« La pizza est un plat festif, pour lequel toutes les tentatives de présentation comme aliment ayant des effets sur la santé ont été des échecs », souligne en préambule la chercheuse. En Italie et à Naples, on retrouve des traces de cet « objet modeste, aux racines archaïques » au XVIe siècle, mais c'est un mets beaucoup plus ancien. La pizza est particulièrement intéressante dans le cadre de l'étude des emprunts et des influences réciproques. Elle a, en effet, bénéficié d'une situation quasi expérimentale offerte par les hasards de l'histoire dans la seconde moitié du XIXe siècle, en l'occurrence les grandes migrations des Italiens vers les Etats-Unis et la France.
Deux modèles opposés
Les Napolitains se sont expatriés avec un même mets et au même moment dans deux ensembles culturels différents. Dans ces pays, la rencontre des communautés a donné naissance à deux modèles de pizzas « nationalisées », dont les caractéristiques culinaires et non culinaires s'opposent point par point : aux Etats-Unis, la pizza des fast-food, dans laquelle les couches d'ingrédients sont ajoutées de façon à gagner en expansion verticale, dont la consommation est individuelle et qui a été adaptée à l'outil de production ; en France, la pizza du camion, qui a gagné en stratification horizontale, qui se partage et à laquelle l'outil de fabrication a été adapté.
Aux Etats-Unis, la pizza véhicule une idée de la réussite personnelle (création de franchise à son nom) ; en France, elle est le fait d'artisans ayant une petite entreprise.
Ainsi, lorsque la pizza fast-food est arrivée en France au début des années 1990, elle s'est trouvée confrontée à un référent préexistant qu'était la pizza du camion, implantée depuis longtemps. L'expansion des chaînes américaines a été très vite limitée dans les régions où règnait le modèle du camion (au-dessous de la ligne Nantes-Besançon). Aujourd'hui, les restaurants Pizza Hut sont fréquentés de façon occasionnelle et festive, contrairement au principe des fast-foods qui est fondé sur le rendement.
Naples réclame une appellation contrôlée
« Quelle que soit la force du vecteur d'introduction, l'appropriation d'un mets allogène procède d'un même ensemble de mécanismes », explique Sylvie Sanchez.
En Italie, la Mairie de Naples a déposé un dossier de demande d'appellation contrôlée pour la pizza Napoletana, afin de contrer les prétentions américaines en matière de paternité de la pizza. Mais, on constate que, outre une sélection de recettes dont il a été décidé qu'elles sont typiquement napolitaines, ce dossier repose principalement sur une chaîne opératoire et, de ce fait, diffère peu du dossier américain. « Dans les deux cas, commente Sylvie Sanchez, la pizza "authentique " fait fi du contexte de consommation inversement central pour les mangeurs. Or c'est ce contexte qui fixe l'usage et la signification associée au mets. Et un mets qui n'évolue pas avec les besoins de la société dans laquelle il est intégré meurt. »
Les chemins suivis par la pizza montrent, notamment, que l'homogénéisation de l'alimentation n'est souvent que superficielle. Au final, l'arrivée des pizzas américaines en France a stimulé la concurrence et permis d'avoir des produits de meilleure qualité et, par ailleurs, a contribué au renforcement des pizzas artisanales.
* Centre d'études transdisciplinaires, sociologie, anthropologie, histoire.
** Le prix Jean Trémolières récompense un ouvrage traitant de sciences humaines appliquées à la nutrition (psychologie alimentaire, habitudes et comportements alimentaires individuels ou collectifs). Le prix 2004 a été remis par l'Association des praticiens pour l'information en nutrition et diététique (Aprid) lors d'une table ronde sur la mondialisation alimentaire.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature