LES ESPRITS S'ÉCHAUFFENT dans l'Oise entre les médecins libéraux et les deux caisses primaires d'assurance-maladie (CPAM) du département. Unis encore une fois (comme dans l'affaire de la permanence des soins), Espace Généraliste Picardie et les syndicats FMF, MG et UNOF de l'Oise ont décidé de faire front commun contre certaines pratiques de la Sécu jugées abusives. Les responsables des quatre syndicats viennent en effet d'adresser une lettre aux quelque 600 médecins généralistes du département afin de les inciter à «ne plus recevoir les délégués de l'assurance-maladie» (DAM) et à signaler «toute menace ou poursuite» des caisses contre eux. Y a-t-il eu une déclaration de guerre entre médecins libéraux et caisses pour que les syndicats veuillent livrer bataille en barrant le chemin des DAM ? En fait, «l'Oise est un département calme jusqu'à présent», reconnaît le Dr Georges Jung, président d'Espace Généraliste Picardie et de MG-60 (par intérim). Mais, «depuis quelques mois», cet omnipraticien de Compiègne trouve que «l'ambiance est très mauvaise».
La lettre envoyée aux généralistes par les quatre syndicats locaux dénonce en particulier «l'augmentation des convocations et sanctions financières» à l'encontre de confrères, ainsi que le ton employé par les représentants des CPAM de Creil et de Beauvais. Les leaders syndicaux s'insurgent contre les visites des DAM qui traitent chaque médecin comme «un sujet-objet de marketing», voire «comme des gamins à l'école maternelle à qui l'on vient faire la morale sur le coût de leur activité ou leur façon de soigner». «Il est inadmissible en matière de soins que le dépassement statistique d'une moyenne devienne en soi un délit exposant au minimum à des tracasseries, pressions, obligations de perdre des heures de travail pour se justifier», poursuivent les responsables locaux des syndicats Espace Généraliste, MG, FMF et UNOF. Et ce d'autant plus que «le critère n'est pas la justification de la prescription mais son coût», précisent-ils.
Ce qui a fait déborder le vase, c'est la lettre de relance envoyée par les deux présidents de la commission paritaire locale (CPL) à plusieurs généralistes de l'Oise. Les destinataires ont été triés sur le volet parce qu'ils étaient déjà réfractaires aux visites des DAM et qu'ils présentaient un taux de prescription «supérieur au taux moyen du département» en matière de statines, d'IPP ou d'ordonnancier bizone. «Aucun texte n'oblige un médecin conventionné à recevoir les DAM», martèlent les quatresyndicats dans leur appel au boycottage. Ils ajoutent même qu' «aucun texte n'autorise les caisses à ne pas fournir à un médecin les données le concernant» (profil d'activité), au motif qu'il refuse d'ouvrir la porte de son cabinet aux délégués de l'assurance-maladie.
Les caisses plaident l'information.
Contactées par « le Quotidien », les deux CPAM ne démentent pas ces deux points d'ailleurs. «Il n'y a pas d'obligation pour un médecin de recevoir une DAM, admet volontiers Jean-Noël Bellier, directeur-adjoint de la CPAM de Beauvais. On est plus sous l'angle de l'information, on n'a pas une démarche coercitive. Ce n'est pas de cette manière-là qu'on travaille avec une profession.» Cependant, face à «une dizaine de généralistes aux prescriptions atypiques», ce responsable de l'assurance-maladie «ne peut pas rester simple spectateur», d'où les procédures engagées contre deux médecins généralistes, finalement sans pénalité à la clef.
Le directeur de la CPAM de Creil enregistre, de son propre aveu, un taux de refus de visites de DAM (près de 10 %) «peut-être un peu supérieur à la moyenne nationale». Pour autant, sur cette vingtaine de généralistes rebelles, «la moitié n'ont pas de prescriptions atypiques», concède Michel Humm. Pour ce directeur, seulement «5% de généralistes dérivent un peu ou ont quelque rancune vis-à-vis de la CPAM de Creil (…) parfois à cause de lettres écrites il y a plusieurs années». «Il n'y a pas de conflit», assure Michel Humm, puisque ses DAM voient «210généralistes régulièrement». En outre, il fait valoir que ces délégués (comme l'ensemble des 700 DAM en France) tendent à se «professionnaliser»via une «formation nationale longue et lourde». Quant aux deux médecins de famille sanctionnés par sa caisse en 2007 (à cause d'arrêts de travail et de non-respect de l'ordonnancier bizone des ALD), ils constituent un contentieux qualifié d' «infinitésimal». Donc, «rien à signaler sur le front des sanctions conventionnelles», conclut le directeur de la CPAM de Creil.
En tant que président de la section professionnelle de la CPL, le Dr Thierry Chambon «n'a pas observé de durcissement» dans la politique de maîtrise médicalisée et de contrôle des caisses de l'Oise. Ce radiologue CSMF a accepté de parapher la lettre de relance aux généralistes rétifs aux DAM car il ne trouve «pas extrêmement constructif» de bouder ces délégués par principe. «Il y a plus à gagner de les recevoir que de ne pas les recevoir», explique ce spécialiste UMESPE-CSMF. Au risque de provoquer un petit couac confédéral, puisque le Dr José Cucheval, président de l'UNOF-60, a cosigné pour sa part le mot d'ordre syndical de boycottage. «Thierry Chambon a parfaitement fait son travail au niveau de la CPL», plaide le Dr Cucheval. Mais, observe ce responsable de l'UNOF, il y a parfois «un écart» entre les options prises par les partenaires conventionnels, le discours de la CPL, et «l'application sur le terrain». Et de rappeler que la maîtrise médicalisée des dépenses est un art difficile : «Améliorer la qualité des soins, oui. La chasse aux sorcières, non.» Le Dr Cucheval participe donc à l'offensive des autres syndicats locaux afin de «marquer le coup et (de) recaler les choses».
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