«LA PRISON DEMEURE, dans de nombreux domaines, un lieu de non-respect de l’accès aux soins, de la protection de la santé et de la dignité du détenu, notamment de la personne malade, handicapée ou en fin de vie», une série de rapports alarmants en témoignent. De 2000, année où le Sénat signe «Prisons: une humiliation pour la République», à 2006, où le Conseil économique et social et la Commission nationale consultative des droits de l’homme s’invitent derrière les barreaux, «les mêmes problèmes» persistent, tout comme «la difficulté à les résoudre». Qu’il s’agisse de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), de l’Inspection générale des services judiciaires (Igsj), de l’Académie de médecine ou du Conseil national du sida, tous soulignent que, en milieu carcéral, les questions éthiques posées par «la protection de la santé et l’accès aux soins font partie des problèmes majeurs». A son tour, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (Ccne) apporte sa réflexion sur le sujet. Interpellé par l’Observatoire international des prisons sur les consultations de détenus à l’hôpital, le Ccne a choisi d’élargir sa saisine à l’ensemble des interrogations soulevées par les liens entre la santé, la médecine et la prison.
Perte de repères et de sens.
«La prison comme lieu de contradictions, provoquant perte de repères et de sens, relève le Comité d’éthique : «Contradiction entre une exigence de sécurité et un indispensable respect des libertés et des droits individuels fondamentaux autres que ceux d’aller et venir, en particulier le droit à la protection de la santé; contradiction entre une prison qui rend malade et risque de conduire à l’aliénation et une médecine confrontée à une exigence de soins; contradiction entre le sens de la peine, fondée sur la responsabilité du condamné, et l’incarcération d’une proportion de plus en plus grande de personnes présentant des maladies mentales graves.»
En 2005, 85 000 personnes (dont 3 500 femmes) ont été incarcérées, dont 60 000 prévenus, et autant ont été libérées. Des chiffres qui «ne reflètent pas la population générale» et qui cachent des «problèmes de santé» spécifiques. La part des 18-24 ans y est en effet sept fois plus élevée, 33 % des entrants sont toxicomanes, 5 % sans abri, 15 % illettrés, 10 % vivent dans un domicile précaire, 25 % ont quitté l’école avant 16 ans. Et si 17 % disposent de la CMU, 13 % ne bénéficient d’aucune protection sociale, soit respectivement sept fois et vingt-sept fois plus que les citoyens libres. Comme l’Igas et l’Igsj l’ont constaté, «la prison est devenue un lieu de prise en charge médicale de ceux que la société peine de plus en plus à intégrer» et à soigner. Or les maisons d’arrêt, surpeuplées à l’excès de prisonniers non encore jugés, connaissent les plus graves problèmes en matière de protection de la santé.Il s’ensuit que le défi à relever devient une sorte de rêve : mettre le détenu à hauteur d’homme.
Le devoir d’ingérence des soignants.
En amont, recommande le Ccne, dans son avis n° 94, il convient d’assurer à toute personne l’accès aux droits fondamentaux et de s’intéresser aux problèmes de santé mentale des mineurs en difficulté et de toute personne vulnérable. L’année dernière, 3 300 moins de 18 ans se sont retrouvés entre quatre murs «avec des problèmes de toxicomanie, de santé mentale et de désinsertion scolaire et sociale importants».
•Lors de la mise en examen, le comité estime qu’il faut éviter l’incarcération de présumés innocents ne présentant pas de dangerosité, comme le prévoit la loi.
•A l’énoncé du jugement, les personnes atteintes de maladie mentale grave ne doivent pas être envoyées en prison. Actuellement, 20 % des détenus présentent une affection psychiatrique que «l’hôpital seul peut soigner et accompagner». Sur ces 12 000 prisonniers, 4 000 sont schizophrènes.
•En prison, il faut demander aux unités de soins palliatifs des hôpitaux d’accueillir les détenus en fin de vie ayant bénéficié d’une suspension de peine pour raison médicale (Sprm). Du début de l’application de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades jusqu’au 21 décembre 2004, 165 prisonniers ont eu droit à une Sprm alors que 320 en ont été privés et sont décédés en prison. Dans tous les cas, «les personnes très âgées, les grands handicapés et les sujets souffrant de graves troubles psychiatriques» devraient «quitter à jamais la prison». En 2005, 120 personnes sont mortes de maladie ou de vieillissement dans leur cellule et en 2003 plus de 5 000 personnes avaient un handicap au moment de leur incarcération. La proportion des détenus de plus de 60 ans a triplé en quinze ans pour atteindre deux mille.
Le droit à la protection de la santé et à la qualité des soins est par ailleurs compromis, souligne le Ccne, par les entraves pendant les consultations médicales et certaines mesures disciplinaires : les premières sont considérées «comme absolument inacceptables en dehors de circonstances exceptionnelles» et les secondes sont à réduire et à limiter dans leur durée. Chaque année, 122 détenus se donnent la mort (sept fois plus que dans la population générale) et le mitard (où l’on se donne la mort sept fois plus souvent qu’en cellule) est la deuxième cause de suicide.
Le comité d’éthique demande aux médecins et aux équipes soignantes de «favoriser les liens directs avec la population carcérale et d’être attentifs à tout ce qui provoque une dégradation de l’être, telles l’humiliation, la violence et la désespérance». Ils ont un «devoir d’ingérence dans les domaines où sont mis en jeu l’intégrité physique ou mentale du détenu, le droit à la protection de sa santé ou le respect de sa dignité humaine».
«Humaniser la prison serait faire preuve d’angélisme, mais cela ne doit pas nous empêcher d’essayer», commente le rabbin Haïm Korsia, membre du groupe de travail du Ccne (voir encadré). «L’avis lui-même finit par démontrer que les solutions qui se posent au corps médical se trouvent ailleurs que dans la médecine, ajoute l’un de ses collègues, sous le couvert de l’anonymat. Elles touchent à l’application des droits relatifs aux personnes vulnérables, aux choix budgétaires, à la gestion médiatique des peurs collectives ou à la montée en puissance de l’idéologie sécuritaire. La médecine arrive après la bataille s’il est vrai que la détresse des personnes est d’abord et avant tout une question de justice sociale.»
Un groupe de travail de 11 personnes
Le groupe Santé et médecine en prison du comité d’éthique, avec pour rapporteurs Chantal Deschamps, infirmière, et Jean-Claude Ameisen, responsable du comité d’éthique de l’Inserm, compte deux praticiens : les Drs Maxime Seligmann et Jean-François Bloch-Lainé, ainsi qu’un prêtre, Olivier de Dinechin, et un rabbin, Haïm Korsia. Il a consulté le Dr Catherine Paulet, médecin de prison à Marseille, Loïk Le Floch-Prigent, ancien patron d’Elf passé par la case prison, deux avocats et un surveillant.
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