« Nous avons vécu une catastrophe humanitaire. » Les mots du Dr Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUHF) ont, selon leur propre auteur, « tout leur sens ». Système d'alerte et de prévention défaillant, moyens insuffisants pour faire face à des besoins exceptionnels, mobilisation trop tardive... Les raisons de cette crise semblent plus ou moins identifiées. « Ce qui s'est passé a sidéré tout le monde », assure Patrick Pelloux. « Même si nous, urgentistes, avons passé notre temps à dénoncer le manque chronique de moyens, nous venons de connaître une crise dont les conséquences sont effrayantes. La situation a pris très rapidement une tournure dramatique. On n'avait jamais vu cela et on ne l'aurait même pas imaginé dans les pires scénarios catastrophes. »
Durant la « semaine noire » à Paris, aucun lit n'était disponible en service de réanimation. A Orléans, dès le mercredi 6 août, quinze lits ont été rouverts et des infirmiers et des médecins militaires volontaires sont arrivés à la rescousse. Bilan provisoire aujourd'hui : trente malades par jour (il y en a eu 140 au lieu des 113 patients hospitalisés en moyenne sur la même période). « Et nous continuons à en recevoir encore à cause des suites de cette canicule », précise le Dr Patrick Martin, responsable du département de médecine d'urgence à Orléans. Même constat sur l'augmentation du nombre de décès.
Les personnes âgées auront été les premières victimes de la canicule, mais il ne faut pas tomber dans la caricature, estime Patrick Pelloux. « Il s'agissait avant tout de malades, et notamment beaucoup de personnes handicapées ou bien de malades chroniques comme les insuffisants cardiaques dont les médecins traitants sont partis en vacances sans se faire remplacer. »
Créer une discipline universitaire de médecine d'urgence
Le président de l'AMUHF se dit satisfait de l'intervention du président de la République. Du moins, parce que c'est la première fois que Jacques Chirac s'exprime sur le problème des urgences et en fait l'une de ses priorités. « Mais il faudra songer à la création d'une discipline universitaire de médecine d'urgence, par et pour les urgentistes et non par des universitaires frustrés qui sortent des chapeaux pour assouvir leur fantasme de pouvoir. Cette profession ne doit pas être marquée par des gens qui ne la reconnaissaient même pas il y a quelques années. »
L'heure est aux bilans. Le Dr Martin rédige un rapport sur la crise traversée par la région d'Orléans. « Je crois que le public a pris conscience de la rigidité du fonctionnement des hôpitaux, due à la gestion financière de la Santé depuis une quinzaine d'années. Les directeurs d'hôpitaux raisonnent désormais en fonction des taux d'occupation de leurs établissements. Les hôpitaux doivent être optimisés à 100 %. On se cale sur les statistiques et on ne sait plus gérer les afflux. Le système hospitalier est trop rigide, il n'est plus adapté à la demande. » Une réflexion au niveau local est engagée, par exemple sur une liste d'infirmiers que l'on pourrait solliciter à la demande. « Ça fait partie du métier d'urgentiste de s'adapter à la demande. »
Une question de solidarité
D'après le Dr Pelloux, les effectifs médicaux doivent être renforcés à 40 %. Le vide social doit également être comblé, selon le Dr Martin. « Les vieilles personnes qui disposaient de deux aides familiales avant l'été n'en avaient plus qu'une à leur disposition au mois d'août. Donc, l'hôpital restait la seule solution. On devrait disposer de structures à géométrie variable. »
L'enquête parlementaire, si elle est vraiement ouverte, devrait explorer, selon le Dr Pelloux, des pistes sur le plan sanitaire, économique et social. « Les parlementaires, élus par le peuple, ont accès à beaucoup plus d'informations que les experts. Leurs recherches permettront peut-être d'expliquer pourquoi par exemple deux médecins seulement étaient disponibles sur tout le département des Hauts-de-Seine le week-end du 15 août. »
Pour cet urgentiste, c'est tout le système de prise en charge des seniors qu'il faut revoir. Et cela relève d'une question de solidarité intergénérationnelle dans notre pays. « Nous devons changer notre système de solidarité si nous voulons éviter de tomber dans une société barbare. Dans nos lits, cet été, nous avions certes des personnes de quatre-vingt-dix ans mais aussi leurs enfants, âgés de soixante ans e don qui aurait dû s'occuper d'eux ?Les petits-enfants et arrières-petits-enfants. »
La Commission sur la réforme des urgences devrait se réunir le 28 août. Le Dr Pelloux espère que le compte rendu des travaux sera livré à la fin de septembre.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature