésie, dans un style humoristico-poétique qui n'est pas précisément celui des questions d'internat, mais qui sait en utiliser les mots techniques. Laissons-le, par exemple, avertir ceux qui ne prennent pas attention à leur cur : « Méfiez-vous donc, lorsque vous êtes farci de soucis, de problèmes, de tracas, le mauvais sang sécrète des acides gras, les artères se bouchent. Le myocarde pompe, pompe à tour de bras, mais bientôt plus rien ne vient. Alors, il ferme ses oreillettes, vide ses ventricules... » Et au bout de quelques paragraphes, Verlaine s'impose avec son poème « Nevermore », strophes de soutien, d'encouragement, à son « pauvre cur », son « vieux complice ». Phèdre viendra ainsi au secours des « risques de la ménopause », Georges Chennevière au secours des allergiques, Baudelaire au secours des migraineux ou des agueusiques, Aragon viendra à bout des « oculopathies » - eh, oui, il faut bien un peu d'invention aussi -, avec les yeux d'Elsa, le daltonisme restant le domaine de Paul Eluard et la goutte celui de Ronsard.
A sa présentation diagnostique tout à fait personnelle, au poème-remède correspondant au mal en cause, Jean-Joseph Julaud ajoute en fin de chaque chapitre un petit encadré intitulé « Notre conseil », pirouette de dernière minute qui interdit au lecteur tout plongeon intempestif dans le sérieux. On s'en doute, jamais Jean-Joseph Julaud n'a eu pour intention de se substituer aux médecins : heureusement qu'ils sont là, s'exclame-t-il. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'a mis que deux mois pour rédiger ce livre ; sans doute son inconscient avait-il effectué un travail préalable conséquent, ajoute-t-il aussitôt, prêt à continuer si l'occasion se présentait.
« Ça ne va pas ? - Manuel de poésithérapie », Jean-Joseph Julaud, Le Cherche-Midi éditeur, 213 pages, 95 F (14,48 euros).
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