LE TRAVAIL mené par les 18 experts s’est articulé autour de sept questions fondamentales qui vont de la prédiction du risque d’intubation difficile à la formation en passant par les techniques les plus adaptées en fonction de contextes particuliers. Certaines questions sont longement détaillées pour la première fois : la préoxygénation, l’extubation ou la composition du chariot d’intubation difficile. L’ensemble de ce travail a été réalisé dans un objectif d’amélioration du contrôle qualité en anesthésie et il entre dans le cadre de l’évaluation des pratiques professionnelles.
Cette conférence d’experts répond désormais à la majorité des problèmes et des situations qu’un anesthésiste, un urgentiste ou un réanimateur peut rencontrer dans sa pratique quotidienne. Il demeure néanmoins des circonstances où le jugement clinique doit prévaloir et où le choix d’une stratégie de prise en charge se fait en termes de rapport bénéfice/risque. L’évolution des pratiques et des techniques a permis de simplifier nettement la gestion d’une intubation difficile. La prise en charge de ce type d’intubation passe par l’élaboration d’une stratégie préalable fondée sur des algorithmes de prise en charge qui intègrent des techniques connues de tous et réalisables à tout moment.
1. Prédiction et définitions.
L’intubation oro-trachéale est un geste habituel de l’anesthésiste-réanimateur. Il s’effectue le plus souvent facilement grâce à un matériel simple et dans une position standardisée. L’éventualité d’une intubation difficile, quoique rare, doit être recherchée par un examen préanesthésique systématique. On considère qu’une intubation est difficile si elle nécessite plus de deux laryngoscopies et/ou la mise en oeuvre d’une technique alternative après optimisation de la position de la tête, avec ou sans manipulations laryngées externes. Mais l’intubation n’est pas le seul geste qui peut poser problème à l’anesthésiste-réanimateur : la ventilation au masque peut, elle aussi, se révéler difficile lorsqu’il est impossible d’obtenir une ampliation thoracique suffisante, un capnogramme satisfaisant ou le maintien d’une SpO2 > 92 %. S’il est nécessaire d’utiliser le bypass d’oxygène à plusieurs reprises, d’appeler un autre opérateur ou si la pression d’insufflation est supérieure à 25 cmH2O, la ventilation au masque est aussi considérée comme difficile.
En routine, la détection de l’intubation difficile et de la ventilation au masque difficile est fondée sur l’interrogatoire et l’examen clinique, ces deux temps faisant partie intégrante de toute consultation préanesthésie, y compris en cas d’anesthésie loco-régionale programmée. Cette détection doit aussi être effectuée lorsqu’un patient est admis en soins intensifs, mais elle reste plus difficile à pratiquer dans des conditions d’urgence. Les critères recommandés sont en effet mal adaptés à ce contexte et certaines situations cliniques – traumatisme cervico-facial, pathologie ORL, brûlure faciale – peuvent compliquer le réalisation de différentes gestes.
Les résultats, précisant les tests utilisés, doivent être colligés par écrit. L’interrogatoire recherche des antécédents d’intubation difficile ou traumatique (lésions dentaires ou gingivales lors des anesthésies précédentes), il permet de préciser les antécédents. L’examen clinique doit inclure la recherche de signes cliniques de certaines affections ou états pathologiques : obésité morbide, diabète, dyspnée, trachéotomie, troubles du sommeil, traumatismes maxillo-faciaux. L’examen s’effectue en quatre temps, de face et de profil, bouche fermée, puis bouche ouverte. Trois éléments doivent être systématiquement évalués : l’ouverture buccale, la classe de Mallampati, la distance thyro-mentonnière.
En 1996, la conférence d’experts avait défini des critères d’intubation impossible par voie orale qui sont toujours d’actualité : antécédents d’échec d’intubation, dysmorphies faciales sévères (en particulier chez l’enfant), ouverture de bouche < 20 mm et rachis bloqué en flexion.
2. Maintien de l’oxygénation pendant l’intubation.
Les experts ont retenu de très fortes recommandations pour la préoxygénation. Ce geste devient même quasiment obligatoire dans certains circonstances particulières : intubation ou ventilation difficile prévue, patients présentant un risque de désaturation pendant l’intubation et dans le cadre de l’urgence. L’équipe d’experts réunis autour du Dr Jean-Louis Bourgain (Villejuif) a établi une liste des facteurs de risque de désaturation pendant l’intubation : intubation en urgence, difficulté de ventilation au masque prévisible, intubation présumée difficile, obésité et grossesse, enfant (moins de 1 an, ASA classe 3 ou 4, syndrome d’apnée du sommeil, infection des VAS), sujet âgé et Bpco.
Les manoeuvres de préoxygénation doivent être réalisées rigoureusement, sous surveillance de la FeO2 et de la SpO2. La préoxygénation doit être délivrée sous la forme d’une ventilation spontanée (FiO2 1) pendant 3 minutes chez d’adulte et 2 minutes chez l’enfant, ce qui permet de majorer la durée d’apnée à plus de 5 minutes. Huit inspirations profondes effectuées pendant 1 minute avec un débit d’oxygène de 10 l/min est aussi efficace.
Pendant l’induction, chez l’adulte et l’enfant, il est recommandé de maintenir la liberté des VAS par la luxation mandibulaire, la surélévation du menton et la pose d’une canule oro-pharyngée. L’anesthésie peut compromettre la liberté des VAS, notamment si la profondeur est insuffisante ou s’il existe un certain degré d’obstruction avant l’induction.
Le LMA-Fastrach est recommandé en cas de ventilation difficile au masque ou en cas d’échec ou de contre-indication à l’utilisation de cette technique, l’oxygénation tanstrachéale est recommandée.
3. Des techniques adaptées au contexte.
La stratégie de prise en charge selon le contexte clinique a été élaborée par les experts de l’équipe coordonnée par le Dr François Sztark (CHU Pellegrin, Bordeaux). Cette réflexion collective a été menée dans une optique de démarche qualité et elle permet aux anesthésistes de disposer de stratégies élaborées en fonction de chaque situation clinique. La sédation pour l’intubation sous fibroscope a été particulièrement détaillée. En effet, une sédation ou une analgésie mal conduite peut rendre la prise en charge des voies aériennes plus difficile et le maintien de la ventilation spontanée reste un impératif. Dans ces conditions, l’anesthésie doit être titrée et l’utilisation d’une anesthésie par inhalation chez l’adulte peut représenter une alternative. En cas d’intubation sous fibroscopie, une anesthésie locale ou loco-régionale peut être associée à une technique de sédation ou d’analgésie.
Les experts ont aussi abordé la question de l’anesthésie pour une intubation difficile prévue en soulignant que cette technique peut être envisagée, que sa profondeur doit être suffisante pour optimiser les conditions d’intubation et prévenir les réponses réflexes. Néanmoins, l’anesthésie doit être rapidement réversible en cas d’échec. Le choix des agents – hypnotiques, morphiniques et curares –, leur posologie et leur mode d’administration conditionnent le taux de succès et les conditions d’intubation. Une anesthésie inadéquate peut rendre l’intubation difficile et, en cas d’échec, la question du réveil du patient doit se poser.
Enfin, les experts se sont penchés sur l’intubation difficile en médecine d’urgence et en réanimation. La stratégie choisie doit tenir compte de la nécessité absolue de réaliser l’intubation trachéale et de l’évaluation de la possibilité de réaliser ce geste. En dehors de l’arrêt cardiaque, l’intubation doit être réalisée après anesthésie générale. La persistance de réflexes laryngés et d’une réactivité laryngée entraîne une dégradation des conditions d’intubation et augmente le risque de complications graves. L’anesthésie doit être réalisée selon une induction à séquence rapide (étomidate et kétamine associés à la succinylcholine). Par rapport à l’urgence préhospitalière, les particularités en service de réanimation tiennent aux contre-indications fréquentes de la succinylcholine et la disponibilité de moyens supplémentaires tels que la fibroscopie.
4. Matériel d’intubation et de ventilation.
Les experts réunis autour du Dr Xavier Combes (hôpital Henri-Mondor, Créteil) ont estimé que le choix du dispositif constituant un chariot d’intubation doit être fonction des algorithmes choisis par l’équipe médicale. L’ensemble des opérateurs susceptibles de les utiliser doit être formé à l’utilisation du matériel qui permet de faire face à une intubation difficile imprévue ou prévue et à une ventilation ou une oxygénation difficile ou impossible.
En cas de laryngoscopie difficile survenant avec une lame à usage unique, il est recommandé d’avoir immédiatement à disposition une lame métallique réutilisable. Un masque laryngé de type LMA-Fastrach doit désormais faire partie du chariot d’intubation difficile, mais chez l’enfant de moins de 30 kg, il doit être remplacé par un masque laryngé.
Les circulaires DGS/Dhos de mars 2003 et septembre 2003 recommandent l’acquisition de matériel privilégiant l’usage unique à la stérilisation et la stérilisation à la désinfection, à niveau de performance technique et de sécurité d’utilisation équivalents à celui des dispositifs réutilisables. Ces nouveaux impératifs de maintenance et d’hygiène doivent être intégrés dans le cahier des charges d’acquisition de nouveaux matériels des voies aériennes.
Le matériel doit être regroupé dans un chariot ou une valise facilement identifiable et accessible dans chaque secteur intéressé. Le matériel doit être contrôlé régulièrement et être muni d’un témoin d’utilisation. Il est par ailleurs recommandé qu’il existe pour chaque dispositif une fiche explicative facilement accessible. Sur cette fiche doivent être notées les consignes de contrôle et de stérilisation.
5. Stratégies et algorithmes.
Sous l’égide du Dr Olivier Langeron (groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris), des algorithmes s’inscrivant dans une démarche de maîtrise du risque ont été établis. On sait, en effet, que l’élaboration de référentiels et de recommandations pour la prise en charge d’une intubation difficile permettent d’en diminuer le nombre et de minimiser le risque d’accidents. Par ailleurs, l’élaboration d’une stratégie de prise en charge conduit à une réflexion collective et personnelle qui sensibilise au problème et permet d’anticiper une situation critique. Tous ces algorithmes décisionnels sont fondés sur une stratégie de prise en charge et ils comportent des étapes décisionnelles bien définies qui ont en commun de maintenir l’oxygénation, quels que soient les risques inhérents au patient.
Plusieurs situations ont été envisagées – intubation difficile prévue avec ventilation au masque facial efficace ou inefficace et intubation difficile non prévue – et les algorithmes détaillés seront très prochainement disponibles sur le site de la Sfar.
Parmi les points clés, les experts ont retenu que le réveil du patient ou le report de l’intervention doit être envisagé à chaque étape, que la désignation d’un leader responsable de la prise de décisions est souhaitable, que l’appel à l’aide dès les premières étapes de l’algorithme est recommandé, qu’il ne faut pas s’évertuer à intuber et passer à l’étape suivante après deux échecs et qu’il ne faut pas oublier de maintenir l’oxygénation à tout moment.
Enfin, certains cas particuliers sont aussi détaillés : anesthésie en urgence avec estomac plein, intubation en obstétrique et intubation en réanimation.
6. L’extubation.
Pour la première fois, les experts, coordonnés par le Dr Daniel Francon (institut Paoli-Calmette, Marseille), ont analysé les critères d’extubation et ils ont pris en compte la gestion d’une situation à risque. Les complications respiratoires représentent la cause la plus fréquente des réintubation en postopératoire. En anesthésie, les complications de l’extubation sont liées le plus souvent à une obstruction mécanique des VAS (de cause anesthésique ou en rapport avec un obstacle sur les VAS) ou à une dysfonction respiratoire. En réanimation, l’extubation est à différencier du sevrage ventilatoire. L’extubation – qui doit être réalisée en présence d’un médecin senior – ne peut être envisagée que lorsque la décurarisation est complète. Le retrait de sonde doit se faire en fin d’inspiration, en particulier chez l’enfant.
7. Enseignement et formation.
L’équipe du Dr Marc Fischler (hôpital Foch, Suresnes) a avant tout souligné l’insuffisance de l’enseignement universitaire puisque les internes en fin de cursus n’ont qu’une faible pratique des techniques recommandées. Dans ces conditions, comment réaliser la formation ? Pour les experts, la formation initiale par simple compagnonnage ne doit pas être mise en place au lit du malade : elle doit débuter par un programme théorique, un apprentissage sur mannequin préalable à l’apprentissage sur patient peut être envisagé. La courbe d’apprentissage pour l’insertion d’un masque laryngé ou d’un Fastrach est plus courte que celle de la ventilation au masque et de l’intubation trachéale. L’apprentissage de l’intubation facilitée par fibroscopie est difficile à organiser en raison d’une baisse des indications, une collaboration avec les pneumologues et les ORL est donc souhaitable. L’entretien des connaissances peut faire appel à une formation sur mannequin et il est conseillé de regrouper les différentes spécialités médicales impliquées dans le contrôle des voies aériennes dans un programme initial commun complété par un programme spécifique aux différentes spécialités concernées.
D’après un entretien avec le Dr Anne-Marie Cros (hôpital Pellegrin, Bordeaux) et sa présentation des résultats préliminaires de l’expertise au cours du congrès de la Sfar.
Ont participé au titre d’expert à la conférence d’experts « Intubation difficile » les Prs et Drs Pierre Diemunsch, Olivier Langeron, Martine Richard, François Lenfant, Jean-Louis Bourgain, Gilles Orliaguet, Jean Chastre, François Sztark, Daniel Francon, Yann Hervé, Bruno Marciniack, Xavier Combes, Didier Péan, Annick Legras, Olivier Laccoureye, Bruno Bally, Sami Jaber, Patrick Ravussin. * www.sfar.org.
Signes prédictifs d’une intubation difficile chez l’adulte
Antécédents d’intubation difficile
Critères recommandés
– Classe de Mallampati > II
– Distance thyro-mentonnière < 65 mm
– Ouverture de bouche < 35 mm
Critères conseillés
– Mobilité mandibulaire (morsure de la lèvre supérieure)
– Mobilité du rachis cervical (extension maximale-flexion maximale > 90°)
Autres critères à rechercher selon le contexte
– IMC > 35kg/m2
– Saos avec périmètre du cou > 45,6 cm
– Pathologie cervico-faciale
– Prééclampsie.
br>
Critères prédictifs de ventilation au masque difficile
Présence de deux des cinq critères suivants :
– âge > 55 ans ;
– IMC > 26 kg/m2 ;
– édentation ;
– ronfleur ;
– présence d’une barbe.
En outre, une VMD multiplie par 4 le risque de ventilation difficile.
Composition du chariot ou de la mallette d’intubation difficile en médecine d’urgence
– Pince de Magill.
– Sondes de tailles différentes.
– Lames métalliques de MacIntosh de toutes tailles.
– Mandrins longs béquillés.
– MLI (LMA-Fastrach).
– Set de cricothyroïdotomie.
Critères prédictifs d’une intubation difficile chez l’enfant
– Dysmorphies faciales.
– Classe de Mallampati : utilisable, mais non validée en pédiatrie.
– Distance thyro-mentonnière :
< 15 mm chez le nouveau-né ;
< 25 mm chez le nourrisson ;
< 35 mm chez l’enfant de moins de 10 ans.
– Ouverture buccale < 3 travers de doigt de l’enfant.
– Ronflement nocturne associé ou non à un Saos.
Composition recommandée d’un chariot d’intubation difficile en anesthésie ou en réanimation
– Pinces de Magill.
– Sondes d’intubation de tailles différentes.
– Lames métalliques de MacIntosh de toutes tailles.
– Mandrins longs béquillés.
– LMA-Fastrach de tailles différentes.
– Dispositifs d’abord trachéal direct (set de cricothyroïdotomie).
– Dispositifs d’oxygénation transtrachéal validé.
– Guide échangeur creux.
– Masque adapté à la fibroscopie et canules d’aide à la fibroscopie.
– Fibroscope.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature