L’IMBROGLIO ne manque pas de personnages louches, de personnalités au rôle étrange, de démarches qui cachent mal les arrière-pensées. Le général Rondot est invisible : les images que l’on a de lui datent de vingt ans ; les propos que lui a attribués « le Monde », vendredi dernier, seraient apocryphes, mais que dire de « l’interview » du « Figaro » ? Elle ne contient que deux phrases dont la plus importante est la suivante : « Jamais Dominique de Villepin ne m’a demandé de m’intéresser, à un moment ou à un autre, aux politiques; jamais je n’ai manipulé des listes de Clearstream pour y faire apparaître le nom de Sarkozy.»
Si l’affaire tient en quelques mots (Villepin a-t-il cherché à diffamer Sarkozy par des moyens peu glorieux ?), elle est d’une complexité telle et fait apparaître tellement de personnages que les démentis en quelques lignes ne peuvent pas suffire. Celui du général Rondot semble bien dicté par les circonstances, ou par la raison d’Etat, ou encore par des pressions venues de très haut. Dès mardi matin, Dominique de Villepin était à Europe 1 pour nier qu’il eût joué un rôle délétère dans cette affaire. Mais on ne veut pas apprendre les faits tels qu’ils se sont déroulés de la bouche du chef du gouvernement. Ils doivent être établis par l’enquête. Et on peut craindre que le Premier ministre, qui a eu tôt fait de dire qu’il ne démissionnerait pas, ne parvienne pas à échapper au tourbillon : tant que la vérité ne sera pas exposée par la justice, les attaques contre le gouvernement ne cesseront pas et, il faut bien l’admettre, la France restera paralysée.
Crise, réforme, démission.
Et pourtant, cette éventualité est la pire. Beaucoup de commentateurs parlent de crise de régime, exigent une réforme des institutions, ou réclament le départ de Villepin. Comme le chef du gouvernement est déjà grièvement blessé par ses propres bourdes, ils s’en prennent au président de la République sous le prétexte qu’il est responsable du « cloaque » (en politique, on ne fait jamais dans l’euphémisme) parce qu’il a pratiquement nommé deux Premiers ministres, Villepin et Sarkozy, et qu’il les a jetés dans l’arène comme on y envoie des gladiateurs pour qu’ils se battent jusqu’à la mort.
Il faut se demander d’abord si M. Chirac avait le choix, s’il pouvait répudier Nicolas Sarkozy et s’en faire un ennemi du dehors qui eût été particulièrement dangereux ; rappelons-nous qu’au lendemain du référendum européen, le pouvoir n’était pas plus fort qu’aujourd’hui ; ou, à l’inverse, s’il pouvait écarter Villepin, plein d’ambition et remonté comme un ressort, par ailleurs un ami très proche du président et qui n’avait pas attendu le départ de Jean-Pierre Raffarin pour exiger de lui succéder.
Si Jacques Chirac a eu une faiblesse au moment de nommer l’actuel gouvernement, c’est celle d’avoir rejeté le cynisme qui l’aurait incité à désigner son adversaire déclaré. Ou, si on préfère, d’avoir eu peur de lui, tout simplement.
Crise de régime ? La République est-elle vraiment mise en danger par cette affaire et le crime éventuellement commis est-il si grave qu’on ne puisse passer outre après avoir fait la lumière sur les faits ? On ne voit pas très bien où veulent en venir les chefs de l’opposition, de Bayrou à Hollande, quand ils prononcent des discours catastrophistes. Supposons que, dans un accès de découragement, M. Chirac les prenne tous au mot et démissionne, ce qui entraîne des élections anticipées dans les quarante-cinq jours : sont-ils prêts pour une campagne électorale dès aujourd’hui ? Ont-ils seulement rédigé leurs programmes ? Dominique Strauss-Kahn, qui s’exprimait samedi dernier sur TF1, a dit successivement deux choses contradictoires : que des élections anticipées étaient possibles, peut-être souhaitables ; et que le candidat du PS serait choisi en novembre prochain. En d’autres termes, il ne croit pas lui-même à des élections anticipées.
Un discours cohérent.
Je dois dire que celui qui a tenu le discours le plus cohérent, c’est Jean-Marie Le Pen, qui affirme que tout ça, c’est du vent ; et qu’il ne voit pas ce qu’il y a d’extraordinaire à ce qu’un Premier ministre ordonne une enquête sur une manoeuvre occulte destinée à diffamer ou disqualifier des hommes politiques de haut rang. Sauf, a-t-il ajouté, si un ordre a été donné pour que quelqu’un en particulier fasse l’objet d’une calomnie.
LE PREMIER MINISTRE NOUS AURAIT-IL CACHE LA NOIRCEUR DE SON AME SOUS SON FLAMBOYANT ROMANTISME?De sorte qu’on ne s’intéresse plus au corbeau, probablement un des personnages louches qui gravitent autour de l’affaire, mais au commanditaire de la diffamation, l’homme politique qui, du fond de sa sinistre officine, aurait monté cette opération. Suivez mon regard. Cet homme-là, serait-ce notre flamboyant Premier ministre, qui nous aurait caché, sous son romantisme éblouissant, la vraie noirceur de son âme ? Javert dans la peau de Fabrice del Dongo ? On a du mal à y croire, mais qui sait ? Dominique de Villepin a reçu une trop bonne éducation pour sombrer, à son âge, dans la plus misérable des forfaitures. Seule son ambition pourrait l’avoir conduit à adopter un tel comportement. Elle l’aurait alors aveuglé, ou il aurait été plus obsédé par M. Sarkozy qu’on ne saurait l’imaginer, ou encore il aurait poussé l’un des siens à monter l’opération, un peu comme on jette un sort, dans le secret et le silence de son âme, avec la certitude de ne jamais être découvert, jamais puni.
Et pourtant, comment parvenir à de telles fonctions sans être prévenu que tout finit par se savoir ? Comment nous-mêmes pourrions-nous croire que M. de Villepin ait pu prendre un tel risque ?
Fin de régime, affaire d’Etat, scandale sans précédent : l’imprécation est nuisible. Le pays a besoin de préparer les échéances électorales. Certes, il y a trop à faire pour que nous perdions du temps. Mais une campagne et des élections anticipées ne nous en feraient pas gagner davantage. Même si l’opposition l’emportait, il lui faudrait des mois pour lancer le train de la nouvelle gestion. D’autant qu’elle demeure divisée. Non, le plus sage serait de laisser Villepin là où il est. C’est d’ailleurs ce que souhaite Sarkozy, qui veut «la vérité, mais pas une crise de régime».
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