DEPUIS UNE VINGTAINE d'années, le rôle protecteur des estrogènes contre les accidents vasculaires cérébraux était admis. Différentes études observationnelles, rétrospectives et interventionnelles avaient en effet rapporté des résultats positifs du traitement hormonal sur les pathologies coronariennes et vasculaires. C'est pour cette raison que la publication récente des résultats de deux études à large échelle – WEST et WHI – qui concluaient à l'absence d'effet des estrogènes, voire à une influence délétère de l'utilisation de ces hormones chez les femmes ménopausées, a soulevé un grand nombre de questions. Le travail de l'équipe du Dr Shotaro Suzuki* permet de répondre à certaines de ces questions en alliant la recherche fondamentale aux observations cliniques.
L'inflammation.
L'équipe avait déjà montré, entre 1998 et 2001, que le 17 bêta-estradiol administré à l'animal a une action neuroprotectrice dans un modèle expérimental d'accident vasculaire cérébral. Cet effet serait en rapport avec une altération de l'expression de divers gènes impliqués dans l'apoptose neuronale par le biais d'un récepteur alpha aux estrogènes (ER alpha). La stimulation de ce récepteur pourrait limiter l'inflammation qui se produit secondairement et qui joue un rôle majeur dans la survenue des lésions cérébrales que déclenchent des cytokines pro-inflammatoires produites localement et dans la circulation générale. La publication des résultats contradictoires de l'effet des estrogènes sur les accidents vasculaires cérébraux a conduit le Dr Suzuki à émettre l'hypothèse d'une modification des capacités de régulation anti-inflammatoire des estrogènes, selon le délai entre le moment de la ménopause et celui de leur prescription. Dans les deux études, WEST et WHI, les femmes incluses étaient traitées en moyenne douze ans après leur ménopause et toutes les femmes en hypo-estrogénémie depuis moins d'un an étaient exclues de façon systématique de l'étude.
Ischémie expérimentale.
Pour répondre à la question de l'effet des estrogènes selon le moment d'administration, le Dr Suzuki a élevé deux sous-populations de souris : les premières étaient castrées à l'âge de 19 semaines et traitées immédiatement par substitution en estrogènes ; les secondes étaient opérées à l'âge de 10 semaines et la substitution en estrogènes n'intervenait que 9 semaines plus tard.
Une ischémie expérimentale a été pratiquée chez tous les animaux et les auteurs ont mesuré le volume total de l'infarctus cérébral dans les sept jours suivant la ligature artérielle. Par rapport aux animaux témoins non traités, le volume des lésions cérébrales des souris qui avaient reçu un traitement estrogénique immédiatement après la castration était statistiquement diminué. A l'inverse, aucune différence n'a pu être détectée pour le second groupe d'animaux. L'examen histologique des cerveaux d'animaux des deux groupes a confirmé l'absence d'effet du traitement estrogénique différé sur la régulation des récepteurs ER alpha impliqués dans la lutte contre les phénomènes inflammatoires.
Le troisième temps du travail a consisté en une étude de la réponse pro-inflammatoire locale et générale dans les deux groupes de souris. Comme les résultats précédents le laissaient présager, chez les animaux qui avaient reçu une supplémentation estrogénique différée, le taux de MCP-1 et d'IL6 était similaire à celui des animaux témoins. En revanche, chez les souris qui avaient immédiatement reçu des estrogènes, la réponse inflammatoire périphérique était très atténuée par rapport aux autres animaux (baisse du taux d'IL6, TNF alpha, GM-CSF, IL5).
Pour les auteurs, «cette étude met en lumière l'intérêt de la mise en place d'une collaboration entre la recherche fondamentale et la recherche clinique pour mieux comprendre certains résultats d'études discordants, et elle peut permettre une remise en question des modalités du traitement hormonal substitutif chez les femmes ménopausées».
* « Proc Natl Acad Sci USA », édition avancée en ligne.
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