« SI J'AI PEUR en sortant avec le Samu ? Non, sûrement pas », explique un jeune médecin urgentiste qui travaille dans un Smur de grande banlieue parisienne. « En vieillissant, j'ai plus de doutes lors de mes sorties, mais je n'ai toujours pas peur », nuance un pionnier du Samu dans une grande ville du Sud.
« Pourtant, c'est dans les équipes de service médical d'urgence que le taux d'alcoolisation et de recours aux médicaments psychoactifs est élevé. C'est aussi dans cette population de soignants que le taux de suicides est le plus important », analyse le Dr Louis Jehel, responsable d'unité de psychiatrie et de psychotraumatologie au CHU Tenon, à Paris. Ce psychiatre connaît bien le milieu de l'urgence, qu'il a fréquenté pendant dix ans, en parallèle avec sa spécialisation en psychiatrie. « Tous les médecins du Samu n'ont pas tous la même perception du stress et de la peur. Ces notions font en effet référence à un état émotionnel préexistant, parfois influencé par la situation à laquelle ils sont confrontés. Ils réagissent par analogie avec leur vécu, mais, pour certains - en particulier ceux qui souffrent de burn out -, le trop-plein émotionnel personnel empêche de ressentir de nouvelle émotions. »
Il existe pourtant un fonctionnement psychologique particulier, l'alexithymie, qui s'accompagne d'une incapacité à ressentir ses propres émotions et qui conduit à fonctionner par automatisme. Ce mécanisme cognitif peut être inné ou être mis en place de façon acquise afin de rendre la stratégie technique plus performante. « Mais cette limitation aux tâches techniques peut aussi entraîner une déshumanisation dans la prise en charge des patients et de leurs familles. Cette déshumanisation a principalement pour but de lutter contre l'onde de choc émotionnelle, car il ne faut pas l'oublier, la peur est contagieuse », continue le Dr Jehel.
Parmi les situations les plus anxiogènes, les équipes de Samu citent la prise en charge des enfants, des jeunes, mais aussi tous les événements imprévisibles. « Globalement, plus il existe une adéquation entre moyens ou compétences et degré d'urgence, plus la situation sera anticipée avec calme. La cohésion de l'équipe joue aussi un rôle majeur, pourtant, dans de nombreux Samu, les équipes ne sont pas désignées par affinité », analyse le Dr Jehel.
Pour faire face aux situations d'urgence, le recours à l'alcool, au tabac et aux substances psychoactives autoprescrites reste très fréquent. « Sous prétexte d'un manque de sommeil, les soignants s'autoadministrent, sans surveillance et dans l'ignorance des médecins du travail, certains des médicaments auxquels ils ont accès. Il faut aussi savoir que lorsque les émotions ne sont pas extériorisées et qu'elles évoluent pour leur propre compte, elles peuvent favoriser certaines pathologies somatiques, telles que l'asthme ou certaines dermatoses. Enfin, presque tous les soignants de Samu ont un jour été confrontés au suicide d'un collègue, acte qu'ils considèrent le plus souvent, a posteriori, comme assez prévisible. »
Protégés par la motivation.
Dans un contexte d'optimisation des soins hospitaliers, où en sont les équipes de soignants confrontées à l'urgence ? « Le profil des équipes de Smur a nettement changé au cours des années. La féminisation de la profession a permis une plus grande liberté de parole dans le domaine des émotions, et les plaintes, voire les pleurs, sont désormais considérées comme le corollaire possible d'un travail particulier dans lequel la recherche de situations nouvelles - donc, stressantes - est particulièrement appréciée. Il faut aussi noter que l'intensité de l'engagement et de la motivation des équipes Samu-Smur les protège sans doute de la perception de peur, même en situation difficile. De même, leur bonne connaissance technique et la généralisation des procédures permettent de faire face à des situations éprouvantes avec efficacité. Mais certains banalisent leur recours à des anxiolytiques, ce qui contribue à laisser moins d'espace relationnel pour parler de ce que l'on a ressenti, notamment le stress et la peur. »
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