«G livec, c'est une aventure formidable», se remémore le Pr François Guilhot. Cette découverte est le fruit d'une réflexion entre des chercheurs des Laboratoires Ciba-Geigy, qui souhaitaient développer un médicament s'opposant à une cible moléculaire active dans le cancer. Ils ont choisi comme maladie la leucémie myéloïde chronique (LMC) car l'on savait à l'époque que cette hémopathie avait un lien direct avec une protéine anormale qui était responsable de tous les phénomènes de multiplication cellulaire, d'apoptose et de tumorogenèse. Ils ont fabriqué une nouvelle molécule et, quand ils ont constaté qu'elle était capable de bloquer l'action de la tyrosine kinase, ils ont demandé à un autre chercheur, Brian Druker, qui faisait des cultures de cellules leucémiques à Boston, de tester le produit sur ces cultures. Ce spécialiste a confirmé assez rapidement aux Laboratoires Ciba-Geigy, devenus Novartis, qu'ils détenaient une molécule extraordinaire qui allait révolutionner la médecine. «Mais il a fallu la ténacité de ce chercheur et six mois d'allers et retours Portland-Novartis pour convaincre les industriels en relation avec les chercheurs fondamentalistes d'aller plus loin.»
Novartis décide de fabriquer ce produit et de mettre en place des essais thérapeutiques. Et là tout s'enchaîne. «J'ai d'ailleurs été le premier médecin européen à traiter, sur les conseils de B.Druker, un de mes patients dans un état gravissime. Je le vois encore arriver dans le service, semi-comateux, amaigri de 15kg et en transformation blastique malgré deux greffes de moelle. On lui a donné 600mg de Glivec per os et, environ un mois plus tard, il était en rémission hématologique, puis cytogénétique, puis moléculaire. Je le suis toujours, il va bien, sa maladie a disparu. Certes, son envie de vivre et son jeune âge de l'époque (45ans) y ont contribué mais, quand même, c'est une victoire.»
Et toutes les phases expérimentales de Glivec s'enchaîneront avec succès. D'ailleurs, ce parcours exceptionnel sera marqué par l'approbation rapide de cette molécule par la FDA en 2001, puis en Europe en 2002.
Six ans de recul
En hématologie, on n'a pas l'habitude d'encenser un médicament à ce point-là, mais force est de constater que les qualités de Glivec sont plus qu'appréciables dans un domaine où l'obtention d'une amélioration thérapeutique est cher payée physiquement et moralement par le patient. Ce médicament se prend peros, n'entraîne ni alopécie ni vomissements et permet un traitement ambulatoire. «Il a permis d'observer pour la première fois un phénomène que nous n'avions jamais observé avec les thérapeutiques conventionnelles orales: la disparition du marqueur génétique de cette hémopathie maligne et l'on sait que cette rémission cytogénétique est corrélée à une augmentation de la survie.»
Deux publications ont montré que, dans la phase chronique de la LMC, les taux de réponses cytogénétiques sont au-delà de 80 % et que près de 90 % des malades sont en vie au bout de cinq ans. Les guidelines de 2006 bouleversent la prise en charge de la LMC : Glivec doit être le traitement de première intention quel que soit l'âge du patient. Les résultats obtenus avec cette molécule sont supérieurs à la greffe de moelle chez les sujets jeunes. Et l'on peut dire que, avec le recul de six ans de l'essai IRIS (International Randomized Study of Interferon and STI 571), les spécialistes ont obtenu ce qu'ils voulaient en terme de réponse sous Glivec.
Le prix du succès
Mais les recherches ne doivent pas s'arrêter pour autant, notamment parce qu'il faut endiguer le coût du traitement de la maladie. Le traitement de la LMC s'élève à environ 30 000-40 000 euros par patient et la prévalence de cette maladie rare (de 600 à 700 cas par an) augmente car les malades ne décèdent quasiment plus. L'objectif actuel est donc d'obtenir, d'une part, des guérisons plus rapides pour arrêter plus vite le traitement, d'autre part, d'arrêter Glivec avec l'espoir de constater des guérisons. Un protocole va commencer en France, ce mois-ci, et va consister à arrêter Glivec chez des patients en rémission moléculaire depuis deux ans. Un article paru en février a déjà démontré que les patients qui restent six mois sans rechuter ont une probabilité importante de ne pas rechuter. On pourra peut-être dire, bientôt, que Glivec guérit la LMC. n
Une parade aux résistances
Malgré les résultats de Glivec, des mutations ont été observées et d'autres inhibiteurs de la tyrosine kinase ont dû être mis au point pour faire face à l'émergence des LMC résistantes. Il s'agit du nilotinib (AMN107, Novartis) et du dasatinib (Sprycel, Bristol-Myers Squibb). Le nilotinib se fixe de façon plus intense que l'imatinib à l'ABL kinase. Le dasatinib se fixe sur le site de liaison de l'ATP de la protéine Bcr-Abl et bloque la transmission des signaux intracellulaires.
Sa puissance d'activité est importante et il est environ 350 fois plus puissant que l'imatinib sur les lignées cellulaires leucémiques invitro. Il s'est révélé capable d'agir sur la majorité des mutations connues à l'imatinib (à l'exception de la mutation T3151). En 2006, la Commission européenne a approuvé le dasatinib pour «le traitement des patients adultes atteints de LMC en phase chronique, accélérée ou blastique, en cas de résistance ou d'intolérance à un traitement antérieur, incluant l'imatinib mésylate».
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