LE TERME de thérapeutiques ciblées désigne des traitements pharmacologiques qui ne sont pas des toxiques de la cellule cancéreuse (cytotoxiques) ni des antimitotiques, mais qui ont pour cible les mécanismes de la cancérogenèse. Ces mécanismes peuvent être des anomalies moléculaires responsables de la transformation néoplasique, mais aussi des anomalies plus tardives qui contribuent à la progression tumorale, ou encore des cibles qui n'ont pas de rôle direct dans la transformation (1). Des approches pharmacologiques ayant pour cible des protéines activées dans la cellule tumorale ont en effet été rendues possibles par l'identification de molécules et de voies de régulation impliquées au cours des processus néoplasiques. Les cibles de ces traitements peuvent être des facteurs de croissance, leurs récepteurs, la cascade de leur signalisation, des néoprotéines transformantes (protéines de fusion ou protéines altérées), ou des protéines normales, mais dérégulées dans l'environnement cellulaire tumoral. Ces thérapeutiques s'attaquent ainsi aux cellules porteuses de l'anomalie, mais elles épargnent les cellules non tumorales, en raison de la différence d'expression des transducteurs cibles dans les cellules normales et pathologiques. Elles ont donc pour avantage de générer moins d'effets secondaires tout en étant dotées d'une efficacité significative et prolongée.
L'administration d'anticorps monoclonaux et d'inhibiteurs de kinases spécifiques constitue deux exemples démonstratifs de thérapeutiques ciblées. Les anticorps monoclonaux, qui permettent le blocage de protéines, sont des molécules qui ont une dénomination commune dotée d'une désinence en « -mab ». L'autre voie qui consiste à inhiber le site des récepteurs par des petits inhibiteurs enzymatiques fait appel à des molécules dont la dénomination commune se termine en « -tinib ».
Le champ d'investigation le plus important dans le domaine des thérapeutiques ciblées concerne actuellement l'inhibition de la tyrosine kinase du récepteur de l'EGF (Endothelial Growth Factor) ou Egfr, sécrété par les cellules tumorales. Ce récepteur appartient à la famille HER, elle-même composée de quatre récepteurs à activité tyrosine kinase. Après fixation du ligand, ces récepteurs forment un homo- ou un hétérodimère à la surface de la cellule. La transduction du signal généré aboutit à la prolifération cellulaire, à l'inhibition de l'apoptose, à l'angiogenèse et au processus métastatique. L'Egfr est exprimé sur les cellules tumorales du poumon dans le cancer du poumon non à petites cellules (Cpnpc).
Les inhibiteurs de la tyrosine kinase du récepteur de l'EGF.
Globalement, les thérapeutiques ciblées, en particulier les inhibiteurs de la tyrosine kinase du récepteur de l'EGF, permettent « potentiellement » d'améliorer le pronostic en cas de Cpnpc (2).
Le bévacizumab, un anticorps monoclonal dirigé contre le facteur de croissance endothélial vasculaire, est la molécule dont le développement clinique est le plus avancé. Il a fait l'objet d'une étude randomisée dans laquelle 878 patients atteints d'un Cpnpc récidivant ou avancé ont été assignés à une chimiothérapie paclitaxel-carboplatine seule ou associée au bévacizumab (3). La durée médiane de survie, critère principal de jugement de l'étude, a atteint 12,3 mois dans le groupe assigné à recevoir le bévacizumab en association à la chimiothérapie, contre 10,3 mois dans le groupe sous chimiothérapie seule. La médiane de survie sans progression a été respectivement de 6,2 et 4,5 mois, et les taux de réponse de 35 et 15 %. Les auteurs concluent que le bénéfice significatif en termes de survie s'accompagne d'un risque d'augmentation des décès liés à des hémorragies.
Par ailleurs, plusieurs études matérialisent le développement de nouvelles molécules pour le traitement du Cpnpc métastatique. L'erlotinib est un inhibiteur de la tyrosine kinase qui a été évalué chez des malades atteints de cancer bronchique non à petites cellules en progression, après une chimiothérapie comportant du cisplatine dans l'étude BR 21 (4). Dans cette étude, la survie médiane a atteint 6,7 mois dans le groupe erlotinib contre 4,7 mois dans le groupe placebo, la survie à un an ayant atteint respectivement 31 et 21 %. Le meilleur bénéfice du traitement a été obtenu en cas d'adénocarcinome, chez les patients qui n'ont jamais fumé et chez ceux qui ont antérieurement bénéficié d'un traitement par le cisplatine.
Les associations bientôt évaluées.
De nombreux autres agents sont actuellement en phase II de développement clinique (5). Le cétuximab est un anticorps monoclonal chimérique homme-souris qui se lie spécifiquement au domaine extracellulaire du récepteur du facteur de croissance épidermique humain (Egfr). Il a fait l'objet d'un essai randomisé comparant la chimiothérapie associée au cétuximab à la chimiothérapie suivi d'un traitement par cétuximab. Ces deux schémas sont apparus équivalents.
Les prochains essais cliniques devraient porter sur l'association cétuximab-bévacizumab. Le vandétanib a été considéré comme ayant une activité satisfaisante en monothérapie, ainsi qu'en association en deuxième ligne au docétaxel.
Le sunitinib a semblé efficace en deuxième ou troisième ligne et bien toléré. Le sorafénib a permis des stabilisations prolongées de la maladie chez environ 60 % de malades, avec diminution de la taille tumorale, la tolérance de ce produit ayant été satisfaisante, notamment en termes de qualité de vie (6).
Par ailleurs, selon des données préliminaires, le sunitinib semble efficace et bien toléré en monothérapie chez des patients préalablement traités ayant un Cpnpc récidivant ou avancé (6). Le bortézomib, enfin, un inhibiteur du protéasome, a été associé au carboplatine et à la gemcitabine dans une étude jugée satisfaisante, qui laisse entrevoir une poursuite de son développement clinique.
* Inserm U618, CHU Bretonneau, Tours.
(1) Blay JY. Les thérapeutiques ciblées du cancer : not lost in translation. Bull Cancer 2006 ;93:799-804.
(2) Giaccone G. The potential of antiangiogenic therapy in non–small cell lung cancer. Clinical Cancer Research 2007 ;13:1961-70.
(3) Sandler A, et coll. Paclitaxel-carboplatin alone or with bevacizumab for non-small-cell lung cancer. N Engl J Med 2006;355(24):2542-50.
(4) Shepherd FA, et coll. Erlotinib in previously treated non-small-cell lung cancer. N Engl J Med 2005;353(2):123-32.
(5) 43e session scientifique de l'ASCO, 2-6 juin 2006, Atlanta, Géorgie, Etats-Unis.
(6) Gridelli C, et coll. Sorafenib and sunitinib in the treatment of advanced non-small cell lung cancer. Oncologist 2007;12(2):191-200.
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