« Il est interdit de donner la mort : tel est notre impératif éthique, social et politique (...) Pour autant, nous devons lucidité garder et admettre qu'en situation critique la transgression est, si ce n'est la règle, du moins une pratique fréquente. »
Partant du constat d'un décalage entre les impératifs éthiques et la réalité des pratiques médicales, Bernard Kouchner relance un débat auquel réfléchissent « depuis une dizaine d'années » les personnes qui ont participé à la journée « Fin de vie » organisée au ministère de la Santé.
Après avoir qualifié d' « extrême compassion » et de « dignité retrouvée » les actes d'assistance à l'interruption de vie, Bernard Kouchner a précisé les sept engagements sans lesquels il ne peut y avoir de légitime assistance à l'interruption de vie. Les voici retranscrits intégralement :
1 - La volonté du patient doit toujours être recherchée et respectée.
2 - Si celle-ci n'est pas connue et ne peut pas l'être, la décision doit prendre en compte la singularité de la personne concernée, sa personnalité, ses convictions philosophiques et religieuses.
3 - La décision d'interrompre la vie d'un autre ne peut être que collective. Elle ne saurait être une décision individuelle.
4 - La décision ne peut être prise dans l'urgence.
5 - Elle doit respecter le temps d'une délibération visant à clarifier les mobiles et les intentions morales de chacun.
6 - Le médecin doit assumer lui-même l'acte d'interruption de la vie, et ceux qui ont participé à la délibération doivent s'engager solidairement à ses côtés.
7 - Les différents éléments de la délibération et de la décision doivent être clairement inscrits dans le dossier du malade.
Les limites des soins palliatifs
Dans une lettre envoyée aux participants avant la réunion, le ministre de la Santé a tenu à souligner les cas de conscience que peut représenter l'accompagnement de fin de vie pour le personnel soignant : « On ne peut plus continuer de laisser les réanimateurs assumer seuls la décision d'arrêter les traitements et de précipiter une mort en sursis. »
Pour le Pr Jean-Paul Egreteau, chef de service d'anesthésie-réanimation à l'hôpital Cavale-Blanche (CHU de Brest), ces questions se posent tous les jours dans l'exercice de sa spécialité. « Nous sommes confrontés à une réalité : la thérapeutique à laquelle nous avons recours n'aboutit pas toujours. Il est parfois impossible d'améliorer l'état de santé d'un patient », résume-t-il. Avant de demander, armé d'une bonne dose de pragmatisme : « Les patients sont dans des lits qui sont rares et qui coûtent cher. Peut-on gaspiller les deniers publics ? » Admettant que, pour certains, l'arrêt des soins s'apparente à l'euthanasie passive, il tient à souligner la spécificité de son exercice médical : « En réanimation, nous sommes en permanence à la limite de l'acharnement thérapeutique. Nous maintenons les gens en vie de façon très artificielle. » Ces déclarations rejoignent les positions de Bernard Kouchner sur les limites des soins palliatifs. Le ministre souligne en effet qu' « avec les seuls soins palliatifs on répond à presque toutes les demandes, mais pas à toutes ». Parfois, « la poursuite des soins relève de cette obstination que l'on appelle acharnement thérapeutique ».
Cette lettre suscite de vives réactions. Réaction très favorable de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité, prête à signer l'appel à quelques modifications près. Mais très critique de la SFAP (Société française d'accompagnements et de soins palliatifs) : « Nous ne légitimerons jamais l'assistance à l'interruption de vie, sous aucune condition. Mais le malade peut bien sûr refuser certains examens ou traitements en fin de vie, c'est son droit », déclare le Dr Bernard Védrine, trésorier de la SFAP. « Aider une fin de vie, ce n'est pas aider à mourir, il y a une nuance importante », souligne-t-il. Avant toute chose, la SFAP réclame des moyens suffisants pour que « les soins palliatifs soient développés », ainsi qu'un développement de la formation initiale et continue des soignants sur ces questions. « Les bénévoles sont plus malins que nous dans ce domaine. On découvre des personnes qui savent vraiment ce que signifie accompagner jusqu'au bout. » Anne-Marie Pesrin, infirmière coordinatrice de l'ASP (Association soins palliatifs), une association d'accompagnement des malades composée de bénévoles, souligne que c'est avant tout au malade de choisir. « Des personnes jeunes, sachant qu'elles n'ont plus de résonance thérapeutique, préfèrent continuer leur traitement. Elles ont le droit de se battre. L'espoir, ça fait partie des soins palliatifs. »
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