A LA MOINDRE interrogation ou contestation portant sur une prise en charge médicale de détenu reviennent sur le tapis les conditions d'exercice de la médecine derrière les murs des prisons. Ici, il s'agit de patients entravés, là d'un appel au secours mal répercuté ou de souffrance laissée sans réponse. Dans nombre de situations, une plainte somatique ou psychique peut être utilisée comme une porte de sortie vers la liberté. Pour le médecin, le prisonnier, transformé en patient, devient un citoyen à part entière et non plus à part. Le décès d'une femme à la maison d'arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) renvoie à ce débat récurrent sur les soins en milieu pénitentiaire. Mme X., 28 ans, placée en détention provisoire depuis le 26 mai 2007 dans le cadre d'un trafic de cocaïne, est morte, le 20 janvier, 48 heures après son transfert à l'hôpital Saint-Louis de Paris. L'autopsie fait état d'une rupture d'anévrisme. Une enquête judiciaire préliminaire est en cours, enrichie d'une pétition de codétenues de la victime dénonçant des «dysfonctionnements à l'infirmerie», c'est-à-dire à l'unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA). Elles auraient signalé un malaise dans la nuit du 17 au 18 janvier, soit 24 heures avant l'hospitalisation de Mme X.
Des effectifs conformes aux normes.
Interrogé par « le Quotidien », Didier Cazejust, directeur de l'hôpital de Bicêtre (Val-de-Marne, AP-HP), dont dépend l'UCSA, ne voit rien d'anormal à signaler. «Nous investiguons, précise-t-il, et si une mesure corrective devait être prise», en raison de problème à l'UCSA, «nous l'appliquerions». L'unité « fonctionne conformément à la loi du 18janvier 1994» sur la gestion des soins en prison confiée à l'hôpital public. Ainsi, l'UCSA de la maison d'arrêt des femmes de Fresnes (100 détenues), voulue par le législateur, compte actuellement «22,5infirmières, pour des normes fixées à 22, et nous en aurons 25 dans le courant du mois. Il y a aussi 15 généralistes, représentant 7 temps-plein. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ils assurent une présence médicale, à laquelle s'ajoutent deux, trois ou quatre consultations de praticiens dans la journée. Une permanence médicale est par ailleurs assurée les dimanches, jours fériés et nuits. L'unité dispose aussi d'un pharmacien à temps complet et de dix préparateurs en pharmacie». Des consultations de gynécologie sont effectuées, tandis que d'autres spécialités peuvent être amenées à intervenir si besoin.
«L'UCSA, avec son infirmière qui connaît la maison depuis des années, est une petite structure très bien rodée», témoigne le Dr Christiane de Beaurepaire, du service médico-psychologique régional (SMPR), rattaché à l'hôpital Paul-Guiraud, de Villejuif, avec qui elle «travaille main dans la main depuis dix ans»*. «UCSA et SMPR garantissent à la maison d'arrêt des femmes de Fresnes un contrôle de proximité permanent. J'en veux pour preuve, insiste la psychiatre, l'absence de suicide réussi.»
«Au-delà de l'affaire de MmeX., dans laquelle l'enquête judiciaire déterminera la ou les responsabilités en cause, s'il y en a, il est vrai que l'exercice [médical, NDLR] est plus difficile qu'à l'extérieur, en termes de moyens, de prises en charge et de demandes», estime pour sa part le médecin-chef de l'UCSA de la maison d'arrêt pour femmes de Fresnes.
* Le Dr Christiane de Beaurepaire a dirigé le SMPR à Fresnes de 1998 à novembre 2007 et continue d'y faire une vacation d'une demi-journée par semaine, dans le quartier des femmes, avec trois autres confrères et une psychologue à temps plein. En théorie, les 26 SMPR (1986) ont chacun 3,8 psychiatres temps-plein pour 1 600 patients suivis.
Le témoignage du Dr Sylvie Balanger (UCSA de la Santé, Paris)
«Avec la loi de 1994, dès les premières années, nous développions une médecine de qualité. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que l'hôpital public se désinvestit des UCSA. Nous passons au second plan, avec moins de budget et de personnels. La gestion de pôle hospitalier éclaire une telle évolution», explique le Dr Sylvie Balanger, responsable de l'unité fonctionnelle (UCSA de la prison de la Santé à Paris, 500 détenus), du pôle de médecine interne de l'hôpital Cochin. «Du côté pénitentiaire et policier, la priorité n'est plus à la santé des prisonniers. On a de moins en moins d'escorte pénitentiaire pour envoyer un patient en milieu hospitalier. Quant aux forces de l'ordre, j'ai en tête cette toute récente scène, quasi quotidienne: un jeune homme de 21ans, transféré à Cochin pour une hospitalisation, a “signé sa pancarte” [sortie contre avis médical, NDLR] après 48heures, ne pouvant ni recevoir sa mère alors qu'il détenait un permis de visite en règle ni disposer de ses sous-vêtements sans en référer à ses gardiens, contraint par ailleurs de dormir avec la lumière tandis que les médecins devaient demander l'autorisation de rentrer dans sa chambre aux policiers, ces derniers imposant leur présence pendant la visite. Vous pouvez l'écrire, pour moi, qui exerce derrière les murs depuis seize ans, c'est de pire en pire. Et encore, à Cochin, nous ne sommes pas les plus mal lotis.»
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature