MEDEC - LES JOURNEES D'AMPHIS 2004

Les troubles bipolaires se présentent sous différents tableaux cliniques

Publié le 23/03/2004
Article réservé aux abonnés
1276184483F_Img165853.jpg

1276184483F_Img165853.jpg

Une maladie psychiatrique à ne pas méconnaître

ANCIENNEMENT dénommé psychose maniaco-dépressive, le trouble bipolaire de l'humeur se caractérise par la récurrence d'épisodes dépressifs majeurs et d'épisodes maniaques ou hypomaniaques. Il est fréquent, avec une prévalence vie entière de plus de 1 %, et concerne 600 000 personnes en France.
Son début est précoce, entre 17 et 27 ans, avec un premier épisode plus volontiers dépressif que maniaque. L'évolution est faite de rechutes (0,6 épisode par an, 10 sur une vie entière), séparées par des intervalles libres asymptomatiques de 4 ans au début, qui vont diminuer au fur et à mesure de l'évolution de la maladie.
Diverses hypothèses étiopathogéniques ont été avancées : anomalies biochimiques avec perturbation de la neurotransmission cérébrale et des récepteurs cérébraux aux monoamines ; hypothèse psychodynamique avec des perturbations de la relation affective dans l'enfance ou l'adolescence, succession de stress, de traumatismes, d'épreuves de perte ou d'abandon ; on retrouve surtout une très forte vulnérabilité génétique.
La souffrance du malade et de sa famille, la situation affective chaotique, la désinsertion professionnelle, les conduites médico-légales en font l'une des 10 maladies les plus handicapantes au monde.
C'est la pathologie psychiatrique la plus à risque de suicide : non traités, de 25 à 50 % bipolaires font des TS et 19 % décèdent par suicide. Les facteurs de risque suicidaire ont été identifiés : antécédents familiaux et personnels de comportements suicidaires, instabilité du trouble bipolaire, début précoce, comorbidité psychiatrique ou addictive (alcool, cannabis), absence de traitement thymomodulateur, états mixtes. Par contre, les cycles rapides et la présence de caractères psychotiques n'augmentent pas le risque.
La mortalité des patients souffrant de troubles bipolaires non traités est trois fois plus importante que dans la population générale, pas seulement à cause du suicide, mais aussi du fait de pathologies liées aux addictions et des conduites à risque. Si les patients bénéficie d'un traitement adapté leur taux de mortalité devient identique à celui de la population générale, voire inférieur.

Des manifestations très hétérogènes.

Le diagnostic est difficile devant des tableaux cliniques variés, où il est nécessaire de rechercher des éléments faisant suspecter une bipolarité.
Les épisodes dépressifs majeurs (il faut en fait comprendre « caractérisés ») peuvent être d'intensité modérée, marqués par un émoussement affectif, un ralentissement moteur important, un état plus sévère le matin, une hypersomnie et une hyperphagie avec tendance à la prise de poids. Ils sont parfois plus marqués, mélancolie avec état dépressif caractérisé, sentiments de culpabilité, de dévalorisation de soi. Le risque de passage à l'acte est majeur.
L'état mixte où s'intriquent les symptômes dépressifs et maniaques est une forme un peu particulière, mais fréquente (20 % des troubles bipolaires). Les patients sont à la fois tristes, déprimés, agités, tendus, avec une hyperréactivité émotionnelle. Le diagnostic est parfois difficile avec une pathologie névrotique ou hystérique, le risque suicidaire est grand.
Les épisodes maniaques peuvent entraîner l'hospitalisation. Ils se traduisent par une euphorie anormale, une irritabilité, une fuite des idées, une augmentation de l'estime de soi, une excitation psychomotrice avec logorrhée, hyperactivité, une réduction du temps de sommeil sans fatigue, une hypermnésie, mais une impossibilité de stocker des informations du fait des troubles de la concentration, une désinhibition sexuelle, financière, des conduites à risque, avec des manifestations psychotiques fréquentes (préoccupations mystiques, mégalomanie, sentiment de persécution, hallucination, visuelles et auditives parfois). Ces manifestations pourraient à tort orienter vers un diagnostic de trouble schizophrénique.
Il est particulièrement délicat de poser le diagnostic d'hypomanie. Le patient ne consulte pas puisqu'il se sent particulièrement en forme, et c'est l'entourage qui s'inquiète devant cette rupture avec l'état antérieur. Ces malades résistent souvent au traitement car l'état de référence est pour eux l'hypomanie. Le diagnostic n'est pas toujours facile avec les personnalités borderline, les comportements hyperthymiques ou les fluctuations physiologiques de l'humeur.
Il est important de donner des pistes à l'entourage pour reconnaître les signes annonciateurs du virage maniaque et instituer très rapidement un traitement pour éviter l'hospitalisation : l'insomnie est caractéristique, mais aussi des projets multiples et inadaptés, une logorrhée, une hyperactivité, des dépenses excessives, une désinhibition, mais là aussi, chaque patient a son propre symptôme qui signe l'entrée dans l'épisode maniaque.
Dans les intervalles libres entre les épisodes, les patients sont en théorie asymptomatiques, mais 30 à 60 % des patients présenteraient une symptomatologie atténuée.
Les comorbidités sont très fréquentes. Elles compliquent le diagnostic et constituent un facteur de gravité et de résistance thérapeutique : alcoolisme et autres addictions, TOC, troubles anxieux notamment les troubles paniques présent dans 20 % des cas, les troubles de la personnalité (troubles borderline ou personnalités antisociale).

Recherche des éléments évocateurs de bipolarité.

Le diagnostic est souvent trop tardif et erroné : 60 % des patients bipolaires ont eu au préalable un diagnostic de dépression unipolaire, ils consultent 3 à 4 médecins avant d'être reconnus comme bipolaires, et il s'écoule environ huit ans entre les premiers symptômes et la prise en charge.
Le diagnostic est particulièrement difficile, puisqu'en l'absence de symptomatologie maniaque, hypomaniaque ou mixte, il ne peut être que rétrospectif. Tout doit donc être mis en œuvre pour faire ce diagnostic au plus tôt, la prise en charge spécifique tardive majorant le risque suicidaire et la désinsertion familiale, sociale et professionnelle.
Tout déprimé doit être considéré a priori comme ayant une potentialité bipolaire. Les particularités sémiologiques de l'épisode dépressif peuvent orienter : autoaccusation, plaintes somatiques nombreuses, ralentissement psychomoteur intense, irritabilité, insomnie, hyperphagie, idées de mort, caractéristiques psychotiques. La dépression du post-partum est très suspecte de même que les épisodes de dépression prémenstruelle. L'interrogatoire, mettant les proches à contribution - le patient bipolaire ne rapporte pas forcément spontanément son hypomanie qu'il ne vit pas comme pathologique et peut même être corrélée à la performance dans certains milieux - recherche des indices en faveur d'épisodes maniaques ou hypomaniaques : périodes d'hyperactivité, d'euphorie, d'irritabilité, de labilité émotionnelle, d'hypercommunicabilité...
Il est particulièrement intéressant de faire un arbre généalogique qui note les antécédents familiaux de troubles de l'humeur, de comportements suicidaires, d'addiction, de troubles anxieux. On recherche la notion d'antécédents personnels judiciaires, de conduites à risque, de comportements violents, une enfance ou une adolescence confrontées à des situations pénibles, une biographie tumultueuse (démissions, déménagements, divorces multiples). Il faut savoir envisager des troubles bipolaires derrière des troubles anxieux, des troubles paniques, des TOC ou des addictions. Le trouble de déficit de l'attention avec hyperactivité (Tdaha) serait pour certains prémorbide au trouble bipolaire et mériterait une vigilance accrue.

Les difficultés de la prise en charge.

Si le diagnostic est indispensable, il n'est pas suffisant à une bonne prise en charge. Pour que le patient accepte d'être traité, il faut qu'il se reconnaisse malade, ce qui lui impose de faire le deuil de son intégrité psychique et l'expose au discrédit de l'entourage. Il faut évaluer ses représentations conscientes et inconscientes sur sa maladie et son traitement, qui peuvent faire obstacle à une bonne prise en charge et à la réussite du traitement.
La réactivité au traitement, la personnalité du patient, l'entourage familial et surtout le conjoint sont des éléments majeurs de l'observance thérapeutique, donc de l'avenir du patient. L'établissement de l'alliance thérapeutique demande une négociation entre les attentes du patient, de sa famille et du médecin. Il sera nécessaire d'aborder de façon pratique le contexte de vie du patient, avec ses facteurs positifs ou négatifs puisqu'on sait maintenant que les accès dépressifs ou maniaques succèdent souvent à des stress, qu'ils soit positifs ou négatifs.
Le traitement médicamenteux de la crise maniaque ou dépressive doit amener la rémission des symptômes en évitant le virage vers un épisode opposé, qui serait particulièrement nuisible pour l'acceptation future du traitement. Devant un épisode dépressif majeur, on ne peut faire l'impasse d'un traitement par antidépresseur, mais si on suspecte une bipolarité, il est nécessaire de revoir très rapidement le patient, avant le 15e jour pour anticiper un virage maniaque ou hypomaniaque se manifestant par un changement d'humeur rapide.
Le principal souci est d'éviter les récidives. On dispose actuellement de différents traitements : le lithium, le premier en date, la carbamazépine, prescrite en 2e intention devant une résistance au lithium, une contre-indication ou une intolérance au lithium, le valpromide, réservé aux résistances, contre-indication ou intolérance au lithium et à la carbamazépine, et tout récemment l'olanzapine, antipsychotique atypique.
La stratégie thérapeutique ne peut se limiter à une prescription médicamenteuse. On peut envisager une prise en charge psychothérapique des troubles (abord cognitivo-comportementale des troubles maniaques et dépressifs, psychothérapie de soutien ou d'inspiration psychanalytique), un abord psychologique du patient pour évaluer sa résistance au traitement, une thérapie familiale qui prenne en compte la souffrance du conjoint et de l'entourage. Les mesures psychoéducatives sont indispensables, une information idéale devrait permettre d'accompagner le patient dans ses différentes étapes pour l'amener à être son propre thérapeute.

> Dr MAIA BOVARD-GOUFFRANT
Journée d'amphis : « Les troubles bipolaires, le rôle du médecin généraliste, du diagnostic à la prise en charge », parrainée par les Laboratoire Lilly.
D'après les interventions du Pr Marie-Christine Hardy-Bayle, des Drs Christian Gay, Frédéric Slama et Frédéric Sorbara.

Classification

- Le type I associe des épisodes maniaques francs à un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs caractérisés (EDM).
- Le type II correspond à la succession dans le temps d'EDM et d'au moins un épisode hypomaniaque.
- Le type III associe des EDM à des épisodes maniaques ou hypomaniaques chimio-induits, le plus souvent par des antidépresseurs. On y inclut aussi les patients unipolaires avec des antécédents familiaux de troubles bipolaires si importants qu'on les considère comme des bipolaires en puissance.
Deux formes sont particulières par leur évolution : les formes à cycle rapide, représentant 20 % des états bipolaires, avec au moins 4 épisodes par an ; les formes circulaires se caractérisent par l'existence permanente d'épisodes dépressifs et maniaques, particulièrement épuisants pour le patient et son entourage.

Des associations pour aider vos patients et leur famille

• http://argos.2001.free.fr (Association d'aide aux personnes atteintes de troubles bipolaires et à leur entourage)
• http://pari-fr.com (Psychiatrie : Agir pour la Recherche et l'Information)
• http://francedepression/free.fr (Association française contre la dépression et la maladie maniaco-dépressive)
http://www.unafam.org (Union nationale des amis et familles de malades psychiques)

BOVARD-GOUFFRANT Maia

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7505