Généralités
Un trouble de la personnalité peut, par exemple, rendre la reconnaissance de n'importe quel problème de santé physique ou psychique plus délicat en raison des attitudes des patients. Ces réactions inadaptées peuvent être responsables de réactions dites contre-transférentielles de la part des médecins qui, parfois, aggravent la situation clinique. Enfin, lorsque des troubles mentaux – quels qu'ils soient – surviennent chez une personne ayant un trouble de la personnalité, le pronostic est plus sévère, les complications plus fréquentes et les stratégies thérapeutiques optimales plus complexes.
Définitions
Les troubles de la personnalité se situent entre le fonctionnement psychique normal, étudié par les psychologues, et les troubles mentaux, étudiés et traités par les psychiatres.
Une personnalité peut être considérée comme pathologique lorsqu'elle ne possède pas la souplesse du fonctionnement psychique permettant une adaptation harmonieuse, mais qu'elle revêt, bien au contraire, des caractéristiques rigides, sources de souffrance et d'une inadaptation plus ou moins grave. Selon l'Organisation mondiale de la santé dans sa dixième révision des maladies (CIM-10), les troubles de la personnalité désignent «des modalités de comportement, enracinées et durables consistant en des réactions inflexibles à des situations personnelles et sociales de nature très variée. Elles représentent des déviations extrêmes ou significatives des perceptions, des pensées, des sensations et, particulièrement, des relations avec autrui par rapport à celle d'un individu moyen d'une culture donnée».
Classifications
La classification de l'OMS et la classification américaine des troubles mentaux connue sous le nom de DSM (Manuel diagnostique et Statistique des troubles Mentaux) individualisent les troubles de la personnalité dans un chapitre spécifique. Ces deux classifications sont proches l'une de l'autre. Elles sont d'inspiration médicale, psychiatrique, et elles distinguent plusieurs catégories diagnostiques sous ce vocable.
D'autres classifications des perturbations du fonctionnement psychologique au long cours existent, d'inspiration psychologique, dimensionnelle. Celles-ci font des troubles de la personnalité des variations quantitatives extrêmes de traits de caractère.
Le modèle dimensionnel qui paraît le plus adapté pour décrire des troubles de la personnalité et le plus utile à la thérapeutique est encore discuté.
Les modèles qui font actuellement l'objet des études les plus nombreuses sont les modèles en cinq ou sept facteurs.
Le modèle à cinq facteurs connu sous le nom de Big Five (Costa et McCrae) distingue : le névrosisme (instabilité émotionnelle), l'extraversion, l'ouverture, l'agréabilité et le caractère consciencieux.
Le modèle à sept facteurs de Cloninger distingue sept dimensions principales au sein de la personnalité : quatre dimensions de tempérament, héréditairement transmis en majorité, comprenant la recherche de la nouveauté, l'évitement du danger, la dépendance à la récompense et la persistance et trois dimensions de caractère, acquises lors du développement et comprenant la détermination, la coopération et la transcendance.
Les prochaines classifications (DSM-V et CIM-11) feront vraisemblablement appel à un modèle mixte, catégoriel et dimensionnel, dont des études empiriques auront pu monter l'utilité en clinique. Il existe des correspondances de plus en plus nombreuses établies entre les points de vue catégoriels et dimensionnels dans les études cliniques portant sur la pathologie de la personnalité.
Les principaux types
Les personnalités paranoïaques sont caractérisées par un manque de confiance et une méfiance soupçonneuse et généralisée envers les autres dont les intentions sont systématiquement interprétées comme malveillantes. Elles représentent de 0,5 à 2,5 % de la population générale. Ces personnalités sont souvent hypersensibles, procédurières, revendicatrices et agressives. Leur isolement social est plus ou moins prononcé. Dans certains cas, des épisodes dépressifs et un véritable délire paranoïaque de persécution surviennent au cours de l'évolution.
Les personnalités schizoïdes sont caractérisées par une indifférence affective apparente, une absence ou un faible degré de désir d'entretenir des relations sociales et une limitation de la variété des expressions émotionnelles. Elles sont isolées et semblent ne guère éprouver de plaisir en général.
Les personnalités dyssociales (ou antisociales) se montrent indifférentes, voire méprisantes, envers les droits et les sentiments d'autrui et se livrent de façon répétée à différents actes antisociaux. Elles tolèrent mal les frustrations et ont un abaissement du seuil de décharge de l'agressivité – notamment de la violence – n'éprouvant pas de culpabilité. Elles semblent ne pas tirer d'enseignements des expériences passées – y compris des sanctions éventuelles. Elles représentent environ 3 % de la population générale. Leur biographie est typiquement faite d'actes médico-légaux, de ruptures, d'incarcérations répétées. Les principales complications psychiatriques sont les abus de substances. Les passages à l'acte diminuent en fréquence après l'âge de 40 ans. Il n'est pas exceptionnel qu'alors surviennent des épisodes anxieux ou dépressifs.
Les personnalités émotionnellement labiles comprennent deux formes cliniques distinctes dans la CIM-10 : la personnalité impulsive et la personnalité borderline (ou limite) :
– les personnalités impulsives se caractérisent avant tout par une tendance à agir de façon imprévisible, sans considération apparente pour les conséquences des actes, à se montrer querelleur, surtout lors des frustrations avec des éclats de colère, des violences et surtout une instabilité de l'humeur ;
– les personnalités borderline représentent plus de 2 % de la population générale et environ 20 % des personnes hospitalisées dans les services psychiatriques. Elles ont – outre des caractéristiques impulsives – un trouble de l'identité avec de nombreuses incertitudes et des fluctuations : de l'image de soi, de leurs choix personnels (y compris sexuels) et des valeurs, avec de nombreuses crises émotionnelles, des relations intenses et instables faisant alterner l'idéalisation et la dévalorisation de l'autre, sentiments envahissants de vide et peur massive de l'abandon.
Ces personnalités sont exposées à de très nombreuses complications : tentatives de suicide à répétition, addictions, actes médico-légaux, épisodes anxieux, syndromes dépressifs, etc.
Les personnalités histrioniques, jadis qualifiées de personnalités hystériques, sont perpétuellement en quête de l'attention d'autrui et manifestent volontiers des réponses émotionnelles spectaculaires, excessives, laissant une impression de facticité et de manque d'authenticité. À l'hyperexpressivité émotionnelle et à la dramatisation sont souvent associés un désir intense de sensations fortes et d'activité, un désir de séduction et des tendances manipulatrices. Elles sont à peu près aussi fréquentes chez l'homme que chez la femme. L'évolution peut être compliquée de manifestations anxieuses ou dépressives.
Les personnalités obsessionnelles-compulsives ou personnalités anankastiques sont caractérisées par d'incessantes préoccupations concernant l'ordre, la perfection et la maîtrise des activités intellectuelles et affectives.
Elles représentent environ 1 % de la population. Elles sont souvent envahies de doutes, d'indécision, de ruminations. Leur perfectionnisme entrave l'achèvement des tâches. Elles se montrent tatillonnes, scrupuleuses et entêtées.
Parmi les patients qui développent des troubles obsessionnels avérés, faits d'obsessions ou de compulsions, certains ont une personnalité antérieure de type obsessionnel, mais, contrairement à une notion classique, ils représentent une petite minorité. Le plus souvent, en effet, les troubles obsessionnels surviennent soit sur des personnalités d'un autre type, soit en l'absence de trouble de la personnalité.
Les personnalités anxieuses et évitantes sont inhibées sur le plan social, animées par des sentiments envahissants de « ne pas être à la hauteur » et elles se montrent hypersensibles à l'opinion d'autrui, craignant d'être critiquées et rejetées. La question des limites diagnostiques, entre une simple timidité, une personnalité évitante et une phobie sociale n'est pas résolue.
De nombreux auteurs pensent que, dans ce registre pathologique, il existe un réel continuum entre personnalité normale, personnalité pathologique et pathologie psychiatrique, avec des différences pure- ment quantitatives entre les différentes manifestations de la « peur de l'autre ».
Les personnalités dépendantes sont soumises, avec un besoin permanent d'être prises en charge. Elles ont peur de la solitude, peur d'être abandonnées et ne parviennent pas à prendre seules des décisions dans la vie quotidienne.
Les troubles mixtes de la personnalité
De nombreux sujets ont des troubles qui associent à des degrés divers des traits qui appartiennent à plusieurs troubles distincts de la personnalité. Parmi ces troubles mixtes de la personnalité, certaines associations sont particulièrement fréquentes, par exemple hystéro-paranoïaques, histrioniques et dépendantes, ou évitantes et dépendantes. Il existe, d'autre part, une relation entre la gravité d'ensemble d'un trouble de la personnalité et le nombre de diagnostics différents qui peuvent être portés. Dans les troubles sévères de la personnalité, il n'est pas rare que les caractéristiques de trois, quatre, voire cinq, types différents de personnalité, soient réunis.
La place en médecine générale
Les médecins généralistes sont quotidiennement confrontés à des patients ayant des troubles de la personnalité.
Chez les personnalités paranoïaques et schizoïdes, la demande d'aide vient souvent de l'entourage familial dans des situations cliniques, en règle générale délicates.
Les démarches des personnalités antisociales auprès des médecins ont souvent un aspect utilitaire : ordonnances de produits toxiques, demandes de certificats divers, hospitalisation – refuge recherchée pour fuir la justice, etc.
Les personnalités histrioniques demandent souvent beaucoup à leurs médecins. Elles font courir à ceux-ci un double danger : celui d'une trop grande proximité ou, à l'inverse, celui d'un mise à distance excessive qui risque d'interrompre la relation thérapeutique.
Les personnalités limites posent des problèmes plus délicats encore, les médecins étant sans relâche menacés de prises de décisions successives, précipitées et contradictoires, emportés qu'ils risquent d'être par les mouvements changeants de ces patients.
Les personnalités anxieuses, qu'elles soient évitantes ou dépendantes, sollicitent aussi, souvent, beaucoup d'aide pour diminuer une inhibition ou un malaise relationnel, une peur d'être abandonnée, un vécu d'impuissance, etc.
Diagnostic
Alerté par tel ou tel comportement susceptible de témoigner d'un trait ou d'une constellation de traits de caractère pathologique, le médecin doit vérifier qu'il s'agit bien d'un comportement répétitif, envahissant, stéréotypé, source de souffrance et d'un handicap, avant de poser son diagnostic. En cas de doute, il ne doit pas hésiter à solliciter l'avis d'un spécialiste, psychiatre ou psychothérapeute, pour confirmer le diagnostic et discuter des meilleures orientations thérapeutiques à préconiser. Travailler seul dans ce domaine est une erreur technique puisqu'il est en règle générale contre-indiqué de vouloir assurer conjointement et seul les rôles de médecin généraliste référent, de prescripteur de psychotropes et de psychothérapeute.
Prise en charge
La thérapeutique des troubles de la personnalité est un domaine en pleine évolution (Debray et Nollet). Lorsque des manifestations anxieuses ou dépressives, des conduites impulsives, des conduites addictives ou des difficultés cognitives ou perceptives dominent la scène clinique, l'approche psychopharmacologique est en règle générale indiquée, mais elle doit toujours être associée à une approche psychothérapique.
Une administration adéquate de substances psychotropes est susceptible d'atténuer la souffrance psychique, le handicap personnel et de rendre possible une approche psychologique qui, en son absence, pourrait être impossible à initier ou à poursuivre.
Il en est ainsi des anxiolytiques prescrits pour des durées limitées, du moins en l'absence de potentiel d'abus identifié, mais aussi des antidépresseurs, parfois des régulateurs de l'humeur. Il existe de nombreuses variétés de psychothérapies susceptibles d'être proposées pour les troubles de la personnalité. Certaines sont d'inspiration psychodynamique, interpersonnelle, d'autres cognitives et comportementales.
Conclusion
Les troubles de la personnalité représentent un secteur important de la psychopathologie, souvent sous-estimé car mal connu et insuffisamment dépisté. Pourtant, le coût en souffrance individuelle de ceux qui en sont atteints et la souffrance de leur entourage familial et social est important. Des prises en charge adéquates associent généralement des traitements pharmacologiques et psychothérapiques en améliorant le pronostic.
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