EN MATIERE de viols, « le problème de la récidive est récidivant » à la une des médias, se plaît à remarquer le Dr Bernard Cordier (hôpital Foch, Suresnes), pionnier français du traitement médicamenteux des déviances sexuelles. Les arrestations de deux violeurs en série, Jean-Luc Cayez à Soisy-sur-Seine (Essonne) et Patrick Trémeau à Paris, dans la semaine du 19 au 24 septembre, illustrent le mot de l'expert-psychiatre près les tribunaux.
Le premier, qui a reconnu le viol suivi du meurtre d'une jeune femme de 24 ans, s'est retrouvé à deux reprises en prison pour violences sexuelles. Le second, dit « le violeur des parkings », est condamné une première fois à sept ans de prison en 1987, puis, mis en liberté conditionnelle, il commet 14 viols, ce qui lui vaut seize années de réclusion criminelle. Libéré en mai dernier, après avoir « fait son temps », compte tenu des remises de peine, il viole à nouveau trois femmes.
Si pour les agressions sexuelles sur enfants (1), « qui se révèle pédophile un jour, l'est pour toujours », comme on dit au Québec, il n'en va pas de même des violeurs de femmes. Les récidivistes, dans ce cas, sont en nombre limité. Sur une moyenne annuelle de 2 150 violeurs condamnés - d'adultes (1 600) et d'enfants (550) confondus - la Chancellerie rapporte un taux de récidive de 1,1 % en treize ans, soit entre 15 et 30 violeurs qui repassent à l'acte par an (voir tableau). Pour l'ensemble des crimes, la récidive s'élève à 2,4 %, et à 8,2 % pour les vols avec aggravation.
Déviance sexuelle exclusive rime avec récidive.
Le Dr Bernard Cordier explique la récidive, d'un point de vue clinique, chez le sujet présentant une paraphilie exclusive. Qui est pédophile, sadique, exhibitionniste ou voyeuriste « ne parvient pas à une activité sexuelle. Il n'a pas de désir, il est impuissant ». Aussi, être atteint d'une déviance sexuelle exclusive « multiplie le risque » de recommencer. Sans doute, Jean-Luc Cayez et Patrick Trémeau sont-ils des pervers sexuels exclusifs, qui, « à défaut d'avoir besoin du consentement de leur partenaire, réclament leur résistance ». Les seules alternatives possibles à l'acte criminel sont « l'abstinence, la transgression ou la prison », commente le praticien. Avec un violeur sadique, chez qui la paraphilie est exclusive, « nous ne sommes ni dans le viol en temps de guerre, ni dans le viol quiproquo, illustré par le macho affirmant que si une femme dit non c'est qu'elle pense oui , poursuit-il. Et on ne peut espérer de la sanction pénale qu'elle soit dissuasive et efficace ». La perpective de la privation de liberté n'est pas aussi forte que la pulsion de viol qui assaille un paraphile exclusif, souligne le psychiatre. Comme si, inéluctablement, déviance sexuelle exclusive rimait avec récidive.
Un bracelet électronique pour le suivi socio-judiciaire.
Alors que faire face à un Jean-Luc Cayez ou à un Patrick Trémeau ? Depuis peu, il existe un moyen légal de contrôler médicalement la libido, grâce à l'Androcur qui bénéficie d'une extension d'indication pour la réduction des pulsions dans les déviances sexuelles en association avec une prise en charge thérapeutique (« le Quotidien » du 12 septembre). En Belgique ou aux Pays-Bas, même si un violeur a payé sa dette à la société, il peut faire l'objet d'une restriction de liberté au nom de « la défense sociale » et se retrouver dans un centre pour personnes présentant « une dangerosité criminologique ». Le groupe santé-justice, présidé par Jean-François Burgelin, qui a remis son rapport en juillet 2005, avait pensé à une telle formule. Elle est rejetée par les psychiatres. « Ce n'est pas parce qu'il a fait son temps de prison, et voire plus, que le paraphile exclusif va s'arrêter », insiste le Dr Cordier. En revanche, le praticien juge que la loi du 17 juin 1998 sur la prévention et la répression des infractions sexuelles et la protection des mineurs, avec sa peine complémentaire de suivi socio-judiciaire (injonctions de soins) prononcée le jour de la condamnation, qui s'applique à la sortie de prison, est une bonne loi. « Il faut la rendre applicable », lance-t-il. Pour l'heure, faute de psychiatres et de personnels judiciaires et sociaux en nombre suffisant, la promesse du législateur de faire suivre 15 000 personnes reste un vœu pieux.
Les choses pourraient évoluer, éventuellement, avec la proposition de loi sur le traitement de la récidive des infractions pénales, lancée en 2004 par Pascal Clément, aujourd'hui Garde des sceaux. Adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 16 décembre 2004 et par le Sénat le 9 février 2005, elle sera examinée en deuxième lecture par les députés les 13 et 14 octobre. Pour les auteurs de crimes, quels qu'ils soient, les remises de peines automatiques sont diminuées de trois à deux mois la première année d'incarcération, puis de deux à un mois pour les années suivantes, et de sept jours par mois à cinq jours pour les condamnations inférieures à un an. En ce qui concerne les délits et crimes sexuels, le texte prévoit « une évaluation systématique de la dangerosité » du condamné récidiviste à cinq ans et plus avant sa sortie de prison. En outre, le port du bracelet électronique, dans le cadre du suivi socio-judiciaire, devient la règle pour les sortants récidivistes durant une période de trois ou cinq ans, selon qu'il s'agit d'un auteur de délit ou de crime, renouvelable une fois.
Enfin, la libération conditionnelle, pour les criminels sexuels ne peut être accordée qu'après qu'ils ont passé 1dix-huit ans derrière les barreaux, au lieu de quinze actuellement. Ce « temps d'épreuve » passe à vingt-deux ans pour les récidivistes, sauf en cas de période de sûreté. Toutes les dispositions applicables aux récidivistes le sont également aux auteurs d'assassinat avec actes de barbarie et les crimes précédés de séquestration (2).
Pour le Syndicat de la magistrature, estime que « l'emprisonnement ferme n'est pas un outil de prévention », « ce texte fait prévaloir la circonstance de la récidive sur les autres éléments, notamment de personnalité ». On notera qu'en règle générale, la récidive est moins fréquente chez les personnes condamnées à des peines alternatives à la détention (travail d'intérêt général libération conditionnelle).
(1) Pour l'inceste, la récidive n'existe pas.
(2) Ces mesures adoptées par la commission des lois de l'Assemblée, en juillet 2005, seront examinées en séance publique. La proposition de loi contient, par ailleurs, un amendement du gouvernement imposant une expertise médicale semestrielle aux détenus dont la peine est suspendue pour raison de santé.
Nombre de violeurs |
|||||||
Victimes | 1999 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004* | 1999-2004 |
Enfants (moins de 15 ans) | 602 | 583 | 571 | 535 | 571 | 620 | 3 482 |
Femmes | 1 845 | 1 623 | 1 656 | 1 582 | 1 710 | 1 744 | 10 160 |
Source : ministère de la Justice. * Chiffres provisoires |
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