IL SÉVISSAIT déjà du temps des pharaons en Egypte, Hippocrate l'a décrit sous la forme de fièvres tierces ou quartes. Le paludisme est une vieille histoire. Pourtant, plus d'un siècle après la découverte du Plasmodium, l'agent causal de la maladie, par Alphonse Laveran (1880), celle-ci constitue encore l'un des principaux fléaux sanitaires de notre temps. «On estime le nombre de décès dus au paludisme entre 1 à 3millions par an», souligne Michèle Barzach, ancienne ministre de la Santé et présidente des Amis du fonds mondial Europe. Une fourchette large qui témoigne du manque de données précises sur le sujet et montre à quel point la maladie est encore «méconnue» et «négligée». Comme l'a expliqué le Dr Awa Marie Coll Seck, directrice du Partenariat contre le paludisme et ancienne directrice du département politique, stratégie et recherche à l'Onusida, le paludisme n'a pas eu le même écho international que le sida. Environ 90 % de ses victimes sont en Afrique subsaharienne et les plus vulnérables sont les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes, surtout les primigestes. C'est «une cause importante d'anémie maternelle et elle est à l'origine d'un faible poids à la naissance chez 30 à 35% des nouveau-nés», souligne le Pr Umberto D'Alessandro, de l'institut de médecine tropicale d'Anvers (Belgique). Parmi ces enfants, de 75 000 à 100 000 décèdent au cours de la première année de vie. Dans bien des pays, la maladie reste la première cause de décès et est responsable de 30 à 50 % des consultations hospitalières.
Un avorteur public.
Le paludisme a encore la réputation «d'être le plus grand avorteur public en Afrique», explique le Dr Flore Gangbo, ancienne ministre de la Santé du Bénin et professeur agrégé de biologie humaine. «Une femme ne sait jamais si elle va aller au bout de sa grossesse ou si l'enfant qui va naître va survivre», poursuit-elle.
Les moyens pour combattre la maladie existent pourtant. Après l'échec des stratégies d'éradication, dû en partie à la résistance accrue du Plasmodium aux antipaludéens classiques, un nouvel arsenal de mesures permet aujourd'hui de combattre la maladie : moustiquaires imprégnées de longue durée, pulvérisations intradomiciliaires de DDT, traitements préventifs intermittents des femmes enceintes, traitements précoces des accès palustres par des traitements combinés à base d'artémisinine (ACT). Des solutions simples qui, couplées à des actions de formation et d'éducation sanitaire, ont prouvé leur efficacité.
«Il ne suffit pas de distribuer des moustiquaires, explique encore le Dr Gangbo. Il faut convaincre les habitants de s'en servir plutôt que de dormir à la belle étoile quand il fait chaud.» Et il faut parfois «vaincre les croyances populaires» quant à l'origine de la maladie. Grâce à une stratégie globale et intégrée, la coalition transfrontalière regroupant le Mozambique, le Swaziland et une partie de l'Afrique du Sud a enregistré une baisse de 90 % de la mortalité et des nouveaux cas de paludisme.
Pourquoi alors tant de victimes ? Pour en débattre, les Amis du fonds mondial Europe ont convié des politiques, des scientifiques et des personnalités du milieu associatif au Sénat. Le projet explicite, «Faire plus et mieux ensemble contre le paludisme», s'inscrit dans celui de l'Alliance européenne contre le paludisme, dont les Amis du fonds mondial Europe sont partenaires, qui tente de sensibiliser, de mobiliser et de susciter des partenariats innovants. «Il nous faut comprendre les obstacles à la mise en place des mesures qui permettent de contrôler le paludisme, au nord comme au sud, et les surmonter ensemble rapidement», martèle la présidente. «Il y aurait une certaine immoralité à ne pas y parvenir», ajoute-t-elle.
Mauvais diagnostic, mauvaise thérapeutique.
Des leçons peuvent être tirées des échecs passés. «A mauvais diagnostic, mauvaise thérapeutique», résume l'ancienne ministre de la Santé. Pendant longtemps, «la santé a été considérée en termes de dépenses. Il fallait d'abord développer, la santé arriverait ensuite comme une conséquence naturelle du développement», dit le Pr Michel Kazatchkine, directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Depuis les années 2000, le discours a changé : «Il y a deux ans, le consensus de Copenhague* a placé la lutte contre le VIH/sida et la lutte contre le paludisme parmi les investissements au meilleur rapport coût/efficacité pour améliorer le bien-être des pays en développement», poursuit-il.
L'impact du paludisme sur le produit intérieur brut est estimé à 12 milliards de dollars par an pour une perte de croissance de 1,3 % pour l'ensemble de l'Afrique. «Le sida doit nous servir d'exemple. Il n'y a aucune raison de piétiner face aux mêmes difficultés», commente le Dr Seck.
Lié à la pauvreté, le paludisme est aussi bien une cause qu'une conséquence de celle-ci. Le cercle vicieux pauvreté-paludisme devra être rompu. «C'est la première cause d'inefficacité professionnelle chez les micro-entrepreneurs et la première cause de non-remboursement du microcrédit. C'est aussi le premier capteur d'épargne au sein de la population touchée», témoigne Sébastien Duquet, de Planet Finance. Les expériences de microfinance menées au Bénin montrent que les familles consacrent parfois jusqu'à 52 % au paludisme. De plus, avec une offre de soins largement insuffisante, la maladie est souvent mal soignée. Les stratégies d'ajustement structurel imposées par les agences financières internationales (FMI et Banque mondiale) ont montré leurs limites. «Nous ne recrutons plus de personnels de santé et c'est un désastre», explique le Dr Gangbo.
Une étude réalisée au Cameroun montre que les centres de santé périphériques fonctionnent avec du personnel non statutaire peu formé, peu ou pas payé et donc peu présent. Les mieux formés l'ont été «sur le tas» ou bénéficient d'une formation ancienne, peu en rapport avec les protocoles actuels. Résultat, la plupart des prescriptions sont inadaptées et leur coût pour les familles est souvent important. La plupart s'approvisionnent dans le secteur privé à des prix de 4 à 7 fois plus élevés (au lieu de 1 dollar dans le public, les ACT sont vendus de 4 à 7 dollars par exemple). «Environ de 40 à 60% des malades achètent leurs médicaments en dehors du secteur public», explique le Pr Kazatchkine.
Là encore, des solutions innovantes peuvent être trouvées, comme le système de tontine qui permet déjà aux familles du Bénin d'acheter des moustiquaires. Les problèmes à résoudre sont nombreux pour que les moyens disponibles soient réellement bien utilisés à l'échelon local. «Il faut tout faire en même temps et tout de suite», résume le Dr Seck. Les ressources financières sont encore «insuffisantes» (voir ci-dessous) mais commencent à être disponibles. La mobilisation de tous, au nord et au sud, dans le secteur public comme dans le privé, est plus que jamais nécessaire. «Si tous les pays venaient boucher de leur main les trous de la jarre, le paludisme pourrait être vaincu», a conclu le Dr Gangbo.
* En 2004, huit experts, dont trois prix Nobel d'économie, se sont réunis à Copenhague pour répondre à la question suivante : en supposant que 50 milliards de dollars de ressources supplémentaires soient à la disposition des gouvernements, quelles seraient les meilleures manières d'améliorer le bien-être global, et particulièrement le bien-être des pays en développement ? Quatre programmes sont arrivés en tête : la lutte contre le VIH/sida, la lutte contre la malnutrition (distribution de micronutriments), la libéralisation du commerce et la lutte contre le paludisme.
Asaq n'est toujours pas préqualifié
L'arrivée du nouvel antipaludéen Asaq (artésunate-amodiaquine), issu d'un partenariat original entre le laboratoire sanofi-aventis, à travers ses programmes d'accès aux médicaments, et la fondation Drug for Neglected Diseases Initiative (Dndi), avait été unanimement saluée (« le Quotidien » du 2 mars). La nouvelle combinaison thérapeutique à doses fixes, spécialement adaptée aux enfants et conçue pour les climats tropicaux, devait être disponible à moins de 1 dollar (0,50 dollar pour un traitement complet chez l'enfant). «Aujourd'hui, nous sommes incapables de répondre aux appels d'offre parce que l'Asaq n'est toujours pas préqualifié par l'OMS», regrette le Dr Robert Sebbag, vice-président du programme Accès aux médicaments. Pis, s'insurge-t-il, «nous sommes aujourd'hui obligés d'engager plusieurs centaines de millions d'euros pour détruire des médicaments».
Les traitements à base d'artémisinine issus d'une plante chinoise ( Artemisia annua) sont particulièrement difficiles à produire et leur durée de vie est brève (date de péremption fixée à deux ans). Le Dr Sebbag met en cause la «lenteur des procédures de préqualification». Cela «risque de décourager les industriels», prévient-il.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature