LES PROCHAINS jours vont être décisifs pour le Dr Laurence Tramois et l'infirmière Chantal Chanel. Renvoyées devant la cour d'assises de Dordogne à Périgueux, les deux femmes, respectivement mises en examen pour complicité d'empoisonnement et empoisonnement, vont devoir s'expliquer sur la mort d'une de leurs patientes, Paulette Druais, le 25 août 2003.
Le cadre du procès n'est pas celui d'un fait divers, mais celui d'un enjeu de société sérieux : l'euthanasie. Un cadre qui, par son ampleur médiatique, dépasse les deux accusées. «Le DrLaurence Tramois n'est pas une militante de l'euthanasie. Elle laisse ce débat pour les associations et les politiques», témoigne son avocat, Me Benoît Ducos-Ader. Comment cette généraliste de 34 ans et cette infirmière de 39 ans en sont-elles arrivées là ? Face à un jury populaire, les deux soignantes vont remonter le fil du temps jusqu'en 2003, quand la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti, n'existait pas. Paulette Druais, 65 ans, est suivie par le Dr Tramois pour un cancer du pancréas. Au stade final de sa maladie, elle est admise dans l'unité de soins palliatifs de l'hôpital de Saint-Astier, en Dordogne, dans lequel la jeune médecin travaille à temps partiel. La patiente, frappée par une occlusion intestinale, tombe dans le coma. «Plus personne de sa famille et de son entourage n'osait pénétrer dans sa chambre, raconte Me Ducos-Ader au “Quotidien”. C'était une femme coquette, qui avait émis le souhait, devant plusieurs personnes et à plusieurs reprises, de mourir en conservant une image décente. Il s'agissait d'un état de santé extrême.» Deux jours plus tard, Chantal Chanel lui injecte une piqûre de potassium et augmente les doses de morphine, selon la prescription laissée par le Dr Tramois, qui était de surcroît attachée à la patiente par des liens familiaux. «Elle la considérait comme sa mère», précise l'avocat.
La plainte à l'origine du procès ne vient pas de la famille, qui soutient les soignantes, mais de l'hôpital local. «Le directeur m'a convoquée pour me dire qu'il ne savait pas si c'était de la lâcheté ou de la bravoure de sa part, mais qu'il allait en référer à la Ddass (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales) », indiquait le Dr Tramois, alors interrogée par « le Quotidien » (10 janvier 2006). «J'ai effectivement outrepassé le code de déontologie, mais j'ai agi par compassion et respecté le souhait de ma patiente qui ne voulait pas dépérir. Je me suis expliquée devant mes pairs, au conseil de l'Ordre de Périgueux, qui ont approuvé mon travail de clinicienne, pas le produit létal», ajoutait-elle. L'Ordre des médecins lui a, pour ce fait, infligé une peine de 24 mois d'interdiction d'exercer, dont 23 avec sursis.
Comme l'affaire Humbert.
Pour Chantal Chanel et Laurence Tramois, la surprise a pourtant été de taille lorsque le parquet de Périgueux a pris la décision de les renvoyer devant les assises. Quelques jours auparavant, la juge d'instruction chargée du dossier de Vincent Humbert, ce jeune tétraplégique auteur du livre « Je vous demande le droit de mourir », avait rendu un non-lieu général pour Marie Humbert, mère de Vincent, et le Dr Frédéric Chaussoy, qui étaient poursuivis pour avoir aidé le jeune homme à mourir. La magistrate avait jugé que les faits reprochés avaient été commis «sous l'emprise d'une contrainte les exonérant de toute responsabilité pénale», et avait évoqué une pression émotionnelle, affective et médiatique.
Aux yeux de l'avocat de Laurence Tramois, laquelle réserve ses déclarations pour le prétoire, le dossier concernant Paulette Druais se trouve dans le droit fil de l'affaire Humbert. «Il n'y a pas de volonté criminelle, mais celle d'abréger la souffrance de quelqu'un. Sur le plan juridique, insiste Me Ducos-Ader, ce sont exactement les mêmes affaires», avec la pression médiatique en moins. Car, lorsque les deux soignantes ont agi, c'était dans «un grand moment de solitude», confirme le défenseur. Un isolement que Laurence Tramois a voulu rompre en faisant appel à ses confrères par l'intermédiaire d'un comité de soutien moral. «Nous attendons surtout le jugement, explique aujourd'hui le président du comité, le Dr Max Magontier. Deux autobus sont prévus qui partiront de Saint-Astier pour Périgueux.» Mais le soutien s'étend bien au-delà du niveau local.
Au bout de la logique.
Dans un manifeste publié la semaine dernière*, plus de 2 000 médecins et infirmières affirment avoir «aidé des patients à mourir avec décence» et appellent à dépénaliser l'euthanasie. Ils demandent «l'arrêt immédiat des poursuites judiciaires à l'encontre des soignants mis en accusation», une «révision de la loi dans les plus brefs délais» et des «moyens adaptés permettant d'accompagner les patients en fin de vie». La loi Leonetti du 22 avril 2005, qui est le fruit d'une mission parlementaire et a été adoptée à l'unanimité par le Parlement, est dans le point de mire. «Elle constitue une avancée, concède le Dr Didier Ménard, généraliste à Saint-Denis et président du Syndicat de la médecine générale. Mais elle reste au milieu du gué, elle ne va pas au bout de la logique. Que fait-on pour les cas rarissimes qui ne sont pas prévus par le texte? Faut-il les inscrire dans une nouvelle loi? Je n'en suis pas convaincu, réfléchit le Dr Ménard, qui travaille dans un réseau de soins palliatifs. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut en débattre. Pour un médecin généraliste, c'est très difficile d'être confronté à ce problème. Le soulagement du malade est un cas de conscience. Il s'agit d'un problème éthique.»
En 2000, le Comité consultatif national d'éthique (Ccne) souhaitait que tout acte d'euthanasie continue à être soumis à l'autorité judiciaire. Il proposait toutefois, au cas où un juge était saisi, que «l'exception d'euthanasie» fasse l'objet d'un examen en début d'instruction par une commission interdisciplinaire chargée d'apprécier le bien-fondé du geste. L'interdiction de l'euthanasie devait, pour les membres du Ccne, rester la règle, mais la transgression était envisageable par humanité.
Circonstances compassionnelles.
L'esprit de la loi du 22 avril 2005 n'est pas autre. Il est à la fois de «respecter la vie et d'accepter la mort», selon les termes du Dr Jean Leonetti. Trouver le juste milieu entre l'euthanasie, qui précède la mort, et l'obstination déraisonnable qui la nie. «Il est vrai que la loi ne résout pas tous les cas, convient le député. Le débat se situe en fait pour les personnes qui ne sont pas vraiment en fin de vie, dans des cas exceptionnels où la mort paraît la moins mauvaise solution possible.» Faut-il pour autant reconnaître «l'aide active à mourir» par une nouvelle loi, comme l'exigent les militants de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (Admd) ou encore ceux de l'association Faut qu'on s'active, soutenue par l'emblématique Marie Humbert ? Bon nombre de médecins ne le pensent pas et assument la relation d'intimité qu'ils partagent avec leur malade, au risque d'une transgression de la loi. «La mort d'un homme n'est pas une chose anodine, estime le Dr Leonetti. On ne peut pas avoir une protection totale. Toutefois, il y a certaines circonstancescompassionnelles si évidentes qu'elles devraient pouvoir être opposées au juge. Mais, comme pour celui qui donne la mort en légitime défense, il faut accepter la vérification de l'instruction. C'est une procédure normale. Reste au juge de décider de poursuivre ou non», poursuit le député. Selon lui, il faut toutefois sensibiliser les juges à cette possibilité d'exception à la règle. Il est également nécessaire de faire de la pédagogie auprès du corps médical. «Malgré la loi et les bonnes pratiques, le médecin reste encore isolé face à la fin de vie, à laquelle il n'est pas préparé, reprend-il. Devant un problème insurmontable, il se sent souvent face à l'alternative de laisser souffrir ou faire mourir. Or on peut tuer la souffrance sans nécessairement tuer le malade. Il faut faire entrer la culture des soins palliatifs et la loi dans les moeurs.» Mais la pédagogie ne suffit pas, reconnaît le député. Et on est loin de trouver un centre de soins palliatifs par département. Cependant, face au manque de préparation et de moyens, il n'est cependant pas établi que la réponse adéquate vienne d'un nouveau texte législatif.
Quant au Dr Laurence Tramois, Me Benoît Ducos-Ader espère que le «côté humain des jurés» lui rendra son honneur, ainsi que celui de l'infirmière Chantal Chanel.
* Dans « le Nouvel Observateur » et « Sud-Ouest ».
Les positions des candidats à la présidentielle
Nicolas Sarkozy (UMP) et Ségolène Royal (PS) ont abordé la question de l'euthanasie dans le cadre de la campagne présidentielle, le projet socialiste de juin 2006 y faisant directement allusion. «Nous saisirons le Parlement d'un projet de loi “Vincent Humbert” sur l'assistance médicalisée pour mourir dans la dignité», affirme le projet du PS, précisant que cette «loi aura pour objet de permettre aux médecins, dans des conditions strictes du respect de la volonté de leur patient et d'accompagnement, d'apporter une aide active aux personnes en phase terminale de maladie incurable ou placées dans un état de dépendance qu'elles estiment incompatible avec leur dignité».
Le candidat UMP Nicolas Sarkozy a parlé de l'euthanasie en déclarant qu'il y avait «des limites à la souffrance», invitant à aborder cette question «en partant moins des principes et plus de la souffrance». Selon lui, «on ne peut pas rester les bras ballants face à la souffrance d'un de nos compatriotes qui appelle à ce que ça se termine, tout simplement parce qu'il n'en peut plus».
François Bayrou (UDF) n'a pas directement abordé le sujet, mais estime qu'il «faut éviter la souffrance à tout prix, pas d'acharnement thérapeutique» et «développer les soins palliatifs», selon son attachée de presse.
Le programme de Jean-Marie Le Pen stipule qu'il faut «refuser l'euthanasie médicalement assistée, mais autoriser l'arrêt clairement exprimé de l'acharnement thérapeutique».
Ce que dit la loi Leonetti
Deux principes généraux sous-tendent la loi : celui d'instaurer un droit à laisser mourir (et non à faire mourir) et celui de respecter en toutes circonstances l'autonomie du malade «en écartant les solutions juridiques et générales». Le renforcement des droits du malade passe par l'interdiction d'une obstination déraisonnable et la définition des procédures d'arrêt de traitement. Des obligations sont également imposées aux établissements de santé en matière d'organisation de soins palliatifs.
Selon l'article 1, les soins médicaux «ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie». Il s'agit de la proportionnalité des soins et de leur évaluation. La loi permet de distinguer quatre situations, selon que le patient est en fin de vie ou non, selon qu'il est conscient ou non.
Pour le malade inconscient, le médecin «peut décider de limiter ou d'arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n'ayant d'autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie et consulté la personne de confiance, la famille ou à défaut un de ses proches, et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne» (art. 9). En effet, toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées «pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté» (art. 7). Elles «indiquent les souhaits de la personne sur sa fin de vie» (limitation ou arrêt de traitement) et «sont révocables à tout moment». A condition qu'elles aient été établies moins de trois ans avant l'état d'inconscience de la personne, le médecin doit en tenir compte pour toute décision.
Lorsque le malade, conscient et «en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable», décide de limiter ou d'arrêter tout traitement, le médecin a l'obligation de respecter sa volonté, «après l'avoir informé des conséquences de son choix». Le médecin est tenu de lui dispenser des soins palliatifs (art. 6). Dans la situation où un malade, qui n'est pas en fin de vie, refuse un traitement mettant sa vie en danger, le médecin «peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable» (art. 4).
La loi précise par ailleurs que «si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable (...) , qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade (...) , la personne de confiance, la famille ou à défaut un des proches» (art. 2). C'est l'acte à double effet.
Ce qui se passe ailleurs
– En Italie, les procureurs chargés de l'enquête sur la mort de Piergiorgio Welby n'ont retenu aucune charge contre le Dr Mario Riccio, qui l'avait aidé à mourir. Le praticien avait accédé à la demande du malade, atteint de dystrophie musculaire en phase terminale, de débrancher le respirateur artificiel qui le maintenait en vie depuis 1977. L'Eglise catholique avait refusé des funérailles religieuses à Welby. Le geste de l'anesthésiste n'a pas été considéré comme un acte d'euthanasie, passible de 10 à 15 ans de prison.
– En Espagne, une femme de 51 ans, également atteinte de dystrophie musculaire et dépendant depuis neuf ans d'une assistance respiratoire, a obtenu le droit de mourir qu'elle réclamait depuis plusieurs années. Le gouvernement régional d'Andalousie a autorisé le débranchement de l'appareil, suivant les avis formulés par le Conseil consultatif et le Comité régional d'éthique. La requête de la malade a été assimilée à un « refus de traitement », droit reconnu par la législation espagnole, qui interdit en revanche l'euthanasie.
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