ABSENTE DES TRAITÉS INITIAUX sur l'Europe, la santé reste aujourd'hui un parent pauvre de la construction européenne malgré la montée en puissance de nombreux sujets « santé » sensibles (information des patients, lutte contre la contrefaçon, politique de dérégulation concernant les pharmacies, médicaments innovants, etc.) actuellement examinés par l'Union ou au programme des prochains mois.
Députée au Parlement européen depuis 1994, Françoise Grossetête, qui était invitée des Rencontres de Lipp (1), a raconté non sans humour le chemin de croix de l'édification d'une Europe de la santé, tout en soulignant les progrès accomplis, au moins dans les esprits.
«En 1994, explique-t-elle , la politique européenne de la santé se réduisait à quelques grands programmes –cancer, sida, toxicomanies, etc.–, et c'est tout! Au sein de la commission environnement-santé publique, la santé n'occupait qu'une faible part. Petit à petit, le sujet a pris de de la place, mais en réalité… tout reste à construire.»
Trois commissaires concernés.
Dans les faits, les choix des politiques de protection sociale (quels régimes d'assurance-maladie, de retraite ?) relèvent intégralement des États membres, très jaloux de leurs prérogatives en la matière ; et, selon Françoise Grossetête, «il n'est pas question d'une harmonisation à moyen terme de la protection sociale, sauf miracle».
Côté Commission européenne, les sujets santé intéressent au moins trois commissaires, respectivement en charge de l'Environnement, de la Santé (Androulla Vassiliou a récemment remplacé Markos Kyprianou), mais aussi de l'Industrie (Günter Verheugen), pour toute la politique du médicament. Les querelles de frontières et de compétence ne sont pas rares, ce qui ne facilite guère l'avancée des dossiers. Surtout, décrypte Françoise Grossetête, le champ des services de santé qui avait été exclu – à une faible majorité – de la célèbre directive Bolkestein sur la libéralisation des services (2005-2006) reste l'objet d'incessantes «bagarres en coulisse» entre les « ultralibéraux » et les partisans d'un travail «plus équilibré» sur la directive services . Du coup, résume la députée, «nous sommes peu avancés». Et les initiatives sont timides, étriquées : la commissaire « santé » a annoncé qu'elle allait s'occuper pour l'instant de la mobilité des patients en Europe…
Une mandature à attendre.
La Commission européenne, explique Françoise Grossetête, «avance par paquets» de textes, mais, en matière de santé, progresse au train de sénateur . Plusieurs dossiers sont «dans les tuyaux» parfois depuis des mois (pharmacovigilance, lutte contre les contrefaçons et le commerce parallèle…), mais le point d'atterrissage est inconnu (la Commission devrait présenter des propositions à la rentrée). «Je suis exaspérée par les retards pris sur les questions de santé, se désole la députée européenne. Nous avons passé une mandature à attendre! J'ai l'impression que la Commission européenne repousse au maximum les échéances: l'information des patients sur le médicament, on en parlait déjà en 2003, et rien n'a abouti. Nous sommes en fin de législature. Après l'été, il y aura quelques mois de travail avant une année blanche avec les législatives européennes (2009) et l'installation du nouveau Parlement…» Le tableau n'est pas reluisant.
A deux mois du début de la présidence française de l'Union, le 1er juillet, l'Europe est pourtant attendue dans plusieurs dossiers majeurs sur la santé.
Quel sort pour l'initiative médicament innovant (IMI) dont l'objectif est d'aider l'Europe à redevenir le leader de la recherche biomédicale et biopharmaceutique à l'horizon 2013 (notamment en soutenant les PME) ? «J'espère que ce sera un succès», veut croire Françoise Grossetête, très favorable à un «small business act» à l'européenne.
L'idée, évoquée de façon récurrente, d'un prix européen du médicament semble beaucoup plus lointaine. «Il est nécessaire d'accroître la transparence, et il faudra un jour arriver à ce prix européen. Dans quelques années peut-être, on arrivera à bouger…»
Pandémie aviaire : l'Europe, mal préparée.
Autre question dans l'air du temps : l'Europe, qui défend la libéralisation du marché et la concurrence pour faire baisser les prix, constitue-t-elle une menace proche pour les pharmacies françaises (monopole, implantation) ? Pour Françoise Grossetête, «le pharmacien n'est pas n'importe quel commerçant» et le rôle de l'officine doit être défendu . Mais, dans l'attente de décisions de la Cour de justice, elle invite la profession à «se préparer au changement», notamment en se regroupant . Quant à l'ouverture du capital des pharmacies, la députée suggère de la «tester sur un petit pourcentage».
Sur la santé publique, enfin, peut-on espérer une politique européenne commune pour prévenir certaines menaces comme la grippe aviaire ? «La France est sans doute l'État le mieux préparé, mais l'Europe, elle, n'est pas prête», résume encore Françoise Grossetête, pas découragée pour autant et «convaincue» que la politique de santé de l'Union «se développera». Même à petits pas.
(1) En partenariat avec « le Quotidien du Médecin ».
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