Tout, dans les propos et surtout le ton de Jacques Chirac, indique qu'il n'est pas dupe de son succès. Il ne croit pas à ce miracle qui a transformé en plébiscite son faible score du premier tour. Il est inquiet, tourmenté même, par la poussée du Front national. Et il n'est pas moins hostile que la gauche à l'extrême droite.
Le président réélu n'est pas non plus insensible à la précarité et à l'exclusion. C'est lui qui a inventé l'expression de « fracture sociale ». On peut toujours penser que le slogan servait ses ambitions. Mais on ne peut pas non plus éliminer l'hypothèse naïve qu'il a le désir d'améliorer le sort quotidien des Français.
En outre, pas plus que la totalité des votes qui se sont portés sur son nom ne lui appartient, le chef de l'Etat ne s'appartient lui-même. Depuis le premier tour, il n'est plus tout à fait le même ; il est davantage le produit de ce qu'on peut appeler diversement le hasard, l'Histoire ou les circonstances que le chef de parti qu'il a longtemps été et sur lequel pèsent encore des soupçons quant à sa rigueur de gestionnaire. Or M. Chirac est, à n'en pas douter, un animal politique, espèce dont le caractère spécifique consiste à saisir les occasions que lui offre l'Histoire. Ce travail-là, c'est vraiment le job de Chirac. Ça, il sait faire. Il sait prendre la direction du vent, puis aller dans le sens de la volonté populaire. Il est donc en mesure, si toutefois il en a les moyens politiques (il ne les avait plus depuis 1997), de lancer des réformes en profondeur susceptibles de répondre aux vux majeurs des Français.
Il peut, d'ailleurs, le faire par conviction. On ne doit pas mettre toutes ses volte-face au compte de l'opportunisme. Dès dimanche, ses lieutenants n'ont pas fait mystère de leurs intentions : ils ont choisi la voie libérale et c'est par cette voie qu'ils veulent réformer.
Les Français ne savent pas tous quelle voie est la meilleure. Ce qui est certain, c'est que le bilan de Lionel Jospin, dont l'ancien Premier ministre s'est tant vanté, a été désavoué. Certes, la gauche a perdu moins de voix que la droite classique au premier tour. Et elle n'accordera aucun répit au président, surtout à la faveur d'un scrutin, celui des législatives, où elle voudra montrer qu'elle existe encore. Mais son image est ternie par une défaite qui a été aussi brutale qu'inattendue. Elle n'est pas aujourd'hui dans le meilleur de sa forme.
Le point le plus important, c'est que, alors que Lionel Jospin disparaît de la scène politique, Jacques Chirac apparaît comme une sorte de triomphateur, quelles que soient les raisons de ce triomphe. Le point le plus important, c'est qu'il gouverne depuis hier. Jusqu'au premier tour des législatives, il dispose d'un mois. Un mois pendant lequel, s'il va vite et bien, il peut convaincre le peuple. Le persuader qu'il est sincère, qu'il veut procéder à de profondes réformes, qu'il est capable de répondre aux doléances exprimées dans le vote du premier tour de la présidentielle. S'il donne une dynamique à son programme, si, avant même les législatives, il soumet au peuple un plan de travail, s'il applique sans attendre quelques-unes des décisions qu'il a annoncées ou que les Français attendent de lui, par exemple sur l'insécurité, il peut convaincre beaucoup d'électeurs que, cette fois-ci, il faut le prendre au sérieux et accorder son suffrage à la droite.
Sinon, si son entourage se noie dans la préparation des élections législatives, si les combinazioni reprennent le dessus, si tout l'effort de Chirac bis porte exclusivement sur la nécessité de trouver une majorité parlementaire, il ne parviendra pas à confirmer sa victoire du 5 mai. D'autant qu'il a bénéficié, au nom de la démocratie, d'une immense vague populaire en sa faveur ; ceux qui, à gauche, du 22 avril au 5 mai, ont littéralement milité pour lui, ne lui feront pas un deuxième cadeau.
M. Chirac ne peut pas supporter l'idée d'une nouvelle cohabitation et il s'emploie déjà, de toutes ses forces, à en écarter la possibilité. Mais de même qu'il a tiré une excellente leçon du second tour de la présidentielle en réagissant par la modestie de son discours, de même il devra, cette fois, tirer la leçon d'une défaite aux législatives.
Il est vrai que la France, si elle reste figée dans ses divisions du premier tour de la présidentielle, sera ingouvernable, et par la droite et par la gauche ; il est vrai qu'elle n'a pas besoin de ce nouveau malheur ; il est vrai que M. Chirac pourrait alors rester à l'Elysée moins par amour du pouvoir que par la nécessité d'empêcher une catastrophe politique. L'ex-gauche plurielle doit elle-même se poser la question : doit-elle, en dépit de son échec du premier tour, pousser son avantage aux législatives au point de bloquer le système ? Doit-elle, en quelque sorte, et pour ne pas perdre, faire le jeu du Front national ? Chacune des heures qui nous séparent du 16 juin, date du second tour des législatives, sera riche en événements, en coups de théâtre, en drames. Chacun des électeurs français devra voter en fonction de l'intérêt commun.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature