D'APRÈS les estimations de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), 205 millions de personnes dans le monde sont utilisateurs de substances illicites. Parmi ces substances, le cannabis est la plus consommée, suivi par les amphétamines, la cocaïne et les opioïdes. Le problème touche plutôt les hommes et les jeunes : 2,5 % de la population mondiale et 3,5 % des 15 ans et plus ont consommé du cannabis au moins une fois entre 1998 et 2001. La morbidité liée à l'utilisation de ces drogues est importante. Cependant, affirme l'OMS, « l'essentiel de la charge mondiale de morbidité est dû aux substances autorisées et non aux substances illicites ». Exprimés en Daly, c'est-à-dire en nombre d'années de vie en bonne santé perdues (reflet du nombre de décès et de l'impact sur une population des décès prématurés et des incapacités), le tabac et l'alcool représentent à eux seuls, 4,1 et 4 % de la charge morbide résultant de la consommation de toutes les substances illicites. Sur un total de 8,9 %, les drogues illicites ne représentent que 0,8 % de la morbidité.
Pourquoi tant de personnes utilisent-elles ces substances, alors qu'elles les savent nocives ? Le problème est pris très au sérieux par l'OMS qui a demandé à un groupe d'experts en neurosciences de réfléchir sur la dépendance liée à l'usage des substances psychoactives. Commentant leur rapport, « Neuroscience of psychoactive substance use and dependance », rendu public après trois années de travaux, le Dr Benedetto Saraceno, directeur du département de l'OMS Santé mentale et toxicomanies, justifie la demande de l'OMS par l'ampleur des progrès accomplis dans les connaissances en neurosciences au cours des dernières décennies, en raison notamment des techniques de neuro-imagerie. Elles montrent, en effet, « que les substances psychoactives, qu'elles soient licites ou illicites, agissent sur le cerveau selon des mécanismes similaires, nuisent à la santé et entraînent une dépendance ».
Le rapport récapitule donc les dernières découvertes scientifiques sur le rôle du cerveau dans les toxicomanies. Selon les experts, aujourd'hui, « il est clair que la dépendance est tout autant un dysfonctionnement du cerveau que n'importe quelle autre maladie neurologique ou psychiatrique ».
Hérédité et environnement.
Certes, les facteurs en jeu sont multiples : biologiques et génétiques dans lesquels l'hérédité intervient pour une bonne part, mais aussi culturels et environnementaux. Les substances psychoactives agissent soit en mimant les effets des neurotransmetteurs naturels ou endogènes, soit en altérant les processus normaux de stockage, de libération ou d'élimination des neurotransmetteurs. Un des mécanisme passe par le blocage de la recapture après la libération du neurotransmetteur par la terminaison présynaptique, ce qui aboutit à une exacerbation de ses effets normaux.
De même, les recherches en neurosciences permettent de mieux comprendre l'état de manque, l'usage compulsif, les notion de tolérance ou de dépendance. L'apparition de la dépendance peut être considérée comme un processus d'apprentissage : la substance agit comme une récompense, ce qui active les circuits cérébraux et rendra encore plus probable une répétition du comportement. Mais à lui seul, le processus n'explique pas la dépendance. Tout au long de l'évolution du cerveau, des circuits cérébraux fondamentaux pour la survie se sont mis en place. « Les substances psychoactives activent artificiellement ces mêmes voies, mais de manière extrêmement fortes, conduisant à un renforcement de la motivation à poursuivre ce comportement », expliquent les chercheurs. Ainsi, la dépendance résulte plutôt d'une interaction complexe, entre d'une part, les effets physiologiques des substances sur les aires cérébrales associées à la motivation et à l'émotion et, d'autre part, le processus « d'apprentissage » de la relation entre les substances et les signaux environnementaux qui leur sont associés.
La mise en évidence de ces processus a permis la mise au point d'outils diagnostiques et de nouveaux traitements comportementaux ou pharmacologiques.
Une nouvelle prise en charge qui laisse augurer des politiques de prévention plus efficaces et d'interventions communautaires rentables n'exposant pas les patients à la stigmatisation. Le rapport insiste bien : « La dépendance n'est pas une défaillance de la volonté ni un signe de faiblesse du caractère, mais une perturbation d'ordre médical susceptible de toucher n'importe quel être humain. »
Le Dr Lee Jong-wook, directeur général de l'OMS, peut donc conclure : « Les responsables de la santé publique devraient accorder une plus grande attention aux problèmes sanitaires et sociaux liés à la consommation de tabac, d'alcool et de substances illicites, et à la dépendance qu'elle engendre. Des politiques adaptées sont nécessaires pour remédier à ces problèmes dans différentes sociétés. »
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