SON PARCOURS est classique. Laurence, 35 ans, a toujours eu des problèmes de poids et a multiplié les régimes depuis vingt ans. Quand elle a arrêté de fumer, «ça a été l'escalade», explique-t-elle. Onze kilos en huit mois, et de plus en plus de mal à accepter son image. «Dans notre société, le problème de l'image se pose tout le temps. Même si on le vit bien, il y a toujours un regard ou des remarques péjoratives qui font souffrir», raconte-t-elle. Des amis lui avaient conseillé le service du Pr Arnaud Basdevant, alors à l'Hôtel-Dieu, mais, lorsqu'elle s'est décidée à appeler, il y avait quatre mois d'attente. Après une première consultation, elle vient aujourd'hui pour une hospitalisation en hôpital de jour et un bilan complet.
Comme Laurence, des patients toujours plus nombreux sont accueillis dans le service du Pr Arnaud Basdevant, transféré depuis juin à la Pitié-Salpêtrière. Centre de référence de l'obésité, il forme, avec les services des Prs André Grimaldi (diabétologie), Eric Bruckert (endocrinologie-métabolisme), Frédéric Kutten (endocrinologie et médecine de la reproduction) et du Dr Gilbert Peres (physiologie du sport), un pôle d'excellence en « endocrinologie-diabétologie-métabolisme-nutrition- activité physique-prévention vasculaire ».
«Nous recevons une centaine de demandes par semaine, explique le Pr Basdevant. Malheureusement, nous sommes obligés de faire une sélection en fonction de l'âge et de la gravité de l'obésité.» Les patients consultent spontanément ou parce qu'ils ont été adressés par leur médecin traitant. C'est le cas de Johan, 33 ans. Ses problèmes de poids remontent à une dizaine d'années. Grâce à une pratique sportive intensive, il a perdu 25 kg. Des soucis médicaux et affectifs ont déclenché une nouvelle prise de poids. L'alimentation est devenue pour lui «un refuge face au stress».
Après la prise de sang, la série d'examens du matin (DEXA pour la composition corporelle, mesure calorimétrique de la dépense énergétique au repos) et la première évaluation individuelle réalisée par une diététicienne, Laurence et Johan se sont retrouvés à l'atelier nutrition. Ce qu'ils apprécient le plus, «c'est de se sentir accueillis. Les locaux et le matériel sont adaptés. Les fauteuils sont larges et sans accoudoirs. C'est agréable», témoigne Laurence.
Boeuf à la bière et gâteau à la banane.
Les ateliers nutrition ont été créés il y a vingt ans à l'Hôtel-Dieu. Objectif : sortir des régimes stéréotypés purement restrictifs et des interdits alimentaires qui entretiennent le cercle vicieux de l'obésité. Au menu, convivialité et plaisir. Une cuisine toute neuve aux couleurs riantes, organisée autour d'un vrai plan de travail. Valérie Gaudin, la diététicienne, assure la partie théorique : déterminants de la prise de poids, composition des aliments, équilibre et rythme des repas. Le dialogue s'établit avec les patients pour tenter de répondre à leurs interrogations. «Chacun a une histoire différente», explique la diététicienne. Laurence souffre de compulsion alimentaire, «d'envies irrépressibles de manger tout ce qui lui passe sous la main» ; Johan, lui, explique que «son plaisir vient de la quantité». Pas de jugements, mais des conseils et des réponses concrètes qui visent à informer et à déculpabiliser : «Bien manger ne veut pas dire petite quantité. On peut garder du volume en allégeant l'apport calorique du plat.»
Près du plan de travail, Dominique Tavarez, l'aide-soignante, a déjà préparé tous les ingrédients du repas du jour. La partie pratique peut commencer. Avec la préparation d'un plat de boeuf mijoté à la bière et d'un gâteau à la banane. «La cuisson sans graisses ne se résume pas à la seule cuisine vapeur», prévient-elle. Le ton est donné. Les patients sont invités à mettre la main à la pâte : faire dorer les morceaux dans une cocotte traditionnelle ou une sauteuse, sans matières grasses. Pour la saveur, des oignons émincés seront ajoutés au suc de cuisson, des épices, un peu de farine pour la consistance de la sauce, de la bière. Le tout mijotera une petite heure, le temps de préparer le gâteau et de poursuivre l'apprentissage théorique (équivalences alimentaires, lecture des étiquettes nutritionnelles). Le sel et le fond de veau seront ajoutés au dernier moment.
Marcher à son rythme.
Le repas pris en commun est un moment d'échanges et de convivialité. C'est aussi l'occasion pour les patients de prendre conscience de la façon dont ils mangent – ils ont tendance à sous-estimer les apports – et de réaliser concrètement qu'une réduction calorique n'altère pas forcément le plaisir. Ne rien s'interdire tout en sélectionnant ses aliments, choisir le mode de cuisson approprié, ne pas manger trop vite, écouter ses signaux internes pour ne pas aller au-delà de la satiété, en trois heures, ils auront été sensibilisés à quelques règles simples qu'ils pourront appliquer en famille : «Manger comme tout le monde sans être à part. L'objectif est de tenir dans le temps», leur est-il expliqué.
Après l'atelier, ils reverront un diététicienne et un médecine qui fixeront des objectifs individuels en fonction du bilan de la journée.
Laurence et Johan ne participeront pas aux ateliers d'activités physiques de l'après-midi, mais, au cours des différentes consultations de la journée, leur seront prodiguées des informations sur l'importance de l'activité physique et des propositions concrètes leur seront faites d'une reprise de la pratique à l'hôpital ou à l'extérieur. Le centre a développé un projet original d'activités physiques. Les activités proposées à l'hôpital ont été conçues comme «un tremplin et un catalyseur pour la pratique à l'extérieur», explique le Dr Cécile Ciangura, qui s'est beaucoup impliquée dans le projet, qu'elle coordonne depuis le début . L'activité physique fait partie intégrante de la prise en charge globale. «Elle est essentielle non seulement pour la perte de poids, mais aussi pour son maintien après un amaigrissement. Elle contribue également à améliorer l'équilibre du diabète ou de l'hypertension, des maladies fréquentes chez les patients obèses», poursuit la nutritionniste. Il a également été démontré que l'activité physique constitue, avec l'expérience du chirurgien et le suivi nutritionnel, un facteur pronostique de la chirurgie de l'obésité. Dans le service, les patients sont suivis en hospitalisation de semaine, avant et après la chirurgie réalisée à l'Hôtel-Dieu dans le service du Pr Jean-Luc Bouillot. Les ateliers s'adressent à eux en priorité. «On leur montre que c'est possible de les réconcilier avec l'activité physique, de leur redonner confiance», souligne le Dr Ciangura. Un médecin du sport est attaché au service et un éducateur sportif est chargé d'animer les ateliers. Les obstacles à la reprise d'activité sont identifiés pour chacun des patients qui ont parfois abandonné toute pratique depuis 20-30 ans. David Pierrot (professeur de STAPS et maîtrise d'activité physique adaptée) assure un mi-temps dans le service. L'activité marche se déroule dans les jardins de l'hôpital : «Il s'agit de remettre la marche dans le quotidien des patients.» Aidés d'un podomètre (distance parcourue pendant la séance) et d'un chronomètre (arrêté à chaque interruption et remis en route à chaque reprise de la marche), les patients sont invités à marcher de manière régulière et chacun à son allure. «N'allez pas trop vite», «il faut rester à l'écoute de soi et de ses douleurs». A la fin de la séance d'une heure, un carnet de marche permettra à chacun de connaître la distance parcourue de même que son temps. Les objectifs seront alors individualisés : «précis et réalisables», ils ne se limitent pas à la perte de poids (amélioration de l'endurance, contrôle de la glycémie ou de la pression artérielle, diminution des douleurs…). Deux autres ateliers sont également proposés, l'un de renforcement musculaire, qui consiste en un exercice de gymnastique douce, l'autre de résistance-endurance (tapis, vélo, appareils de musculation adaptés).
Dans et hors de l'hôpital.
L'une des originalités du projet réside dans le partenariat inédit conclu avec certaines associations qui ont accepté de signer une convention avec l'hôpital et de former des éducateurs qui viennent régulièrement animer des séances dans le service. «Une fois par trimestre, des réunions sont organisées avec eux et les contenus sont discutés», explique le Dr Ciangura.
Et, surtout, les associations ont accepté d'inclure dans leurs activités extérieures des cours réservés aux patients obèses avec un programme élaboré à l'hôpital. «Les patients qui le souhaitent peuvent ainsi prolonger à l'extérieur l'activité commencée à l'hôpital dans un groupe où ils sont en confiance», souligne le Dr Ciangura. Un club de marche (FFEPGV), un club de gymnastique volontaire, un club d'aquagym (Aquanova) et une association de chi gong (l'art et la voie) ont déjà entrepris la démarche et, pour diversifier l'offre encore plus, de la danse africaine sera bientôt proposée. «Les patients sont surpris qu'on leur propose quelque chose de concret, et ceux qui adhèrent sont ravis», conclut la nutritionniste.
Deux IRM à champ ouvert
Deux appareils IRM à champ ouvert sont installés depuis novembre 2007 dans des établissements de l'AP-HP, à la Pitié-Salpêtrière, dans le service de neuroradiologie du Pr Jacques Chiras, et à Louis-Mourier, dans le service d'imagerie médicale du Pr Elisabeth Dion. L'appareil fabriqué par Philips autorise l'examen des patients de forte corpulence (jusqu'à 250 kg), mais aussi des patients claustrophobes qui peuvent ainsi échapper à la sensation d'étouffement et d'angoisse. Un autre IRM de ce type est installé à la clinique de l'Essonne, à Evry.
Si l'offre en appareil d'imagerie lourd s'améliore, en revanche les problèmes liés à l'accès au scanner demeurent en cas de très forte corpulence, faute d'une offre adaptée. L'AP-HP compte environ 35 scanners, dont certains avec des tables d'examens adaptées (jusqu'à 225-250 kg), mais le diamètre des tunnels aujourd'hui sur le marché n'excède pas 78 cm.
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