FACE AUX PROGRES immenses des neurosciences, la fondation du roi Baudouin, en Belgique, a estimé souhaitable que les citoyens participent au débat éthique, social et légal soulevé par ces découvertes. La fondation a donc pris l'initiative d'une consultation européenne, Meeting of Minds, à travers un panel de 126 personnes issues de 9 pays européens. Elles se sont réunies du 3 au 5 juin 2005, lors d'une Convention européenne des citoyens sur les sciences du cerveau, afin de s'accorder sur les sujets sur lesquels porteraient leur réflexion. Sous la houlette de la Cité des sciences, le groupe français, composé de 14 hommes et femmes de différents âges, vient de présenter ses recommandations. Elles seront confrontées aux conclusions des autres groupes, à Bruxelles, du 20 au 23 janvier 2006. Cette réunion sera l'occasion d'émettre des avis communs sur les sciences du cerveau, qui seront présentés au commissaire européen pour la Science et la Recherche ; d'ailleurs, la Commission européenne soutient ce projet. Depuis longtemps, spécialistes des neurosciences et de l'éthique, philosophes et responsables politiques se prononcent sur les conséquences éthiques, sociales et juridiques des découvertes. Ecouter la voix des citoyens ordinaires semble de prime abord une excellente initiative, mais celle-ci a été conduite tambour battant et on n'entre pas en si peu de temps dans la complexité du cerveau.
Hyperactivité et Alzheimer.
Pour aider la réflexion des neuf groupes européens, on leur a présenté, en juin, des petits films illustrant des cas particuliers à partir desquels ils ont, ensemble, tiré six thèmes de réflexion : normalité et diversité ; liberté des choix ; égalité d'accès aux soins ; pression des intérêts économiques ; information et sensibilisation du public ; réglementation, régulation et contrôle. Puis ils ont interrogé, sur chacun de ces thèmes, des « personnes ressources » (représentants des comités d'éthique, psychiatres, philosophes, gériatres, membres du Leem, etc.).
Le groupe français a été influencé par les sujets portant sur les âges extrêmes de la vie : l'hyperactivité de l'enfant et la maladie d'Alzheimer. Au chapitre « normalité et diversité », il recommande de ne « pas accepter avec passivité l'extension des classifications (référence au DSM-IV) et de rester vigilant sur la mise en place de normes artificielles et abusives. L'exemple de l'hyperactivité est, dans ce domaine, significatif ». Et d'insister sur la définition « de critères plus précis de classification des troubles afin de tenir compte de leur complexité nouvellement révélée ».
En ce qui concerne la « liberté de choix », le panel français souhaite une révélation du diagnostic « au cas par cas », et, pour la maladie d'Alzheimer, demande que non seulement le patient, mais aussi sa famille, soit accompagné dans l'organisation de la vie à venir par des équipes multidisciplinaires et des structures mieux réparties géographiquement ; et attend du médecin une meilleure qualité d'écoute, une plus grande disponibilité.
Au chapitre « égalité d'accès aux soins » revient la hantise de la maladie d'Alzheimer, avec l'exigence de la mise en œuvre du plan Alzheimer, la création de structures plus humaines, la formation de personnels qualifiés, la revalorisation de la gériatrie...
Le groupe, s'exprimant sur « la pression des intérêts économiques », rejette toute diabolisation de l'industrie pharmaceutique, mais l'incite à « ne pas délaisser les recherches sur les médicaments peu ou pas rentables » et déplore la trop grande influence, à ses yeux, des laboratoires dans l'information médicale. Il souhaiterait plus d'émissions sur la recherche scientifique à la télévision et à la radio, suggère la création d'une chaîne scientifique et l'ouverture de lieux spécifiques où serait diffusée l'information. Bref, aller vers le public.
Autres propositions plus surprenantes : le panel voudrait créer des programmes pour les écoles afin de sensibiliser les enfants sur l'usage des médicaments, et, coup de griffes aux médecins, ouvrir « des lieux où ils apprendraient à hésiter, à douter ».
Sur le dernier thème, « réglementation, régulation et contrôle », le groupe français demande que ni l'employeur, ni les assurances, ni la justice ne puissent utiliser les données des découvertes des neurosciences dans leurs décisions. Mais, plus étrange, privilégiant les vertus « du dialogue plutôt que l'interdiction », il assène : « Si un individu veut utiliser des produits dopants qui sont en vente, on ne peut pas le lui interdire. »
Certes, un panel de 14 personnes choisies parmi 500 à l'occasion de contacts téléphoniques ne représente pas l'ensemble des citoyens français, mais on voit, à côté de propositions positives, se dessiner les appréhensions partagées face à l'avance de la science. Et s'exprimer, en bruit de fond, une méfiance moins à l'égard des chercheurs que des médecins. Qu'en sera-t-il des représentants des autres pays ? La réponse en janvier prochain.
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