« CANNES n'est pas un sanctuaire protégé des bruits et des rumeurs du monde », dit le directeur artistique Thierry Frémaux, seul responsable cette année de la sélection. Une évidence qui se constate chaque année sur les écrans du festival et souvent dans les rues de la ville. Un lieu où sont réunis des milliers de professionnels et 4 000 journalistes venus du monde entier n'est-il pas idéal pour qui veut se faire entendre ? Sauf qu'il y a de la concurrence et que chacun, à Cannes, a des préoccupations particulières.
Les intermittents du spectacle, dont les représentants disent ne pas vouloir empêcher les projections, seront donc de la partie. Ils espèrent le soutien de cinéastes engagés comme Ken Loach ou Michael Moore, qui présente en compétition « Fahrenheit 911 » (sur le 11 septembre et la politique étrangère de Bush). Ils ont déjà reçu celui de Jean-Luc Godard et de cinéastes français présents dans la sélection : « Si les intermittents n'existaient pas, nos films n'existeraient pas », disent Agnès Jaoui, Tony Gatlif, Raymond Depardon, Benoît Jacquot et quelques autres. Et les altermondialistes pourraient aussi venir faire un petit tour sur la Croisette.
Le bonheur d'un cinéphile.
Cela ne devrait pas troubler le bonheur de Quentin Tarantino qui, à 41 ans, s'affirme le plus jeune président de jury du festival.
« Pour un cinéaste cinéphile, il n'y a pas de plus grand rêve que de participer au jury de Cannes », dit-il. Et il affirme que si sa maison devait brûler, il sauverait en priorité la palme d'or obtenue en 1993 pour « Pulp Fiction ». Tarantino n'est pas venu les mains vides : il présentera, hors compétition bien sûr, « Kill Bill Volume 2», ce qui vaudra aux festivaliers le plaisir de la présence d'Uma Thurman.
Autour de lui, pour juger les 18 films en compétition, les acteurs Benoît Poelvoorde, Emmanuelle Béart, Tilda Swinton, Kathleen Turner, les réalisateurs Jerry Schatzberg et Tsui Hark, l'écrivain haïtienne-américaine Edwige Danticat et le critique Peter von Bagh.
Peter Sellers, Che Guevara et la Bosnie.
« Je ferai en sorte que les seuls critères entrant en jeu, lors des délibérations du jury, soient cinématographiques », affirme le président du jury. Comment comparer un dessin animé (« Shrek 2 ») et un film qui évoque la vie de Peter Sellers (avec Geoffrey Rush et Charlize Theron, signé Stephen Hopkins), un road-movie (« Diaros de motocicleta », de Walter Salles, le voyage initiatique du jeune Che Guevara à travers l'Amérique latine) à un remake d'une comédie classique (« Ladykillers », des frères Coen, avec Tom Hanks) ? C'est tout l'intérêt d'un festival, qui, pour un film, peut être la meilleure ou la pire des choses. Des cinéastes français en ont fait l'amère expérience. Cette année, ils sont trois à s'y risquer : Olivier Assayas avec « Clean » (une femme qui veut récupérer son fils), Agnès Jaoui avec « Comme une image » (un film de groupe autour d'une jeune fille qui en veut au monde entier, jouée par Mary-Lou Berry) et Tony Gatlif avec « Exils » (l'errance de deux enfants d'exilés, Romain Duris et Loubna Azabal, qui n'ont en commun que le sexe).
Emir Kusturica, lui, n'a pas à se plaindre du festival, qui lui a déjà accordé deux palmes (« Papa est en voyage d'affaires » en 1985 et « Underground » en 1995). Il présente « la Vie est un miracle », qui se situe au début de la guerre de Bosnie. L'Asie est, comme souvent, bien représentée, avec deux films coréens (signés Hong Sang-soo et Park chan-wook), un film thaïlandais (d'Apichatpong Weerasethakul), deux films japonais (de Kore-Eda Hirozaku et de Oshii Mamoru, un manga) et un film chinois (« 2046 », de Wong Kar-wai, qui reconstitue le couple de « In the Mood for Love », Tony Leung et Maggie Cheung). L'Italie est en compétition avec « les Conséquences de l'amour », de Paolo Sorrentino (un misanthrope enfermé depuis huit ans dans une chambre d'hôtel), l'Allemagne avec « Edukators », du jeune Hans Weingartner (il a 28 ans, c'est son deuxième film) et l'Argentine avec « La Niña sante », de Lucrecia Martel.
Enfer et paradis.
C'est Pedro Almodovar qui ouvrira ce soir le festival avec « la Mauvaise Education » après une cérémonie présidée par la belle Laura Morante*. La clôture se fera en musique avec « De-Lovely », biographie de Cole Porter (incarné par Kevin Kline) réalisée par Irwin Winkler, soirée qui sera l'occasion de fêter les 80 ans de la MGM. Entre temps on aura voyagé, avec les films hors compétition, de la Grèce antique (« Troie », de Wolfgang Petersen avec Brad Pitt) au Brésil (documentaire sur Glauber rocha) en passant par l'Iran (« Five », cinq images d'une plage, par Abbas Kiarostami), la Chine (amour et arts martiaux au IXe siècle, par Zhang Yimou) ou le monde entier (« Mondovino », documentaire de Jonathan Nossiter). Sans oublier l'enfer, le purgatoire et le paradis vus par Jean-Luc Godard dans « Notre musique ».
Avec la section Un certain regard (Youssef Chahine, Benoît Jacquot, Sergio Castellitto, Sembene Ousmane...), dont les films valent généralement ceux de la compétition, ce sont 56 longs métrages qui composent la sélection officielle. Il faut y ajouter la Semaine de la critique et la Quinzaine des réalisateurs, qui permettent de découvrir de nouveaux cinéastes ou de confirmer des talents.
Cannes c'est aussi et enfin un lieu de rencontres. La nouvelle Europe sera au rendez-vous avec une journée sur le thème « Devenir cinéaste en Europe » à laquelle sont conviés les 25 ministres de la culture et qui aura pour invité d'honneur Milos Forman. Les patrons de studios se retrouveront les 15 et 16 mai pour parler principalement du piratage. Stephen Frears donnera la Leçon de cinéma, le grand Max von Sydow inaugurera la Leçon d'acteur et Lalo Schifrin fera la Leçon de musique.
Tout cela pour célébrer le cinéma, usine à rêves et miroir du monde.
* En clair sur Canal+ à partir de 19h30.
En livres
Journaliste, Henry-Jean Servat connaît bien le monde du cinéma et ses vrais ou faux secrets. Dans « la Légende de Cannes » (Assouline, 168 pages, 39,80 euros), il en fait un abécédaire qui raconte un monde brillant et impitoyable. Isabelle Adjani le dit dans sa préface : « A Cannes, j'ai vécu, comme beaucoup, des moments de grâce ; comme moins d'autres, quelques instant de disgrâce (...) Mais aussi des sourires et des compliments partant du cœur. Et pour finir, comme tout le monde, des petits meurtres entre amis et les larmes qui en découlent. »
Yves Manciet avait 21 ans en 1946, lors du premier festival et faisait partie des six photographes qui avaient le droit d'approcher les vedettes. Dans l'album « Cannes premières années » (Thoba's éditions, 88 pages, 28 euros), il réunit quelques-unes parmi les photos de sa collection, portraits de vedettes pris sur le vif, en noir et blanc, restituant la légende en train de naître.
Tarantino en DVD
Quentin Tarantino, le président du jury, n'est pas seulement réalisateur, mais aussi scénariste et producteur. En témoignent les DVD collectors mis en vente aujourd'hui par Metropolitan Film & Vidéo et Seven sous le titre « l'Univers de Tarantino ». Voici « True Romance », écrit par Tarantino et réalisé par Tony Scott : le film a été remastérisé et le DVD propose 10 heures de suppléments exclusifs (3 disques). « Killing Zoe », écrit et réalisé par Roger Avary, témoigne de son talent de producteur (trois disques, dont les commentaires de l'actrice Julie Delpy). Scénariste, encore, pour « Tueurs nés », d'Oliver Stone (deux disques, avec les scènes coupées et la fin alternative). Enfin, « Reservoir Dogs », son premier film, dont il est le scénariste, version « director's cut » (trois disques).
Sur les écrans français
Plusieurs films présentés à Cannes sortent simultanément sur les écrans français. C'est le cas aujourd'hui de « la Mauvaise éducation », de Pedro Almodovar (deux jeunes garçons découvrent l'amour, le cinéma et la peur pendant les années soixante dans une école religieuse). Le 13 mai sortira « Troie », de Wolfgang Petersen, avec Brad Pitt dans le rôle d'Achille.
Dès le 14 mai on pourra voir « la Vie est un miracle », d'Emir Kusturica, et dès le 17 « Kill Bill Volume 2 », du président du jury Quentin Tarantino. Le 19 mai, on pourra découvrir « Notre musique », de Jean-Luc Godard, et « la Femme est l'avenir de l'homme », du Coréen Hong Sang-soo, et le 26 « Five », d'Abbas Kiarostami
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