JUSQU'OU NE PAS ALLER trop loin. L'échec des négociations conventionnelles a ressuscité l'hypothèse d'une épreuve de force tarifaire entre les médecins libéraux et les pouvoirs publics, comme un écho lointain au conflit de 2001-2002 au cours duquel des milliers de médecins généralistes avaient appliqué durant des mois le C à 20 euros avant de l'obtenir officiellement.
Mais si les conditions d'une exaspération professionnelle semblent réunies, les syndicats médicaux traditionnels doivent mesurer avec une grande précision le degré et la forme de leur riposte. Contrairement aux coordinations et autres mouvements non officiels, les syndicats ne peuvent pas se permettre de donner eux-mêmes des mots d'ordre précis de tarifs « sauvages », qui seraient illégaux. Tout est dans le choix des mots. Il s'agit de mettre une pression maximale sur l'assurance-maladie et le gouvernement, tout en gardant un discours responsable. Le chemin est encore plus étroit pour les syndicats signataires de la convention à trois mois des élections professionnelles.
Tabou.
La Csmf, majoritaire, qui réunit son bureau national aujourd'hui, applique à la lettre cette règle du jeu. C'est pourquoi « sans aucune surenchère », la Conf' a annoncé qu'elle « comprend les médecins qui appliqueraient dès aujourd'hui les dispositions minimales prévues dans la convention, à savoir : + 1 euro sur les majorations coordonnées ; + 1 euro sur la majoration des pédiatres ; + 3 euros sur les consultations chez les enfants de 2 à 6 ans ». Le syndicat n'appelle donc pas formellement les praticiens à pratiquer unilatéralement ces tarifs majorés, mais il soutient dans ce choix les confrères « humiliés et méprisés ». « Il y a clairement un risque de tout foutre par terre avec des mouvements d'humeur tarifaire, analyse le Dr Chassang. Mais ce n'est pas à moi de les provoquer. » Exactement dans la même veine, l'Unof, branche généraliste de la Csmf, « comprend les médecins qui, dès aujourd'hui, appliqueront les tarifs que leur action pour la réforme en 2005 rend légitime ». Une formulation suffisamment souple pour laisser aux médecins une grande liberté de manœuvre.
En lançant de son côté la « grève du zèle », le SML a choisi une « réplique » tarifaire qui s'efforce de répondre aux revendications de la base sans sortir de la légalité. Chaque médecin de secteur I est invité à faire connaître à ses patients, par voie d'affichette, qu'à compter du 28 février les horaires de consultation aux tarifs opposables « ne seront possibles (hors urgences) que pendant des tranches horaires déterminées (35 ou 39 heures hebdomadaires) ». Au-delà de ces horaires, le SML explique que « le médecin peut recevoir des patients sur leur demande expresse, mais il leur sera demandé un complément tarifaire » dont la fourchette devra être précisée. Le syndicat appelle les médecins à « assumer [leur] liberté en appliquant à la lettre cette disposition ». L'action du SML consiste ici en une utilisation élargie du DE (dépassement pour exigence particulière du patient), arme déjà utilisée par le passé par les syndicats médicaux traditionnels qui jouent sur le flou des textes en vigueur. Le Dr Dino Cabrera, président du SML, estime en tout cas que son initiative « brise un tabou » (celui des tarifs opposables à toute heure de la semaine) « sans aller sur le terrain des dépassements sauvages ». « L'essentiel étant, ajoute le Dr Cabrera, de rendre cette action irrévocable... »
Repoussoir.
Le syndicat Alliance, qui ne représente officiellement que les spécialistes, tient le discours le plus jusqu'au-boutiste des signataires . « Puisque les caisses refusent d'accorder les revalorisations légitimes, il faut que les médecins généralistes et spécialistes prennent eux-mêmes un nouvel espace de liberté tarifaire, avec tact et mesure, sans pénaliser les personnes en difficulté (CMU, chômeurs, étudiants...) », tranche le Dr Félix Benouaich, président du syndicat, qui réunit son bureau samedi prochain. Persuadé que « les consignes de modération n'ont aucune chance d'être suivies par les confrères dans le contexte actuel », il confirme qu'il existe désormais « un risque manifeste de dérapage » sur les honoraires.
On le voit : en attendant un éventuel arbitrage du gouvernement en leur faveur, les syndicats signataires utilisent volontiers (y compris comme un repoussoir) la menace d'une guérilla tarifaire, tout en se démarquant des discours les plus radicaux.
Des représailles à la pelle
Au-delà du risque d'anarchie tarifaire, plusieurs syndicats estiment que la crise conventionnelle pourrait nuire à la dynamique de maîtrise médicalisée (par un relâchement des efforts sur les prescriptions) et finalement à l'ensemble de la réforme de l'assurance-maladie. Diverses mesures de représailles ont déjà été annoncées ou simplement évoquées. L'Umespe, branche spécialiste de la Csmf, incite les spécialistes à « refuser tout contact avec les caisses primaires, à poursuivre le boycott de la carte Sesam Vitale, à continuer les efforts de maîtrise uniquement sur les objectifs administratifs (arrêts de travail, ALD, transports) ». Un boycott des expérimentations sur le dossier médical partagé a également été envisagé.
Le SML, outre son appel à la « grève du zèle » (lire par ailleurs), menace de « suspendre sa participation active » aux instances conventionnelles. Dans nos colonnes (« le Quotidien » du 6 février), le syndicat a évoqué une autre mesure de riposte sur les ALD : il s'agirait de demander aux médecins, lorsqu'ils ont un malade dont ils ne connaissent pas l'intégralité du protocole ALD, de mentionner tous les médicaments dans le remboursement de droit commun (et non pas à 100 %). En laissant le soin aux médecins-conseils de déterminer quels médicaments doivent être pris en charge intégralement.
Le SML se dit prêt à annoncer une « nouvelle action par semaine »...
> C. D.
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