Certes, le cap fatidique des 100 000 blouses blanches battant le pavé parisien (comme au début des années quatre-vingt-dix) n'a pas été atteint, loin s'en faut. Mais, au moment où les Cassandre prédisaient un essoufflement de la mobilisation, voire annonçaient le pourrissement rapide du conflit, la démonstration de force des professionnels de santé libéraux, et notamment des généralistes qui ont fourni l'essentiel des effectifs du cortège dominical (13 000 selon la police, 50 000 selon les manifestants), a été en grande partie réussie.
En jetant dans la rue des milliers de médecins de famille « fatigués », d'infirmières libérales « écurées », de kinés « révoltés », mais aussi des centaines de spécialistes (dermatos, rhumatologues, cardiologues, pédiatres et gynécos, etc.), dentistes, ambulanciers, pharmaciens et biologistes « en colère » de toute la France sur le thème fédérateur de « La santé avant tout », la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), le Syndicat des médecins libéraux (SML) et le Centre national des professions de santé (CNPS) ont réussi l'essentiel : faire passer le message d'une profession en plein désarroi qui exige non seulement des revalorisations d'honoraires et de meilleures conditions de travail mais aussi une « véritable reconnaissance ». « Je prends les 20 euros parce que je le vaux bien », pouvait-on lire notamment sur les badges portés par des milliers de généralistes qui appliquent déjà, depuis plusieurs semaines, ces tarifs de consultation sauvages.
Rien ne manquait dimanche : ni la météo, radieuse, ni les chants et les slogans du plus pur style carabin, ni les symboles, avec un départ du défilé dans les beaux quartiers ministériels pour une arrivée en fanfare à la Bastille... Pour quelle révolution ? Désormais, syndicats et coordinations « indépendantes » affirment ensemble, haut et fort, que le 10 mars n'est pas une fin en soi, que le mouvement, qui trouve un écho favorable dans la population, ce qui a pu se vérifier dimanche dans les rues parisiennes, « ne s'arrêtera jamais ». Le Dr Chassang, président de l'Union nationale des omnipraticiens français (UNOF), qui devrait être élu président de la CSMF dans quelques jours, est formel : « Nous serons désormais les pitbulls de ce gouvernement et du suivant s'il ne nous écoute pas. Ceux qui continuent de parier sur un essoufflement se trompent très lourdement. »
Politisation
Le Dr Claude Maffioli, président de la CSMF dont le mandat se termine à la fin du mois, estime pour sa part que « tous les espoirs sont permis ». « Cette journée s'inscrit dans le cadre d'actions itératives, a-t-il observé. Les médecins ne sont pas prêts d'arrêter un combat qui, au-delà des revendications corporatistes totalement légitimes, porte sur la sauvegarde de notre système de santé qui est en train d'être torpillé. » Même le Dr Jacques Reignault, président du CNPS, qui dans le cadre de la nouvelle loi négocie actuellement le premier étage conventionnel commun aux professions de santé libérales, en est convaincu. « De manifestation en manifestation, les mécontents se renforcent, l'opinion est alertée et plus personne ne peut croire que cette manifestation est une finalité. » Si les syndicats médicaux restent discrets sur d'éventuelles actions de protestation futures, la coordination nationale des généralistes, qui affirme regrouper plus de 20 000 médecins, a déjà décidé de faire monter la pression. « Premièrement, nous allons continuer d'appeler les généralistes à pratiquer le C à 20 euros, déclare Jean-Marc Rehby, porte-parole national de la coordination. Ensuite, ce sera l'escalade : le 21 mars, il y aura un mot d'ordre en faveur d'une action identique, dans le même lieu et à la même heure, pour tous les généralistes dans chaque département et du 25 au 30 mars, les généralistes feront la semaine des 35 heures, c'est-à-dire qu'ils s'arrêteront par exemple de travailler le mercredi soir. » Pour autant, l'hypothèse, un moment envisagée, d'une nouvelle semaine santé morte a pour l'instant été exclue par les généralistes coordonnés.
Même si les organisateurs de la manifestation n'avaient pas convié les responsables de l'opposition, pour éviter toute récupération, le conflit prend inévitablement un tour de plus en plus politique.
Pierre Morange, secrétaire national de la santé au RPR, était en tête du cortège des blouses blanches pendant un long moment. « Je suis là en tant que généraliste libéral en exercice, a-t-il déclaré au "Quotidien". Mais je suis là aussi pour exprimer une solidarité totale avec les professionnels en colère. » Jean-Pierre Foucher, député UDF, mais aussi pharmacien, était dans les premiers rangs. « Il y a de très nombreux problèmes qui ne sont pas réglés », a-t-il résumé.
Alain Madelin, candidat DL à l'Elysée, a apporté son soutien aux professions de santé tandis que Christiane Taubira, candidate du PRG, jugeait inacceptable de « contraindre des hommes et des femmes à travailler 70 heures par semaine ».
La CFE-CGC et Force Ouvrière avaient, comme prévu, envoyé des délégations bien visibles au « nom des assurés sociaux ». « Jospin, pourquoi tu ne dis rien ? », interrogeait une banderole. Une manière de rappeler aux nombreux badauds, qui sont aussi des électeurs, que le conflit des médecins libéraux s'est bel et bien invité dans la campagne présidentielle.
MG-France : le mouvement s'effrite
Le Dr Pierre Costes, président du syndicat MG-France, signataire avec la CNAM du protocole d'accord que les autres syndicats de médecins jugent insuffisant, a estimé, à l'issue de l'assemblée générale de son organisation qui s'est tenue dimanche, que le mouvement de contestation actuel des généralistes va s'effriter, nous indique notre correspondant à Lyon, Max Saint-Ruf.
Le président de MG-France a laissé entendre que la manifestation nationale de dimanche n'était pas un succès.
L'assemblée générale de MG-France qui a été, par moment, un peu « rugueuse », selon l'expression de Pierre Costes, compte tenu de l'existence d'une minorité opposée au protocole d'accord avec la CNAM, a décidé de continuer à négocier avec l'assurance-maladie pour la mise en oeuvre de certaines des dispositions du protocole d'accord. MG-France a aussi décidé de maintenir les contacts avec la coordination nationale des généralistes et a rappelé que, à terme, son objectif est bien d'obtenir que le tarif de la consultation soit porté de 18,50 euros à 20 euros.
Par ailleurs, le syndicat du Dr Costes a indiqué qu'il défendrait, s'ils étaient poursuivis par l'assurance-maladie, les généralistes qui ont pratiqué jusqu'à présent des dépassements unilatéraux d'honoraires en facturant le C à 20 euros (au lieu de 18,50 euros au tarif officiel) car cette attitude de contestation est, à ses yeux, légitime.
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