DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
SUR LE PIGNON d'un immeuble de la grand-place du village, un grand drap orné d'un coeur et marqué « PHILIPPE, ON T'AIME » est resté déployé. Ici, dans ce bourg tranquille niché entre Alpes et Méditerranée, au bord de la route Napoléon, depuis l'arrestation de son médecin, à Abéché (Tchad), le 25 octobre, jusqu'à sa libération de la maison d'arrêt de Draguignan, le 31 mars, la population n'a pas relâché le combat. Banderoles, marches-défilés, pétitions ont été multipliées sans mollir jusqu'au grand happening du lendemain de la grâce signée Idriss Débi et le retour du médecin. Ambiance champagne, ovations et applaudissements. «On ne criait pas victoire, on ne prétendait pas que notre docteur est un héros, mais simplement nous manifestions notre bonheur: notre Philippe est enfin rentré chez nous», précise cette employée à l'hôtel du commerce. Les 1 500 habitants, qui se sont retrouvés jusqu'à 2 000 au sein du comité de soutien, feront encore la fête autour du Dr Van Wilkenberg le vendredi 25 avril. «Ce sera le grand banquet de la famille des Castellanais, explique le médecin, à la manière des épilogues festifs d'Astérix. Mais en aucun cas, il ne s'agit de parader. Simplement, après tous ces mois de mobilisation, je voudrais dire merci et bravo à tous ceux qui m'ont permis de sortir de là.»«C'est la fête des retrouvailles, de l'esprit de pays, un pays unanime autour de son médecin», confirme le Dr Michèle Gastaldi, l'associée, qui a fait tourner seule le cabinet pendant cinq mois, tout en assurant ses fonctions de conseiller général (PC) et maire de La-Palud-sur-Verdon, petit village voisin.
D'ici là, le médecin de L'Arche de Zoé, comme l'ont baptisé – à son grand dam – beaucoup de médias, est redevenu le médecin de Castellane. Après le temps des grandes palabres médiatiques à la sortie de la prison, mardi dernier, puis celui d'une brève retraite au bord de la mer, avec son épouse Tonia, à l'abri des paparazzi, et un week-end retrouvailles avec ses deux grands fils de 20 et 17 ans, juste le temps d'aller acheter à la FNAC le dernier Bashung et le dernier Cabrel, l'heure de la médecine rurale a de nouveau sonné.
Place du Souvenir, en face du monument aux morts, au rez-de-chaussée d'une imposante bâtisse du XIIIe siècle, qui abrita un couvent des Augustins, le généraliste a scotché lundi sur la porte-fenêtre de la salle d'attente un petit panneau : «DrVan Winkelberg, consultations sans rendez-vous.» Le matin, il a repris possession de son bureau et préparé ses instruments. Bizarrement, s'étonne-t-il, le téléphone n'a pas sonné. Après les flonflons, la reprise médicale va s'effectuer sur un mode discret, retenu.
Au déjeuner, c'est la transmission de cinq mois de nouvelles entre les deux associés. Le cabinet a remplacé son matériel informatique, l'hôpital local a signé une nouvelle convention tripartite avec le conseil général, tel spécialiste s'est installé dans la ville voisine, alors qu'un autre déménageait. Chronique médicale ordinaire d'un arrondissement de campagne.
La première patiente : "Comment allez-vous docteur?" (S. Toubon)La consultation commence.
Et puis la consultation commence. La première patiente, Mme C., pensait trouver l'associée. A sa sortie, elle n'en revient pas : «J'ai eu tellement de chagrin de le voir emprisonné, notre médecin, si honnête, si dévoué!», commente-t-elle. Aujourd'hui, en le voyant, c'est elle qui demande : «Comment allez-vous docteur?» Pour la dizaine de consultants qui se succèdent, ce sera la même question. Ils n'insistent pas davantage. Aujourd'hui, c'est un peu le monde à l'envers, c'est la santé du médecin qui inquiète d'abord ses malades.
A le voir ainsi détendu, souriant, le teint hâlé, il jouit d'une forme qui a de quoi surprendre, après l'automne et l'hiver qu'il a passés. «C'est son extraordinaire équilibre qui l'a préservé», constate avec ferveur Tonia, son épouse, plus amaigrie que lui par les événements. Après avoir perdu une quinzaine de kilos, des suites de la grève de la faim menée en décembre dans la prison de N'Djamena, il en a repris une dizaine et affiche une sérénité qui l'étonne presque lui-même, quand on lui en fait la remarque. « C'est vrai, c'est étonnant, j'ai retrouvé mes gestes, mon écoute, ma pratique de généraliste, comme si rien ne s'était passé depuis septembre.»
Quand il évoque ses incarcérations successives, il ne cache pas les moments dramatiques qu'il a pu vivre : «Les deux premiers jours qui ont suivi notre arrestation à Abéché, je me suis cru parfois proche du pire. Après la visite d'Idriss Déby, la garde présidentielle, Kalachnikov en bandoulière, nous a fait nous aligner le long d'un mur et cela ressemblait fort aux préliminaires du peloton d'exécution. Il y eut des insultes venues d'officiels, des manifestations d'une population tchadienne chauffée à blanc contre nous, la peur du lynchage. L'isolement, les procédures qui s'éternisent. Et malgré toutes ces images définitivement gravées dans ma mémoire, malgré toutes les abominations qui ont été répandues à l'envi contre nous, les condamnations venues des milieux intellectuels bien pensants, d'une certaine gauche vertueuse, malgré la solitude, j'ai pu tenir. Grâce à mon épouse, à ceux qui m'ont soutenu. En particulier grâce aux médecins. Ils ont été une centaine à m'écrire, sans une lettre de reproche. Et puis, en cinq mois, j'ai lu comme jamais, surtout des livres d'histoire, sur l'Egypte, l'Antiquité, le Moyen Age. C'est tout cela qui m'a fait tenir. Et rester fidèle à moi-même.»
Ce soir, Eric Breteau est l'invité de plusieurs plateaux de télévision. Rompant le silence à son tour, le président de L'Arche de Zoé développe, avec un sourire tranquille, son système de défense : l'attaque. Il dénonce, via leurs entourages, Bernard Kouchner, Cécilia Sarkozy, Rachida Dati. Sans oublier Rama Yade. Et il persiste et signe : «Les enfants que nous allions ramener en France pour les sauver, c'étaient bien des orphelins du Darfour.»
«Est-ce du délire, est-ce de la mythomanie, ou est-ce la pure vérité, se demande, perplexe, le médecin. Eric Breteau avance des arguments au sujet desquels, personnellement, je ne détiens aucun élément de preuve. Il a sa vérité. J'ai la mienne.»
Sur les murs du village, mes traces d'un combat (S. Toubon)Un embarras.
Refusant de charger le président de L'Arche, à la différence du logisticien Dominique Aubry, qui l'accuse de mensonge et de manipulation, le médecin, pour sa part, exprime un embarras : «Je suis gêné ce soir de l'entendre expliquer que sa volonté était, en accord avec le Quai d'Orsay, de provoquer un clash diplomatique international. J'aurais préféré qu'il accorde la priorité non à un coup politique, mais au sort des enfants.»
Breteau quitte les plateaux. Phillippe Van Winkelberg n'a pas fini sa première journée. Direction l'hôpital local : 80 lits en long et moyen séjour, dont quelques-uns médicalisés. Et, sur les portes, sa photo restée affichée. A chaque détour de couloir, les mêmes exclamations, embrassades, accolades, pour saluer le retour du président de la CME (commission médicale d'établissement). Infirmières, aides-soignantes, patients sont à l'unisson : «Ils ne vous ont pas trop démoli!», s'écrie l'un. «C'est grâce à vous», répond-il. Ce soir, il va voir la doyenne, Magdeleine L., 95 ans, qui le réclame. «Vous avez souffert?», s'enquiert la vieille dame, qui chuchote qu'elle a prié tous les jours pour sa libération. Le médecin prend sa tension. « Un peu élevée, commente-t-il. Forcément, c'est l'émotion.»
Le soleil s'est couché derrière la grande falaise du Roc, qui surplombe Castellane. Le parcours de médecin rural du Dr Van Wilkenberg vient de reprendre comme si, en apparence, rien ne l'avait contrarié. «Ce qui a changé, note le nouveau maire, Gilbert Sauvan, coprésident du comité de soutien, c'est que, avec cette affaire, nous n'avons jamais été aussi rassemblés et solidaires dans le village.»
Le généraliste ne cache pas qu'il savoure plus que jamais l'exercice de cette «autre médecine humanitaire», comme il la qualifie : «Une médecine où nous pouvons prendre en charge globalement tout le monde, SDF compris, sans être suspect d'aucune arrière-pensée, politique, idéologique ou autre.»
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