SCANDALE dans la profession médicale. En début de semaine, le sang des leaders des syndicats médicaux n’a fait qu’un tour après des fuites dans la presse d’un document de travail du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie (Hcaam) consacré à la rémunération des médecins libéraux. Ce prérapport (voir ci-contre), qui sera en fait examiné pour la première fois demain par le Hcaam, montre notamment que «l’évolution des honoraires par tête est supérieure en longue période à celle des salaires dans le secteur privé».
Par ailleurs, le document évalue à environ «600millions d’euros» (1) l’enjeu financier de la négociation engagée par les partenaires conventionnels en vue d’un alignement du tarif de la consultation des médecins généralistes (C à 21 euros) sur celui de la consultation de base des spécialistes (CS à 23 euros). Cette mesure, justifiée par la reconnaissance de la médecine générale comme spécialité, permettrait aux omnipraticiens d’augmenter leur revenu net de manière «plus que proportionnelle à l’augmentation de la valeur du C», relève le Haut Conseil, au motif que la plupart de leurs charges ne dépendent pas de cette lettre clé. Ainsi, le Hcaam estime que la hausse des honoraires nets des omnipraticiens serait d’ «environ 13%» grâce au CS à 23 euros (par exemple, un généraliste «effectuant 5200actes par an» gagnerait «7600euros net» de plus).
«Tout cela est orchestré dans un seul et unique objectif: torpiller la négociation conventionnelle en cours [qui doit reprendre le 7 février, ndlr] et empêcher toute revalorisation d’honoraires en 2007!», fulmine Michel Chassang. Le président de la Confédération des syndicats médicaux français (Csmf) dénonce «des méthodes de voyou» comparables au fameux «coup de Jarnac». «C’est inadmissible!», renchérit Dino Cabrera. Le président du Syndicat des médecins libéraux (SML) flaire lui aussi le coup monté qui «semble piloté par une organisation syndicale de salariés». Même si aucun nom n’est lâché, la Cfdt est clairement visée, compte tenu des relations très tendues qu’entretient son représentant à la présidence de la Caisse nationale d’assurance-maladie, Michel Régereau, avec les syndicats médicaux signataires de la convention.
Le Dr Cabrera déplore, par ailleurs, l’ingérence du Hcaam dans les discussions tarifaires en cours avec l’assurance-maladie, «alors qu’il avait été admis que jamais le Haut Conseil n’interviendrait en cours de négociation conventionnelle».
«Nous demanderons au Haut Conseil de rectifier le tir puisque, son rapport étant publié comme un brûlot antilibéral de base, il se transforme en tribunal», prévient le Dr Chassang. La réunion de cette instance consultative (2) promet donc d’être houleuse demain. Elle pourrait même être la dernière pour les présidents de la Csmf et du SML puisqu’ils n’excluent pas d’opter ensuite pour la politique de la chaise vide.
« Grosse ficelle ».
Cela ne déplairait pas en tout cas à MG-France, ni à la Fédération des médecins de France (FMF), qui déclarent à cette occasion que «les syndicats majoritaires» de la médecine libérale ne siègent pas aujourd’hui au Haut Conseil... Il reste que le nouveau président de MG-France, Martial Olivier-Koehret, s’insurge lui aussi contre cette «agression d’une rare violence contre les médecins généralistes». Il trouve «la ficelle un peu grosse au moment où s’engage la négociation pour revaloriser la consultation généraliste». Or vu «la réforme universitaire» et le «choc démographique extrêmement important à venir», la médecine générale «a besoin de mesures fortes et rapides». «Le C n’aura pas de sens à moins de 28euros» si l’on veut dissuader les généralistes de «dévisser leur plaque pour devenir salariés», ajoute le Dr Olivier-Koehret.
«Si la situation des médecins libéraux était aussi brillante, pourquoi assiste-t-on à une fuite des médecins qui rejoignent l’hôpital plutôt que de s’installer en libéral?», interroge pour sa part Jean-Claude-Régi. Le président de la FMF estime que le moment est mal choisi pour «déstabiliser la négociation conventionnelle», même si lui-même «n’y participe pas» et se contente de «faire pression de l’extérieur».
«Au-delà du débat comptable, c’est la question de la présence des médecins généralistes au quotidien qui se pose», affirme Espace généraliste dans un communiqué. Le syndicat du Dr Claude Bronner «ne s’étonne pas de la publication (du document) avant les élections présidentielles», mais rappelle que les généralistes français «restent les moins bien payés d’Europe».
Les syndicalistes pointent à l’unisson le manque de comparaisons internationales ainsi que les nombreux biais de l’étude. L’évolution de la rémunération des médecins ne peut être comparée qu’à celle des «salariés cadres supérieurs de formation bac+10», font-ils valoir. Et il convient, selon eux, de tenir compte de «l’installation tardive» des médecins en cabinet (vers 39-40 ans), de leur «soixantaine d’heures de travail hebdomadaire», des «grandes disparités» entre disciplines et de l’ «effet rattrapage» des tarifs ces dernières années.
Enfin, depuis la convention de 2005, chaque vague de revalorisations tarifaires est «autofinancée», fait remarquer le président du SML, puisqu’elles vont de pair avec des «plans de maîtrise médicalisée qui rapportent au moins le double (financièrement) à la collectivité», sans compter «l’allongement de la durée des consultations permise par la modération d’activité». Ainsi, résume le Dr Cabrera, il n’y aurait pas de coûteux médecins pour les finances publiques puisque «tout le monde s’y retrouve»... Cqfd.
(1) Pour chaque euro de plus sur le C en année pleine et en honoraires remboursés, le Hcaam compte « 268 millions d’euros de coût direct en honoraires » (y compris les consultations, les visites et les rémunérations indexées comme le C2) ainsi que « 30 millions de majoration des cotisations sociales » prises en charges par les régimes de base.
(2) Où siègent élus, représentants de l’Etat, de l’assurance-maladie, des partenaires sociaux et du monde de la santé.
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