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Si la destruction de Jérusalem et du Second Temple marque l'exil et la dispersion du peuple juif, il ne faut pas exagérément mythifier la terre perdue, disent Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias. Dans leur existence diasporique, les Juifs se trouveront d'autres Jérusalem : Vilma, Sarajevo ou Tlemcen.
L'examen de la vie juive dans l'Antiquité et au Moyen Age révèle une extraordinaire diversité de situations dans lesquelles « les Juifs ne se sont jamais définis comme juifs... Ils sont juifs de la langue qu'ils parlent, ils sont ashkénazes - d'Europe centrale ou orientale, de tradition plutôt yiddishophone - ou séfarades - issus de la péninsule ibérique, méditerranéens ou orientaux ».
Ceci pour dire que, très vite, les deux débattants, plutôt complices dans la vie, désignent leur ennemi : une pseudo-identité juive faite de nostalgie d'une identité perdue, vaguement située dans une patrie perdue. C'est l'occasion de s'en prendre au communautarisme contemporain, qui dans le cas de la France se traduit par des clans fermés aux autres, alors que selon eux tout dans le judaïsme doit être ouverture.
Quant au sionisme, il est peu ménagé par les dialoguistes qui le rattachent à l'essor des nationalismes du XIXe siècle : idée moderne, de l'après-émancipation, il se développe dans un climat où « il faut être patriote de quelque chose » et révèle que les Juifs étaient à l'unisson de l'Europe. Sauf que dans leur cas, la recherche d'une patrie procédait surtout d'une déception devant la situation qui leur était faite. Avec vigueur, nos duettistes dénoncent une idéologie ambiguë : le sionisme cherche à concrétiser le destin juif sur la terre ( « terre sans peuple pour le peuple sans terre ») ; à partir d'une émotion religieuse, il est « une idée relativement sécularisée de la Rédemption ».
Religion laïque
Enfin, il faut rappeler qu'Israël n'est pas la conséquence de l'extermination des Juifs d'Europe, l'idée sioniste étant bien antérieure. D'une façon générale, les auteurs manifestent une méfiance légitime envers toute manipulation de la Shoah : « Cette focalisation sur le génocide juif a eu un effet contraire, mais corrélatif, qui est la banalisation. » De la même façon, ils ont sans doute raison de voir dans le génocide, une sorte de « religion laïque » dont il faut sortir comme d'un mauvais ressassement du passé. On ne peut pourtant pas les suivre lorsque, par exemple, Esther Benbassa affirme que « l'idée que le génocide serait, devrait être absolument unique, ne revêt aucun sens ». En effet, dans son énormité arithmétique comme dans son hystérie criminelle absolue, l'assassinat des Juifs d'Europe a constitué un fait unique : la recherche de bébés juifs dans les couvents, les tueries alors que la guerre se terminait, l'utilisation de soldats, trains, voies ferrées plus utiles sur le front russe, confèrent une unicité à cette folie meurtrière. Et une unicité dont les Juifs se seraient bien passé.
Incontestablement, il s'agit d'un travail vigoureux, riche de débats potentiels, et annonciateur d'un judaïsme lavé de tout dolorisme identitaire. Peut-être manque-t-il un peu de dialectique, dans la mesure où Esther et Jean-Claude (qui confesse une mère non juive...) ne sont pas souvent dans l'affrontement rude. Osera-t-on leur objecter la vieille polémique sartrienne ? Emiettés dans la plus totale des diversités, les Juifs ne perdent-ils pas quelque « substance », ne disparaissent-ils pas au profit de vagues Américains ou Français « de confession israélite » ? Bref, il y a encore du travail pour les antisémites, qui ont tout récemment encore donné de leurs nouvelles.
J.-C. Lattès, 250 pages, 17,99 euros (118 F).
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