LA PSYCHIATRIE, discipline au carrefour de la médecine et des sciences humaines, peut parfois réduire la liberté des patients qui risquent de se nuire à eux-mêmes, ou pour protéger la société. En même temps, la responsabilité pénale des malades mentaux, «toujours plus affirmée par les tribunaux», selon le Comité d'action syndicale de la psychiatrie (Casp), fait des prisons un nouveau lieu d'internement pour des personnes présentant des épisodes psychotiques. «Le pouvoir se prévaut de plus en plus d'une caution scientifique que reprennent à leur compte diverses autorités administratives afin d'imposer leur loi d'airain à la clinique», estime le Casp, qui organise demain, à Paris*, un séminaire sur le thème « Liberté et autorité en psychiatrie », auquel sont conviés les représentants justice/santé des candidats UMP, PS et UDF à la présidentielle*.
Faire entrer la justice dans les soins sous contrainte.
«Lorsqu'il y a privation de liberté, doit-on faire intervenir la justice et de quelle manière?», demande le Dr Olivier Boitard, responsable du Casp, vice-président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP). Pour l'instant, et depuis le toilettage du code pénal de 1992 (loi du 22 juillet), le patient peut saisir a posteriori le juge des libertés, et demander la levée de son hospitalisation d'office (HO, loi du 27 juin 1990). Avec la loi du 30 juin 1838, il avait la possibilité d'écrire au procureur de la République. Selon l'USP, la défense de la liberté du malade exige «une plus grande judiciarisation de l'hospitalisation sous contrainte», par un contrôle accru du juge des libertés, comme cela se passe ailleurs dans l'Union européenne. La France «est le seul pays où l'hospitalisation sous contrainte relève d'une procédure exclusivement administrative. Or toute HO devrait renvoyer à une décision de justice. Le médecin enverrait alors son certificat au juge, et non plus au préfet, ou dans un premier temps aux deux», dit au « Quotidien » le psychiatre, chef de service au centre hospitalier interdépartemental de Clermont-de-l'Oise (Oise). Pour ce qui est de l'hospitalisation à la demande d'un tiers, le projet de réforme de la loi de 1990, toujours en discussion (« le Quotidien » du 16 février), soulève de vives réactions chez des praticiens. Ils dénoncent une disposition visant à instaurer l'hospitalisation d'urgence sans présence d'un tiers, alors que «ce type de mesure a tendance à s'élargir à d'autres cas». «Il ne faut pas trop de pouvoir médical en la matière», estime le Dr Boitard. Il cite l'exemple d'un hôpital qui s'est porté tiers auprès d'un SDF ( «C'est toujours mieux que rien.») A l'inverse, l'Union nationale des amis et familles de malades psychiques (Unafam) se réjouit que des parents de schizophrènes n'aient pas à se prononcer sur l'hospitalisation d'urgence de leur enfant, «tant c'est une décision lourde et compliquée à prendre».
Une autre interrogation, qui ne fait pas l'unanimité dans le champ de la santé mentale, touche à l'obligation de soins en ambulatoire pour les personnes qui quittent une HO, comme le suggère la révision de la loi de 1990. «Je me devrais de dire à mon patient, “Vous allez bien, mais puisque vous ne suivez pas mon traitement je vous renvoie à l'hôpital”. Ce n'est pas admissible, ou alors il faut que le contrôle relève de l'autorité judiciaire», pense le Dr Boitard qui, avec d'autres confrères, plaide pour le maintien du système en vigueur, à savoir «la sortie à l'essai» : «Si ça va mal, l'HO redémarre, sans faire jouer le mécanisme administratif de l'internement.» Enfin, les partici- pants demandent aux candidats à la présidentielle de faire connaître leur position par rapport aux «5 à 10% de psychotiques» qui se retrouvent en prison**. On responsabilise à tout va les malades mentaux auteurs d'actes criminels et ils sont mis derrière les barreaux, «où ils n'ont pas leur place». La solution appropriée est connue. Elle figure dans le plan Psychiatrie et Santé mentale de février 2005, qui prévoit 19 unités hospitalières spécialement aménagées (705 lits) pour 2007-2012. Mais les budgets (140 millions d'euros de crédits) se font attendre et les hôpitaux auxquels ces unités seront rattachées semblent faire de la résistance. «Le pouvoir se prévaut d'une caution scientifique», qui ne rend pas facile les relations entre la justice, l'administration et la médecine.
* Méditel, boulevard Pasteur (15e), de 10 h à 14 h. Le Casp (tél. 03.44.77.50.17) regroupe l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), le Syndicat des médecins psychiatres des organismes publics, semi-publics et privés, le Syndicat national des psychiatres privés, le Syndicat des psychiatres français et le Syndicat des psychiatres des hôpitaux.
** Environ un quart des détenus ont des problèmes psychiatriques.
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