ETIENNE-EMILE BAULIEU (Inserm), ancien président de l'Académie des sciences, Alain Fischer (Necker - Enfants-Malades), auteur de la première réussite mondiale en thérapie génique, René Frydman (Antoine-Béclère), qui a réalisé la fécondation in vitro du premier bébé éprouvette français, et Marc Peschanski (Henri-Mondor), un des rares scientifiques français à être autorisé à mener des recherches sur des cellules souches embryonnaires, sont à la fois enthousiastes et très inquiets. Leur enthousiasme provient de la récente réussite des chercheurs sud-coréens et britanniques, dont les travaux marquent une étape décisive vers la médecine régénératrice et les thérapies cellulaires (« le Quotidien » du 20 mai). Leur grande inquiétude, c'est le législateur français qui en est la cause, car il ne cesse d'entraver la recherche sur les cellules souches embryonnaires et en interdisant le clonage thérapeutique.
« Nous ne pouvons rester à l'écart de cette révolution scientifique, explique le Pr Marc Peschanski, directeur de l'unité neuroplasticité et thérapeutique de l'Inserm. Ce qui a été obtenu par les équipes coréenne et britannique, aurait très bien pu être effectué par l'équipe de Jean-Paul Renard (Inra, Jouy-en-Josas) si ce type de recherche était permis en France », déplore-t-il. En effet, pour ce spécialiste du transfert nucléaire chez le lapin, il n'est pas question de travailler sur le clonage thérapeutique à partir de cellules souches embryonnaires humaines : il risquerait sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende (loi bioéthique du 6 août 2004).
Un saut technologique.
Les travaux publiés par les biologistes sud-coréens marquent une étape importante vers la maîtrise du programme génétique. L'équipe dirigée par le Pr Woo Suk-hwang, de l'université nationale de Séoul, avait annoncé l'année dernière le premier clonage réussi d'une lignée de cellules souches embryonnaires humaines. Mais aujourd'hui, le transfert nucléaire est devenu pour eux une sorte de routine. « Ce qui était du ressort du miracle technique est devenu un outil pour la médecine régénérative », indique le Pr Peschanski.
Pour la première fois, les chercheurs ont réussi à isoler des lignées de cellules souches embryonnaires immunologiquement compatibles avec des patients. Les scientifiques ont d'abord recueilli des ovules provenant de 18 femmes volontaires. Ils ont ensuite retiré le noyau de ces ovules qu'ils ont remplacé par l'ADN issu de cellules cutanées appartenant à 11 personnes souffrant de pathologies (diabète juvénile, déficit immun génétique, traumatisme médullaire). Sur les 185 ovules prélevés au début de l'expérience, 31 ont pu se développer pour devenir des blastocytes. Et à partir de ces 31 blastocytes, les scientifiques ont pu isoler 11 lignées de cellules souches compatibles avec chacun des malades de départ.
Cette performance ne peut être comparée à leur précédente expérience : en 2004, l'équipe du Pr Woo Suk-hwang avait utilisé 242 ovules pour obtenir 30 blastocytes, dont un seul avait fourni des cellules souches cultivables in vitro.
Moins impressionnants, les travaux britanniques d'Alison Murdoch et de Miodrag Stojkovic, de l'université de Newcastle, confirment cependant que la technique du transfert nucléaire est aujourd'hui suffisamment maîtrisée pour qu'en moins d'un an une nouvelle équipe obtienne des résultats.
« Ce saut technologique », selon la formule du Pr Fischer, permet d'envisager trois différents débouchés : l'étude de traitements en médecine régénératrice, l'étude des physiopathologies et l'étude pharmacologique.
En termes de santé, les perspectives ne sont donc pas minces.
Arguments du législateur et contre-arguments.
L'interdiction du législateur français d'autoriser le clonage thérapeutique (certains préfèrent le terme « clonage scientifique ») se fonde sur trois arguments. La première objection est philosophico-religieuse. « Pour certains, l'embryon de six jours est déjà un être humain. Pour d'autres, il s'agit, à ce stade, d'un assemblage de 125 cellules encore indifférenciées, souligne Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la Recherche dans le gouvernement de Lionel Jospin. Devant l'impératif de laïcité, on ne peut admettre que le législateur transforme un article de foi en article de loi. Pourquoi alors avoir autorisé l'IVG jusqu'à la 14e semaine ? ».
Deuxième objection : autoriser le clonage thérapeutique mènerait tout droit au clonage reproductif. « Il ne doit pas y avoir d'ambiguïté entre ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. Le clonage reproductif est formellement interdit (sous peine de trente ans de réclusion, selon la loi du 6 août 2004), rappelle le député. Le clonage thérapeutique doit bénéficier d'un cadre réglementaire et transparent. »
Cependant, répondent les détracteurs, la technique initiale reste la même. « Il est techniquement faux, selon les travaux menés en épigénétique, de prétendre que le clonage thérapeutique favorise le clonage reproductif », fait remarquer le Pr Fischer. En effet, si les anomalies génétiques ne sont pas gênantes au stade des lignées de cellules souches, elles ne permettent pas d'envisager une réimplantation.
Enfin, dernier argument : le risque d'un commerce des ovocytes nécessaires au clonage thérapeutique. En réalité, argumente Roger-Gérard Schwartzenberg, ce risque n'existe pas en France où la loi impose la gratuité du don. « En outre,les travaux coréens montrent que les ovocytes nécessaires pour cette technique sont beaucoup moins nombreux que ce que les scientifiques pensaient au départ », ajoute le Pr Marc Peschanski.
La proposition de loi de Roger-Gérard Schwartzenberg propose donc, d'une part, d'autoriser les recherches sur le clonage thérapeutique (comme de nombreux pays, dont la Grande-Bretagne, la Suède, Israël, la Chine, la Corée du Sud et les Etats-Unis, à condition que les fonds soient privés), et, d'autre part, de poser de nouveau en principe l'autorisation des recherches sur les cellules souches embryonnaires, actuellement tolérées à titre dérogatoire par la loi du 6 août 2004. « Je fais cette proposition de loi à titre personnel pour éviter tout clivage politique, précise le député. Ce qui est en jeu, c'est le progrès scientifique et le droit des malades. »
Les Pr Baulieu, Fischer, Frydman et Peschanski sont prêts à mettre leur nom au bas d'une pétition, au cas où la proposition de loi ne serait pas rapidement inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale par le gouvernement. Car les conséquences de cette opposition législative commencent à se faire sentir dans les rangs des jeunes chercheurs français, qui voient à l'étranger d'autres possibilités.
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