« Ha certes ! Si enflammé que je fusse à galoper en ce mois de juin avec mon gentil frère Samson et notre valet Miroul par les montées et les dévalades des grands chemins de France, cependant j’avais, par bouffées, le cœur mordu de laisser si loin derrière moi la baronnie de Mespech. »
Nous sommes en 1566. Pierre de Siorac a 15 ans. Dans « Fortune de France », le premier tome de la saga éponyme, Robert Merle a conté les premières années de ce cadet de petite noblesse, né d’un père huguenot frais converti et d’une mère catholique tôt disparue.
Le deuxième volet, qui nous intéresse ici, le voit quitter le château paternel pour Montpellier où il s’en va étudier la médecine.
À l’école de Montpellier, la plus moderne de l’époque à en croire le père de Siorac (« il tenait que son collège de médecine (…) passait tous les autres, Paris compris, par l’audace, la variété, et les nouveautés de son enseignement »), la marque de François Rabelais, qui y fut professeur en 1530, reste forte.
« Il a une belle couille. Mais molle. »
Ainsi le jeune étudiant raconte-t-il sa cérémonie d’admission. Les aspirants doivent un par un promettre de respecter les statuts de l’école ; celui qui précède Siorac se lance :
« – Juro. [Un ancien se tourne vers lui] et l’envisageant, dit d’une voix haute et grave :
– Il a une belle couille…
– Mais molle, reprit d’une voix frêle et plaintive le cœur de ses acolytes.
J’eusse gagé que le chancelier allait ici lancer la foudre et les éclairs et réduire ces fols à quia, mais merveille ! Il resta coi comme souche en forêt, l’œil paisible et le sourire serein. Et je sus plus tard que la tradition (à laquelle il ne voulait pas toucher en cette Ecole) voulait que les anciens accueillissent les novices, lors du jurement, par cette gausserie empruntée à l’auteur du Gargantua.
– Pierre de Siorac ! (…)
– Juro ! dis-je en levant la main.
– Il a une belle couille (…).
– Mais molle, reprit le chœur. »
Roman d’histoire (Siorac va être témoin à Montpellier des massacres entre catholiques et protestants), roman d’initiation et roman picaresque, les « Vertes années » décrivent aussi une médecine déjà tiraillée entre ses anciens et ses modernes, le héros se rangeant résolument dans le camp des seconds – ce qui le conduira entre autre à s’en aller « défouir » les enterrés d’un cimetière à fins de dissection.
Diplômé, Pierre de Siorac va monter à Paris où il rencontrera le chirurgien du roi Ambroise Paré, échappera au massacre de la Saint-Barthélémy, deviendra le médecin personnel d’Henri III, fera un peu l'espion pour le compte de son roi, assistera à l’assassinat du duc de Guise… Mais c’est une autre histoire.
Robert Merle, « En nos vertes années », Éditions de Fallois, 1979.
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