LE Dr MICHEL BALLEREAU fait partie d'un club extrêmement privé : les médecins énarques. On les compte sur les doigts des deux mains. Pour sa part, après avoir fait de la recherche clinique, puis dirigé un service de pneumologie et après être passé par l'industrie (responsable du département médical chez Roger Bellon), poussé, avoue-t-il, par son goût du défi, il a décidé de tenter le concours de l'ENA. «Mais je n'avais nullement renoncé à ma vocation, soutient-il. Je voulais continuer à travailler dans l'univers de la santé. L'ENA m'a simplement apporté un savoir-faire assez peu répandu: le bilinguisme culturel. Que j'écoute ceux que l'on appelle les technocrates, ou les médecins, je n'ai pas besoin de faire appel à des traducteurs pour analyser et comprendre ce qui est dit.»
De fait, devenu haut fonctionnaire, le Dr Ballereau ne s'est aucunement éloigné de la médecine ; intégrant la Direction générale de la santé, il a travaillé tout d'abord sur le sida à la DGS, puis il est devenu directeur de cabinet du Pr Joël Ménard, alors directeur général de la santé. En dernier lieu, jusqu'à la semaine dernière, il était directeur de l'ARH (agence régionale de l'hospitalisation) de Bourgogne.
Toujours de garde en urgence.
La même cohérence médicale anime le Dr Catherine Génisson, par d'autres chemins. Le but premier de cette anesthésiste-réanimatrice avait toujours été de devenir médecin. Mais, dans son cas, c'est la voie du militantisme qui l'a, insensiblement, amenée à une reconversion. D'abord élue maire adjoint (PS) d'Arras, elle reste PH au CH du chef-lieu du Pas-de-Calais et, quand elle est élue pour la première fois à l'Assemblée nationale, elle doit demander son détachement administratif de l'hôpital, tout en restant vacataire, avec une garde de régulation au moins un week-end par mois.
«Moi, ma promotion personnelle, explique-t-elle, ma promotion sociale, je les ai acquises par mon métier de médecin. Tout ce que je suis, je le dois à la médecine.»
Le Dr Jean-Christophe Rufin fournit un autre bel exemple de parcours en apparence extramédical, mais, en réalité, le prix Goncourt 2001 reste foncièrement médecin : «La médecine, affirme-t-il, c'est mon engagement de départ et de toujours. J'ai pu renoncer à la sécurité d'une carrière hospitalière toute tracée (il est spécialisé en neurologie et en psychiatrie) pour me lancer dans l'humanitaire, puis dans la vie complètement aléatoire des cabinets ministériels, et, enfin, dans l'écriture. Mais, au-delà de ces successives mises en danger, je suis resté fidèle à ma vocation.»
Quand il a décidé de faire Sciences-Po et qu'il s'est tourné vers la géopolitique, la géostratégie et la sociologie, il semblait s'éloigner, mais il sortait en fait de la bulle occidentale pour s'attaquer à une médecine militante en territoire de misère. Ainsi est-il devenu french doctor, à MSF, puis président d'ACF (Action contre la faim), ONG dont il reste aujourd'hui président d'honneur. Ses livres sont remplis de ses expériences médicales et ethnographiques du bout du monde, comme le dernier en date, « le Parfum d'Adam » (Flammarion), qui conduit des ghettos pour milliardaires du lac Léman aux territoires indiens d'Amérique.
Le Dr Bertrand Piccard est un autre flamboyant exemple de ces praticiens qui ont arrêté de faire de la médecine, mais qui jurent qu'ils n'ont rien renié de leur vocation médicale dans leur nouvelle ville. Lui aussi psychiatre, il a connu ses heures célestes en bouclant le premier tour du monde en ballon au mois de mars 1999. Aujourd'hui, il poursuit son inlassable recherche du sens de la vie en se partageant entre l'aventure, avec le projet Solar Impulse (faire décoller et voler un aéronef avec l'énergie solaire), ses activités humanitaires (présidence de la fondation Winds of Hope) et encore quelques patients qu'il continue de suivre. Il affirme qu'en tout cela il ne s'est pas reconverti, mais qu'il diversifie son «combat contre la souffrance et pour la paix.»
Le déclic qui fait tout basculer.
Mais la reconversion peut passer par la rupture. Surgit sur une voie apparemment toute tracée, l'événement qui va faire dévier la trajectoire professionnelle d'une manière non préméditée. Tout bascule. « Le déclic », comme dit, par exemple, le Dr Françoise Boucher. Le destin de cette radiologue, fille de radiologue, semble scellé jusqu'au jour où il lui faut remplacer son matériel de radiologie. «C'est l'énormité du budget qui me fournira le déclic. J'avais 40ans, et, jusqu'alors, j'avais fait plaisir à tout le monde. J'ai décidé que je me ferai plaisir à moi-même.» Et c'est ainsi que le Dr Boucher, après quelques années d'études redémarrées de zéro (droit, puis école nationale de la magistrature), est devenue le conseiller à la cour Hélène Boucher. Elle reste inscrite à l'Ordre des médecins, mais a résolument décroché le caducée pour revêtir la toge ourlée d'hermine.
Pour le Dr Victor Schlogel, chirurgien branché people dans une clinique de Saint-Tropez, c'est une hépatite carabinée dont il réchappe après six mois de lutte incertaine qui va changer sa vie. Il entreprend alors le récit de ses souffrances, « De l'autre côté du bistouri »,sans savoir que s'ensuivra une seconde vie, un deuxième métier, qui le fait caracoler depuis trois décennies maintenant dans les hit-parades des plus grands succès éditoriaux.
Dans le cas du Dr Stéphane Monti, c'est la désillusion ressentie dans la pratique solitaire du généraliste, «le décalage insupportable» entre l'image qu'il se faisait de la médecine et sa réalité concrète qui va le conduire à se remettre radicalement en question. Après un nouveau cursus universitaire (Institut supérieur des affaires), le voilà happé dans le secteur de la distribution. Sans regret, confie-t-il, quand il lit dans « le Quotidien » les nouvelles de la profession et qu'il se dit que, «décidément, l'avenir médical est bien sombre».
Parfois, il y a deux vocations qui s'entrechoquent. C'est ce qui est arrivé au Dr Bruno Cadoré, quand, brillant chef de clinique au profil d'agrégé, il a décroché de l'hôpital universitaire pour entrer au noviciat des dominicains. Devenu religieux prêcheur, il a pu pendant une quinzaine d'années vivre en symbiose ses deux vocations, passant l'agrégation d'éthique médicale et devenant enseignant-chercheur à la faculté catholique de Lille. Mais, élu provincial de son ordre, en 2001, il lui a bien fallu trancher et larguer les amarres médicales. En effet, la vocation médicale mène à tout, à condition d'en sortir.
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