LE COLLOQUE « Réseaux de santé : mode d’emploi », organisé par les députés Claude Evin (PS) et Yves Bur (UMP), en partenariat avec « le Quotidien » (1), devrait s’ouvrir demain, à la Maison de la chimie, à Paris, dans un climat plutôt morose, compte tenu des déconvenues rencontrées par les promoteurs des réseaux cette année.
Le dernier « coup de bambou » est venu d’un arrêté ministériel (publié le 21 septembre) qui a réduit brutalement de 30 millions d’euros la dotation nationale de développement des réseaux pour l’année en cours, amputant chaque enveloppe régionale de près de 20 %. Tout comme la baisse des tarifs des cliniques au dernier trimestre, cette coupe budgétaire fait partie des dommages collatéraux du plan d’urgence décidé par le ministre de la Santé pour contenir les dépenses d’assurance-maladie au niveau de l’Ondam 2006.
Au printemps déjà, les acteurs de terrain avaient commencé à s’inquiéter au sujet du financement des réseaux de santé, quand un autre arrêté ministériel (paru le 8 avril) a inversé la répartition des ressources du Fonds d’aide à la qualité des soins de ville (Faqsv), au détriment des actions régionales. Désormais, ces dernières ne disposent plus que de 30 % de l’enveloppe globale du Faqsv (contre 80 % auparavant), afin de favoriser les projets d’envergure nationale tels que l’évaluation des pratiques professionnelles et le dossier médical personnel (DMP).
Le rapport de l’Igas.
Enfin, un rapport (2) de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a fait office d’avis de tempête (« le Quotidien » du 22 mai). Dans ce document, l’Igas reconnaît certes que «les réseaux de santé restent potentiellement intéressants, comme en témoignent les quelques réussites ponctuelles observées» (en particulier les réseaux gérontologiques promus par la Mutualité sociale agricole).
Mais les auteurs du document estiment que les actions nationales ou interrégionales financées par le Faqsv (dont 157 réseaux en 2004) «sont en majorité des échecs ou sont non concluantes » et que «les rares projets à l’intérêt potentiel ne sont pas suivis d’effet».
Le verdict de l’Igas est tout aussi sévère pour les 324 réseaux locaux financés en 2004 sur des crédits régionaux, via le Faqsv et les dotations régionales de développement des réseaux (Drdr). Le rapport juge leurs «résultats globaux très limités», tant du point de vue du service médical ou médico-social rendu, que du point de vue du caractère innovant de leur organisation de l’offre de soins, ou du nombre de patients pris en charge.
Quant aux évaluations médico-économiques, elles «apportent peu d’enseignements» et, en tout état de cause, le coût «élevé» des dispositifs rend «financièrement irréaliste» leur généralisation éventuelle. Sur le plan régional, poursuit l’Igas, les résultats des réseaux «sont le plus souvent potentiels et très rarement mesurés et démontrés», avec des nuances selon les cinq thématiques principales (cancer, gérontologie, diabète, soins palliatifs/douleur et périnatalité, qui mobilisent 57 % des financements). Maigre bilan au regard des «quelque 500millions d’euros versés aux projets financés» depuis la création du Faqsv et de la Drdr !
C’est pourquoi le rapport de l’Igas a recommandé une «refonte radicale» des modes de financement, impliquant à la fois une «fusion» du Faqsv et des Drdr par souci de simplification des procédures, «un pilotage profondément rénové de ce fonds unique» et enfin l’élaboration de cahiers des charges spécifiques pour chaque type de réseau.
«C’est n’importe quoi, car les inspecteurs de l’Igas ne sont même pas venus nous consulter et nous ont présenté un rapport déjà ficelé», lâche Michel Régereau, président du Faqsv national et de l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie (Uncam). Il est en «désaccord total» avec l’idée d’un fonds unique. «Cela aboutirait à une étatisation», souligne Michel Régereau. La mainmise de la Dhos sur le fonds unique induirait, selon lui, «la suppression des soins de ville» dans les projets parce que «les praticiens hospitaliers savent mieux monter des dossiers administratifs».
A ce jour, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (Plfss) pour 2007 ne reprend pas la proposition de fonds unique. Il reste qu’un amendement du gouvernement en ce sens est toujours possible, d’autant que le ministre Xavier Bertrand a laissé entendre en septembre qu’il donnerait suite au rapport de l’Igas (« le Quotidien » du 25 septembre).
Les acteurs des réseaux interrogés par « le Quotidien » se plaignent du «manque de visibilité pour 2007». Et, dans l’immédiat, ils se demandent bien dans quelles conditions ils vont boucler l’année après la réduction de 20 % de la Drdr. Le Dr Philippe Chossegros, président de la Coordination nationale des réseaux (CNR), y voit «le mépris de l’Etat pour ses engagements contractuels», mais aussi pour les patients et les «15% de professionnels de santé» concernés. «Cela met les régions dans des situations différentes selon leur taux d’utilisation des crédits, nuance toutefois le Dr Chossegros. Celles qui consommaient en totalité leur enveloppe se retrouvent dans une situation difficile.»
«On commence à prévoir des procédures de licenciement, à suspendre des formations, à geler certains projets sur lesquels on a déjà mis beaucoup d’énergie», confirme le Dr Noëlle Vescovali, présidente de la Fédération des réseaux de soins palliatifs (Respalif). «On est censé être créatif, inventer de nouveaux modes de rémunération, mais on est freiné, poursuit le Dr Vescovali. Il faudrait nous faire confiance, nous accompagner, donner les fonds nécessaires –ce qui ne représente pas un argent fou, car nous coûtons 0,25% du budget de l’assurance-maladie– et qu’ensuite on nous évalue.» La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), pour sa part, a écrit au ministre de la Santé, fin septembre, pour l’avertir des «conséquences graves» de sa décision budgétaire.
Lettre ouverte à Chirac.
De même, les 70 réseaux fédérés par l’Association nationale de coordination des réseaux diabète (Ancred) sont «tous touchés par la réduction de la Drdr». Selon le Dr Monique Olocco-Porterat, présidente de l’Ancred, les tutelles devraient «jouer un rôle d’accompagnement» des structures innovantes. Quant à l’évaluation des réseaux, elle doit avoir lieu, à condition de «donner les règles du jeu avant», précise le Dr Olocco-Porterat, en fixant « un cahier des charges contenant des items et des objectifs» dès le départ.
Claude Evin, qui cumule les casquettes d’élu parlementaire et de président de la Fédération hospitalière de France (FHF), partage les préoccupations actuelles des acteurs de terrain. «Aujourd’hui, tout le monde s’accorde pour reconnaître l’utilité de la démarche en réseau afin d’améliorer la qualité des soins et d’éviter les redondances dans la prise en charge des patients, déclare le député PS de Loire-Atlantique. Cela nécessite un financement particulier puisque le cloisonnement du système de santé entraîne un manque de fluidité. Si la dotation aux réseaux est réduite, on ne se donne pas les moyens de l’objectif affiché.»
«On est en train de casser la dynamique qui existait depuis dix ans» (3), résume le Dr Philippe Marze, gériatre coordinateur du réseau de maintien à domicile Emile dans les Yvelines. A l’initiative d’Emile, une dizaine de réseaux de santé sont sur le point de riposter, en faisant circuler une «lettre ouverte au président de la République». «On stoppe l’innovation des acteurs de terrain, écrivent-ils au président Chirac, tandis que ces derniers (...) travaillent depuis plus de dix ans à réduire les dysfonctionnements majeurs de notre système de santé.» Peut-être que Xavier Bertrand s’efforcera demain de les rassurer malgré tout.
(1) Renseignements et inscriptions : Staut & Associés. Tél. : 01 43 80 62 26. Programme : www.stautassocies.fr.
(2) Le rapport définitif de l’Igas intitulé « Contrôle et évaluation du Fonds d’aide à la qualité des soins de ville (Faqsv) et de la dotation de développement des réseaux (DDR) » a été publié à la Documentation française. www.ladocumentationfrancaise.fr.
(3) Les premières expérimentations (filières et réseaux Soubie) ont été lancées par un ordonnance Juppé de 1996.
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