C'est sans doute ce qui s'appelle prendre ses marques.
A l'occasion de la passation de pouvoir entre Elisabeth Guigou et François Fillon au ministère des Affaires sociales, c'est Jean-François Mattei, nouveau ministre de la Santé (dont la tutelle sur l'assurance-maladie est confirmée), qui a tenu la vedette en envoyant aux généralistes le fameux « signal » qu'ils attendaient depuis six mois. Oui, a-t-il affirmé devant micros et caméras, la consultation à 20 euros est une « revendication légitime », légitimité que des milliers de médecins avaient affirmé avec humour lors de la manifestation du 10 mars en détournant un slogan publicitaire célèbre : « C à 20 euros, parce que je le vaux bien ». Oui, a ajouté Jean-François Mattei, « le gouvernement doit peser naturellement pour faire aboutir cette revendication dans le cadre de la négociation conventionnelle ». Oui enfin, le ministre recevra « très vite » les syndicats de médecins. Jean-François Mattei, ou comment ressusciter l'espoir en trois phrases bien senties.
Si ces propos ont été bien accueillis par la profession, l'état de grâce n'a pas duré. Les représentants des médecins libéraux ont gardé la tête froide, en évitant soigneusement de signer un « chèque en blanc » au nouvel occupant de l'Avenue de Ségur. La nomination de Jean-François Mattei est certes unanimement saluée par les syndicats, qui relèvent le sérieux et la compétence de l'homme, mais ils exigent plus que jamais des actes, en écho aux promesses du candidat Chirac. « On a déjà donné en 1995 », commente sèchement le Dr Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Autrement dit, de la « légitimité » des revendications à leur concrétisation, il y a un pas qui doit être franchi sans tarder, c'est-à-dire avant les élections législatives, pour désamorcer le conflit et relancer la dynamique conventionnelle.
Espoir déçu, dialogue « foutu »
Le Dr Michel Combier, président de l'Union nationale des omnipraticiens français (UNOF), ne s'y trompe pas. « Les déclarations de Jean-François Mattei ont fait naître un réel espoir et les médecins ne comprendraient absolument pas que la caisse, qui fait silence radio, continue de bloquer », résume-t-il, en redoutant l'exaspération de la « base ». Il réaffirme que la revalorisation du tarif de la consultation est un « préalable » à toute négociation et non pas un de ses éléments. Il ne voit donc « aucune raison » de suspendre les mouvements de grève en cours. Un nouveau « pont sans toubib » est programmé à partir de vendredi prochain pour le long week-end de Pentecôte. De son côté, MG-France, qui avait signé le 24 janvier un accord contesté fixant le C à 18,50 euros, a revu ses prétentions à la hausse. Dans un courrier adressé à Jacques Chirac, le Dr Costes, président de MG-France, souligne que le C à 20 euros est « l'étape première vers une rémunération identique aux autres spécialités à inscrire au plus vite dans la classification commune des actes médicaux ». Lui aussi réclame l' « amnistie » pour les sanctions prises contre les dépassements tarifaires pratiqués depuis le début du conflit et s'interroge sur le « calendrier », les « modalités » et les « contreparties » d'une revalorisation de la consultation. Le passage du C à 20 euros représente en effet un surcoût de quelque 330 millions d'euros en année pleine. « Va-t-on créer une CSG flottante, rouvrir le secteur à honoraires libres? » interroge le Dr Costes, qui exige de la « lisibilité ».
Le Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), ne veut surtout pas baisser la garde. « Il n'est pas question de suspendre quoi que ce soit pour l'instant » confirme-t-il, tout en se félicitant de la nomination de Jean-François Mattei à la tête d'un ministère de plein exercice : « Il a la carrure », dit-il. Le Dr Cabrera rappelle à nouveau les exigences « immédiates » du SML et de la CSMF qui sont « toujours les mêmes » : revalorisation des actes de base (C à 20 euros, V à 30 euros), arrêt des poursuites engagées par certaines caisses primaires contre les généralistes, suspension des pénalités financières pour les spécialistes en secteur I. Et, dans un deuxième temps, ouverture avec les caisses de négociations « pour tous les médecins » dans le but de signer avant la fin de l'année une convention médicale unique. « Si on se contente de rafistoler les choses avec des négociations séparées ou en lâchant le C à 20 euros, on repartira dans le conflit », analyse-t-il.
Et d'insister sur l' « attente immense » des spécialistes. Illustration de ces propos, l'Union collégiale des chirurgiens et spécialistes français (UCCSF), qui défend surtout les spécialistes de plateaux techniques lourds, demande au tandem Fillon-Mattei de régler en urgence « le cas de certaines spécialités comme la chirurgie, l'anesthésie ou l'obstétrique en voie de disparition pure et simple ». Là encore, l'épouvantail d'un durcissement anarchique du conflit est agité, compte tenu de la « désespérance » des spécialistes concernés. « Il vous est encore possible d'éviter la diffusion hautement prévisible d'un conflit via les coordinations issues de notre secteur comme la coordination nationale des médecins de clinique », affirme le Dr Jean-Gabriel Brun, président de l'UCCSF, à l'adresse des nouveaux ministres. L'UCCSF demande, entre autres, la valorisation « substantielle et rapide de la lettre clé KCC » (qui sert de base à la facturation des actes de chirurgie).
La coordination nationale indépendante des généralistes a décidé de passer « à l'attaque » sans plus attendre. Elle a programmé, à partir du 15 mai, « la cessation d'activité illimitée ou le déconventionnement (des médecins) d'un département par jour ». Cette action spectaculaire sera suspendue si une série de revendications sont « satisfaites immédiatement » telles que le C à 20 euros, l'indemnité de déplacement à 10 euros, l'amnistie des procédures de sanctions en cours (dans la Loire-Atlantique, notamment), la révision de l'article 77 du code de déontologie sur l'obligation de garde ou encore la participation de la coordination aux négociations conventionnelles. Affirmant qu'elle représente jusqu'à « 30 000 médecins », la coordination nationale estime que sa plate-forme est désormais « la base incontournable » de toute discussion.
Chargée de négocier les tarifs, la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) affirme pour l'instant « rester totalement fidèle » à sa démarche. On rappelle que « toute mesure tarifaire doit avoir un effet restructurant sur la profession concernée ou comporter une contrepartie identifiée et durable pour améliorer le service médical rendu à la population ».
Si des négociations doivent bien reprendre le 15 mai avec certains syndicats de spécialistes, la réouverture de discussions avec les généralistes n'était absolument pas à l'ordre du jour. Or, théoriquement, le passage du C à 20 euros pour les généralistes ne peut se faire que sur proposition de la CNAM. Le gouvernement ne peut pas l'imposer. Dans ces conditions, cette revalorisation n'est sans doute pas pour les jours qui viennent. Et pour Jean-François Mattei, c'est déjà une semaine difficile qui commence.
Un « Viaduc sans toubibs » périlleux dans certaines zones
Le « Viaduc sans toubibs » du 7 mai au soir jusqu'à lundi matin a été vécu plus ou moins bien selon les régions. Dans les grandes villes, à Paris en particulier, le Dr Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUHF) constate que ce viaduc n'a pas amplifié l'impact de la grève des gardes. Aux urgences de l'hôpital Saint-Antoine par exemple, l'affluence était « habituelle », selon le Dr Pelloux, et les cabinets des médecins généralistes, « quasiment tous ouverts ».
En revanche, à La Rochelle, au SAMU de Charente-Maritime, le nombre d'appels a triplé. « Nous sommes saturés et inquiets », confiait en fin de semaine la responsable du SAMU, le Dr Sylviane Dulioust. Face à « une grève très, très dure » localement et en l'absence de médecins de gardes et de praticiens réquisitionnés, son service « a rempli les services d'urgences en envoyant des ambulances presque systématiquement, surtout en pédiatrie ».
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