En parler ou pas : le débat a été vif et les positions très partagées, lundi dernier, entre les 100 et quelques réanimateurs réunis à Cochin pour une journée programmée de longue date par la SRLF, sans rapport en principe avec l'affaire Chaussoy.
Beaucoup de PH venus des régions, compte tenu du caractère très sensible du cas, appelaient de leurs vœux la publication d'un nouveau communiqué. Le 1er octobre, la société savante avait déjà rendu « hommage à la décision de l'équipe de réanimation qui, dans un contexte passionnel et de réanimation médiatique, a su arrêter les traitements de réanimation qui, passé la phase d'urgence étaient devenus de l'acharnement thérapeutique » (« le Quotidien » du 3 novembre).
Entre-temps, le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer faisait savoir que « la mort de Vincent Humbert ne résultait pas directement de l'arrêt du respirateur artificiel, mais de l'administration de Nesdonal et de chlorure de potassium, pratiquée par le médecin sous forme de deux injections successives. »
Dans ce contexte nouveau, d'autres praticiens jugeaient urgent de surseoir à toute nouvelle prise de position, dans l'attente d'éléments nouveaux de l'enquête en cours, de peur de se retrouver en porte-à-faux avec l'instruction à venir.
La vigueur des échanges, relayés abondamment sur le forum du site de la SRLF (www.srlf.org) a toutefois conduit le conseil d'administration de l'organisation à renoncer à une attitude circonspecte du type « wait and see ». Et le conseil d'administration a adopté mardi, à l'unanimité moins une abstention, un communiqué cosigné par la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) qui, selon la formule du Pr Jean-Michel Boles, président de la SRLF, veut refléter la variété des opinions émises.
Conséquences judiciaires
Dans ce texte articulé en six points, la centaine de praticiens qui ont signé la pétition en faveur du Dr Chaussoy (www.appel-chaussoy.fr) se félicitera sans doute de lire que la SRLF « ne comprendrait pas que (le Dr Chaussoy) subisse les conséquences judiciaires d'une attitude médicale humaine dans une situation de crise aussi particulière (...) : le contexte dramatique de (cette) situation et la pression médiatique auxquels s'est trouvé brutalement confronté le chef du service de réanimation du centre héliomarin Hopale de Berck-sur-Mer ».
Les tenants d'une ligne de prudence et d'abstention de commentaire applaudiront quant à eux le paragraphe qui assure que « dans la mesure où une instruction judiciaire est actuellement en cours, la SRLF et la SFAP estiment qu'elles n'ont pas à intervenir afin de ne pas gêner le travail de la justice, se conformant ainsi à une attitude déjà adoptée lors d'une précédente affaire ».
Les médecins qui s'élèvent contre l'injection de chlorure de potassium ne sont pas non plus oubliés par ce document décidément très attrape-tout, qui rappelle les « recommandations sur les limitations et arrêts de thérapeutiques actives en réanimation adulte ; ces recommandations définissent les circonstances dans lesquelles elles peuvent s'appliquer, une procédure détaillée pour la prise de telles décisions et des modalités précises d'application. Ces dernières reposent sur une réorientation des soins vers une prise en charge palliative et excluent l'injection de curares ou de chlorure de potassium ».
Au-delà des divergences de sensibilité, c'est en tout cas une spécialité entière qui resserre aujourd'hui les rangs autour d'une affaire qui fait certes « l'exception de l'exception », selon la formule du Pr François Lemaire (CHU Henri-Mondor, Créteil), mais qui risque de conditionner la réflexion et les réactions dans une éventuelle évolution de la loi et de la réglementation en matière de fin de vie.
« Tout un chacun souligne à cette occasion la difficulté d'exercer notre métier, souligne le Pr Boles, le sentiment de vive inquiétude que nous partageons pour l'avenir de nos pratiques quotidiennes. » Le président de la SRLF note que « des voix s'élèvent dans la profession pour dire que, face au risque de judiciarisation actuel, bientôt, il n'y aura plus de morts dans les services de réanimation, mais tout le monde s'y livrera à l'acharnement thérapeutique sur les patients en fin de vie ».
Dans ces conditions, nombre de praticiens en arrivent à penser que la mise en cause pénale du Dr Chaussoy pourrait avoir des vertus clarificatrices. Le Pr Lemaire fait ainsi état d'une enquête selon laquelle 20 % des réanimateurs français seraient convaincus de l'illégalité de leurs pratiques, transmettant du coup des informations falsifiées à dessein aux familles et aux soignants. « En l'absence d'évolution législative, estime le PU-PH d'Henri-Mondor, une prise de position judiciaire permettrait de reconnaître la spécificité des arrêts/limitations de soins actifs en réanimation et les différencier d'un homicide ou d'un assassinat. »
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