LE GOUVERNEMENT a certes marqué sa détermination à poursuivre les réformes, mais pourra- t-il tenir bon face à l'ampleur de la protestation ? Non seulement il fait l'unanimité des syndicats contre lui, mais il travaille dans un contexte de mécontentement public qui ne favorise pas les décisions courageuses qu'il a déjà prises et qu'il est encore appelé à prendre.
Le conflit n'est pas que social, il est politique aussi : les positions de la majorité et de l'opposition sont tellement éloignées, au moins en apparence, car la gauche elle-même croit au bien-fondé de certaines réformes, que la bataille peut affaiblir le pouvoir au point qu'il soit obligé de reculer, de renoncer ou de recourir aux urnes.
La tactique de la diversion.
Mais avant d'en arriver à la crise de régime, le gouvernement utilisera tous les stratagèmes possibles. Il lui faut peut-être lâcher du lest sur les conflits qui ne sont pas induits par son programme ; par exemple, celui de la pêche, qui est lancinant et peut être réglé par, hélas, une nouvelle dépense publique sous la forme d'une subvention au carburant plus élevée. Non seulement les ports de pêche et de plaisance sont progressivement bloqués, mais le mécontentement des pêcheurs s'ajoute à celui des dockers qui font face, pour leur part, à une réforme du système portuaire, lequel, étant archaïque, est l'un des moins performants d'Europe. Cela fait beaucoup pour le seul littoral français et, au fond, chacun se demande si nous pouvons nous offrir toutes ces crises à la fois. Pour les lycéens et les enseignants, on peut toujours espérer que l'été, qui arrive, aura raison de l'agitation, mais ce n'est pas sûr du tout ; pour le reste, le pouvoir s'est spécialisé dans une tactique très militaire de diversion. C'est un peu ce que Nicolas Sarkozy a fait, quand, au soir d'une manifestation très suivie d'enseignants, le 15 mai, il a annoncé la mise en place d'un service minimum d'accueil pour les élèves que les parents ne peuvent pas garder pendant les jours de grève.
L'IDEE DE DEMANTELER LES 35 HEURES REVIENT A LUTTER CONTRE UN INCENDIE PAR UN CONTRE-FEU
Fuite en avant ? Vaccination plutôt : on combat la fièvre en déclenchant un autre foyer d'infection. Et ce n'est sans doute pas un hasard si, deux jours à peine avant la journée de protestation d'aujourd'hui, Patrick Devedjian, secrétaire général de l'UMP, a demandé le démantèlement des 35 heures. De cette intervention bizarre effectuée dans un contexte où l'on parlait d'à peu près tout, sauf du temps de travail, on a fourni plusieurs interprétations : ce serait l'UMP qui, une fois de plus, tente d'exister politiquement et se livre donc à une surenchère sociale ; c'est M. Devedjian qui souhaiterait donner un os à ronger à ses troupes ; c'est un coup du président qui, face à l'incendie, allume un contre-feu. Les trois explications n'en font qu'une probablement. Il n'est pas impossible que M. Devedjian et Jean-Pierre Raffarin, sonalter ego à l'UMP, qui s'est empressé de dire le contraire, à savoir qu'on ne toucherait pas aux 35 heures, et le ministre du Travail, Xavier Bertrand, qui a mis les points sur les i en expliquant que, pour payer les heures supplémentaires, il faut bien une durée du travail qui serve de référence, étaient d'accord pour organiser ce canon à trois voix. Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, l'affirme en tout cas, d'ailleurs sans animosité, tellement il est persuadé que, cette fois, il ne s'agit pas d'un couac de la majorité.
Mais le « complot » n'est pas sûr non plus, de sorte qu'à la protestation populaire semble s'ajouter, comme d'habitude, l'indescriptible désordre d'une majorité qui commettrait la faute d'ouvrir des plaies sans attendre que les précédentes soient pansées. Or un minimum de cohésion est nécessaire entre le pouvoir et les élus pour progresser dans des domaines où la résistance est de plus en plus forte.
L'opinion fait une overdose.
Même François Fillon envisagerait une pause : il voit fort bien que les réformes de structure déclenchent un charivari bien plus gros que les économies qu'elles apportent. La révision des politiques publiques se fera tout au long de l'année et peut-être même jusqu'à l'année prochaine, parce que l'opinion est en train de faire une overdose.
En fait, tout est affaire de dosage : poursuivre les réformes sans provoquer une explosion sociale ; parvenir à une réduction substantielle des déficits sans mettre des catégories entières de Français sur les genoux ; faire avaler le calice à l'opinion sans l'empoisonner.
Que dire, sinon que la tâche que ce gouvernement, finalement courageux, s'est imposée était déjà assez compliquée à accomplir pour qu'elle ne fût pas rendue impossible par les contradictions, par les discordances ou les discordes et par les divisions ?
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