Les deux premiers vaccins ayant obtenus un premier feu vert du CHMP ou Comité des médicaments à usage humain (Pandemrix et Focetria) contiennent tous deux des adjuvants tels que les squalènes ou des conservateurs comme le thiomersal. Les sels d’aluminium ont souvent été utilisés, et le recul vis à vis des effets secondaires semble suffisant pour que l’on soit rassuré sur le plan de la tolérance. Qu’en est-il des squalènes et du thiomersal ? On a notamment évoqué une responsabilité éventuelle du squalène dans le syndrome des vétérans américains de la guerre du Golfe. Quant au thiomersal (dont la métabolisation produit de l’éthylmercure), il a été mis en cause dans l’apparition de déficits neuropsychologiques chez l’enfant et d’atteintes rénales chez l’adulte ; par ailleurs, aucune étude n’est disponible quant à l’éventuel impact d’une vaccination sur le fœtus ou la mère... Et les femmes enceintes font partie des personnes à vacciner en priorité.
Le généraliste. Pourriez-vous nos éclairer et ?à ce suj
Pr Henri Agut. Les adjuvants ont été souvent contestés, à un moment ou à un autre, y compris les sels d’aluminium. Les squalènes ont été incriminés dans le syndrome de la guerre du Golfe mais aucune donnée pertinente (c'est-à-dire une corrélation entre la réactivité clinique ou immunitaire vis-à-vis des squalènes et les signes cliniques du syndrome) n’a été publiée. Nous bénéficions d’une large expérience sur ces adjuvants qui ont déjà été utilisés pour un vaccin grippal dirigé contre la grippe saisonnière et administré à des millions de personnes. Quant au thiomersal, ce conservateur est systématiquement ajouté dans les préparations vaccinales multidoses. Il a été effectivement été incriminé dans les déficits neuropsychologiques chez l’enfant et dans l’autisme, mais aucune étude validée ne l’a démontré. Aucune donnée n’est effectivement disponible actuellement concernant la femme enceinte ; cependant, le thiomersal est utilisé de très longue date. Il est très probable qu’il y a eu des expositions à ce produit pendant la grossesse sans qu’il y ait eu une mention explicite d’une quelconque toxicité. En tout état de cause, le bénéfice vaccinal est probablement très supérieur au risque, la grossesse étant un facteur aggravant lors de la survenue d’une grippe, comme cela a été, dans ce cas, parfaitement démontré.
Des vaccins sans adjuvants sont également en cours de développement, et l’un d’eux, le Celvapan, vient d’être agréé. A qui seront-ils réservés ? Doit-on dire par exemple aux femmes enceintes d’attendre leurs AMM et mise à disposition ? Quels vaccins proposera-t-on au personnel médical ? A-t-on une idée de la future organisation de la campagne, notamment de la façon dont les personnes seront convoquées par rapport à cette « différenciation » ?
Pr Henri Agut. Les vaccins sans adjuvant ne peuvent effectivement être exposés aux critiques concernant les adjuvants, critiques peu fondées comme on l’a vu ci-dessous, mais qui peuvent inciter les autorités sanitaires à faire une application extrême du principe de précaution. Le risque est bien sûr d’attendre trop longtemps pour la vaccination si la disponibilité de ces vaccins sans adjuvant est limitée ou retardée, et d’être victime d’une infection grippale avec les risques afférents. Pour le personnel de santé, par définition très exposé dès le début de l’épidémie, le risque d’être vacciné trop tard est certainement encore plus grand. Les modalités précises de l’organisation de la campagne de vaccination contre le virus pandémique ne sont pas encore définies à ma connaissance, la priorité du moment étant la vaccination contre la grippe saisonnière.
Pr Eric Caumes. Je n’ai pas d’idée précise quant à la future organisation de la campagne, mais le personnel médical devrait être l’une des populations ciblées en priorité, à vacciner avec les premiers vaccins arrivés. Les femmes enceintes recevront en principe le vaccin sans adjuvant, mais ne doivent pas pour autant attendre trop longtemps. L’application jusqu’au boutiste du principe de précaution montre là ces limites : si c’était le cas, la plupart des femmes enceintes seraient exposées au virus de la grippe, avant l’arrivée de « leur » vaccin, avec un risque plus élevé de formes graves.
L’éventuelle survenue d’un syndrome de Guillain Barré est l’autre grande crainte des médecins généralistes ; que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Pr Henri Agut. Le syndrome de Guillain-Barré est une atteinte démyélinisante aiguë des nerfs périphériques, potentiellement grave mais rare. Elle résulte probablement d’une stimulation anormale du système immunitaire, à l’occasion d’un épisode infectieux (dont la grippe !!), souvent retrouvé quelques semaines avant l’apparition de la maladie ou, dans une moindre mesure, d’une vaccination. En 1976, un vaccin élaboré en hâte contre la grippe porcine du moment paraît avoir provoqué plusieurs cas de syndrome de Guillain-Barré aux Etats-Unis mais l’association de cette maladie à la vaccination contre la grippe saisonnière n’a pas été démontrée dans la très grande majorité des études réalisées.
Pr Eric Caumes. Cette crainte repose sur une histoire ancienne. Les Américains ont déjà eu affaire, en 1976, à une épidémie de virus « porcin » A/H1N1. Dans l’attente d’une épidémie plus importante (qui n’est jamais venue), ils ont vacciné des dizaines de milliers de volontaires avec le candidat vaccin. Un syndrome de Guillain Barré fut alors observé chez environ 500 personnes (8,8 cas/million de vaccinés vs 1 cas/million de personnes non vaccinées), avec 25 décès. Or l’épidémie de grippe A/H1N1, restée finalement limitée à Fort Dix, aux USA, a finalement seulement touché 230 soldats et fait un seul mort. Ces résultats ont été ensuite rediscutés, l’incidence générale des Guillain Barré ré-haussée et celle des cas imputés à la vaccination abaissée, si bien que le risque relatif s’en est réduit d’autant, la différence devenant plus ou moins significative selon les études. Ceci ne devrait pas se reproduire ici, les adjuvants utilisés étant classiques et déjà utilisés pour d’autres vaccins.
Les études semblent monter qu’une seule dose de vaccin suffirait ; qu’en pensez-vous ?
Pr Henri Agut. Il semble en effet, d’après les études immunologiques, que la réponse immunitaire obtenue après une seule dose du nouveau vaccin soit suffisante pour induire la protection contre le virus pandémique, comme c’est le cas actuellement pour le vaccin contre la grippe saisonnière.
Pourquoi est-il si important pour nos confrères de se faire vacciner ? Bon nombre ont déjà en contact de malades grippés A(H1N1)v ; n’ont-ils déjà pas fabriqués des anticorps ?
Pr Henri Agut. Le vaccin antigrippal est un vaccin administré au bénéfice du médecin vacciné (prévention de la maladie) et au bénéfice de son entourage et de ses malades (prévention de la transmission du virus). Le virus A(H1N1)v a relativement peu circulé en France (beaucoup de diagnostics par excès ont été faits et le sont encore actuellement) ; les médecins, on peut l’espérer du moins, ont cherché à éviter d’être contaminés. Compter sur une immunité de « masse » de la population médicale à ce stade précoce de l’épidémie est illusoire et expose à des déconvenues.
Pr Eric Caumes. La vaccination n’est pas seulement à bénéfice individuel, elle est aussi à bénéfice collectif. C’est un vaccin altruiste. En tant qu’acteur de soins, nous avons un double devoir : 1) ne pas contaminer nos patients, 2) rester en bonne santé pour pouvoir aider nos patients quand ils auront besoin de nous. De plus nous devons donner l’exemple en la matière. Je crois que peu de médecins ont été confrontés à ce virus de la grippe. Initialement, ils n’étaient pas en première ligne, la plupart des cas étant aiguillés vers des services référents (ou on été alors diagnostiqués des angines, des bronchites voire des infections urinaires ou du paludisme). Et à l’heure actuelle, le virus grippal A/H1N1 variant mexicain circule apparemment très peu. Il ne faut donc pas qu’ils se fassent trop d’illusions ; très peu sont immunisés contre ce virus là.
Que peut-on dire à nos confrères pour qu’ils n’aient plus peur du vaccin ?
Pr Henri Agut. Il faut considérer le vaccin contre la grippe pandémique de la même façon que le vaccin contre la grippe saisonnière (qui est préparé de la même manière, à la question des adjuvants près) et se souvenir que le nombre de personnes susceptibles de développer une infection lors d’une pandémie de plusieurs semaines est probablement très grand, avec les risques correspondants d’exposition au virus et de formes graves.
Pr Eric Caumes. La peur est un sentiment difficile à contrôler, surtout celle de la mort, même pour un soignant face à une maladie transmissible. Je leur dirais avant tout que si le vaccin leur fait plus peur que la grippe, c’est un gros problème : il n’y a aucune raison objective à cela. Même si cette grippe n’apparaît pas plus grave que la grippe saisonnière, elle reste une grippe : les morts existent, même sans facteurs de risque. Il y a, de mon point de vue, une obligation éthique pour les médecins de se vacciner contre la grippe, comme chaque année.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature