Les troubles cognitifs postopératoires

Publié le 08/10/2008
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LE CERVEAU possède un capital fixe de neurones. Dès l'âge de 20 ans, les mitoses se raréfient et la réorganisation neuronale devient la réponse prédominante lorsqu'une agression se produit. Les agressions toxiques, ischémiques, médicamenteuses ou métaboliques amputent le potentiel neuronal et peuvent occasionner un déficit neurologique et cognitif dont l'importance et la persistance dépendent des circonstances de survenue et surtout de l'âge. La réponse à la question de savoir si l'anesthésie générale fait partie de ces agressions et peut être en elle-même à l'origine de troubles cognitifs précoces ou à distance de l'intervention reste controversée.

Retard de réveil, confusion et agitation.

«Le retard de réveil dû à un délai de l'élimination de l'anesthésique est rare car nous disposons actuellement de produits à action rapide, sûrs, peu neurotoxiques et bien tolérés sur le plan hémodynamique», affirme le Pr Mantz. «Maintenant, le retard de réveil résulte plutôt d'une pathologie dépendante du contexte chirurgical, comme une résorption inappropriée de glycine en urologie ou un accident vasculaire cérébral (AVC) survenu au cours d'une intervention en chirurgie cardiaque.»

La confusion ou l'agitation, plus fréquente, plus tardive, survient après le réveil du patient dans les heures ou jours qui suivent l'intervention. Elle s'accompagne souvent de désorientation temporelle et spatiale. Elle touche particulièrement le sujet âgé et est généralement liée à une cause organique qu'il convient de rechercher et de traiter en priorité : hypoxémie, hypotension, trouble métabolique (dysnatrémie..). «Attention à l'agitation après une chirurgie colique. Elle peut traduire une péritonite débutante et est souvent prise à tort pour une agitation d'origine psychiatrique», rappelle le Pr Mantz. L'agitation peut avoir une origine médicamenteuse ou, comme le retard de réveil, être due à un AVC. Dans ce cas aussi, le contexte chirurgical est déterminant et la chirurgie cardiaque est fréquemment impliquée. «La manipulation du coeur, des valves, des coronaires peut être à l'origine de la formation de microemboles plaquettaires, calcaires ou cholestéroliques qui migrent vers les artères cérébrales», souligne le Pr Mantz. Il s'agit de micro-infarcissements visibles au scanner ou à l'IRM, qui, sans induire forcément de déficit neurologique, peuvent être à l'origine de troubles comportementaux. Ils peuvent aussi provoquer une altération des performances psychomotrices avec séquelles neurologiques durables. «Pour limiter ces phénomènes, il faut maintenir l'homéostasie et l'hémodynamique peropératoires afin d'éviter toute hypotension prolongée. L'hypotension artérielle prolongée se répercute sur la pression de perfusion cérébrale et favorise la survenue d'AVC, d'autant plus que les sujets âgés ont souvent un traitement antihypertenseur.»

Le problème de l'arrêt ou du maintien des antiplaquettaires avant une intervention chez des patients à haut risque thrombotique (porteurs de stents coronaires) est en pleine évolution. Le risque thrombotique, coronaire et neurologique est élevé à l'arrêt des antiagrégants, surtout chez les patients ayant des stents actifs. Pour le Pr Mantz, la tendance actuelle est de privilégier la prévention du risque thrombotique artériel périopératoire et de maintenir l'aspirine chaque fois que cela est possible.

L'altération des performances psychomotrices à distance d'un acte chirurgical sous anesthésie peut se traduire par des altérations de la mémoire, des troubles d'exécution de gestes de la vie courante, de la parole, de l'écriture, de perte du sens du calcul… Des études ont montré que la mortalité à un an est accrue chez les patients qui sortent de l'hôpital avec une dysfonction cognitive persistant à trois mois. Cette fois encore, le contexte chirurgical est déterminant. Après une chirurgie cardiaque, les altérations cognitives sont fréquentes et laissent souvent des séquelles importantes : 10 % des patients de plus de 80 ans gardent des séquelles neurologiques. Elles ont le même substratum que l'agitation postopératoire précoce : microemboles, micro-AVC et amputation des fonctions cognitives supérieures. Après une chirurgie non cardiaque, les altérations cognitives sont assez fréquentes (chez près d'un tiers des patients de plus de 70 ans dans les trois premières semaines qui suivent une intervention chirurgicale) ; cependant, dans la majorité des cas, elles sont plus fugaces et ne laissent pas de séquelles. Leur étiologie est mal connue. Il n'y a pas formation évidente de microemboles comme dans la chirurgie cardiaque. Leur origine est plus vraisemblablement toxique, inflammatoire ou médicamenteuse.

Identifier les facteurs de risque (âge, un niveau socio-éducatif bas) et surveiller la glycémie et la température peropératoires permet de limiter les troubles cognitifs postopératoires à long terme, mais il n'existe pas de traitement qui permette de les prévenir ou de les guérir. Une piste de recherche intéressante est le préconditionnement pharmacologique qui consiste à diminuer la sévérité d'une lésion ischémique par préexposition à un agent pharmacologique. Expérimentalement, les anesthésiques sont d'excellents agents préconditionnants. Il semble qu'une première exposition à un agent anesthésique initie des mécanismes cellulaires de protection ultérieure pour le myocarde et le cerveau.

Le programme de réhabilitation postopératoire.

Le Pr Mantz insiste sur la mise en place de mesures pré- et peropératoires qui conditionnent la qualité et la rapidité de récupération après une intervention surtout chez le sujet âgé :

– informer les patients de la possibilité de présenter des troubles après l'opération ;

– bien évaluer les patients lors de la consultation de préanesthésie ; par exemple, optimiser le traitement médicamenteux d'un coronarien et tester sa réactivité à l'effort ;

– maintenir une pression artérielle correcte, une normothermie (couverture chauffante et réchauffement des solutés perfusés) et une bonne oxygénation pendant l'intervention ; limiter la quantité de fluide perfusé pendant l'intervention assure une meilleure récupération ;

– prévenir la douleur postopératoire ; des combinaisons antalgiques utilisant raisonnablement différentes voies (IV, péridurale…) permettent de sortir du bloc non algique et de favoriser la récupération postopératoire ;

– anticiper les nausées et les vomissements postopératoires, qui représentent une crainte très importante des patients. « Certains patients ont plus peur de vomir que de mourir», constate le Pr Mantz. Repérer avant l'intervention les sujets à risque de vomissements (score d'Apfel) permet de prévoir l'administration d'une prophylaxie pendant celle-ci ou d'un traitement après celle-ci.

D'après un entretien avec le Pr Jean Mantz, service anesthésie-réanimation-SMUR, pôle urgences proximité réanimation maternité, hôpital Beaujon, Clichy.

> Y. E.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8436