DE NOTRE CORRESPONDANTE
SELON L'OMS, de 20 à 25 % des personnes dans le monde auront un trouble mental au cours de leur vie. A l'horizon 2020, la dépression sera la deuxième cause de maladie et d'incapacité. En France, le recours aux soins est en augmentation constante : pour la médecine de ville, le nombre de consultations pour troubles de la santé mentale est passé de 13,4 millions en 1992 à près de 16 millions en 2001. Et les spécialistes notent un accroissement important des phénomènes de souffrances psychiques.
Malgré cette généralisation des troubles, l'image de la santé mentale semble peu évoluer parmi la population. La « folie » fait toujours peur et la psychiatrie a toujours une image très négative.
Pour mieux cerner ces représentations et évaluer la prévalence des principaux troubles mentaux, le Centre collaborateur de l'OMS pour la recherche et la formation en santé mentale (Ccoms, Lille) et l'Association septentrionale d'épidémiologie psychiatrique, en collaboration avec la Direction de la recherche des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) ont mené une recherche-action internationale en population générale : 38 000 personnes de plus de 18 ans ont été interrogées (en France métropolitaine et dans les DOM) entre 1999 et 2003 sur leur représentation de la maladie mentale, la présence de troubles actuels ou passés et les recours thérapeutiques. L'enquête est également menée en Algérie, Belgique, Grèce, Madagascar, Maurice, aux Comores et en Mauritanie.
Après une année de dépouillement et d'analyse, les premiers résultats de l'enquête nationale ont été présentés hier à Lille dans le cadre des 2es Rencontres internationales du Ccoms, « Images et réalités de la santé mentale en France »*.
Onze pour cent des personnes interrogées ont été repérées comme ayant eu un épisode dépressif dans les deux semaines précédant l'enquête. Les femmes sont plus souvent concernées que les hommes, et les personnes veuves, divorcées ou célibataires davantage que les personnes mariées. Le fait d'être au chômage constitue le deuxième facteur corrélé aux épisodes dépressifs : à âge, sexe et situation matrimoniale égale, une personne au chômage a deux fois plus de risques qu'une personne ayant un emploi au moment de l'enquête.
Par ailleurs, 13 % des personnes interrogées ont déclaré avoir souffert d'anxiété généralisée. Comme pour les épisodes dépressifs, les femmes et les personnes séparées sont plus touchées.
Contrairement aux autres pathologies, les hommes souffrent plus souvent de syndromes d'allure psychotique, lesquels concernent 2,8 % de la population adulte. Enfin, 2 % des plus de 18 ans présenteraient un risque suicidaire élevé.
Folie et violence.
Dans les représentations qu'a la population des problèmes de santé mentale, les termes de fou et malade mental restent le plus souvent associés à des comportements violents. Quarante-cinq pour cent des personnes interrogées pensent par exemple que commettre un meurtre est associé au fait d'être un fou et 30 % un malade mental**.
La dépression, elle, semble moins stigmatisée par la population : elle n'est guère associée dans l'esprit des personnes à des phénomènes de violence, et surtout elle est perçue comme un trouble guérissable : 94 % des enquêtés pensent que l'on peut guérir d'une dépression et 75 % de manière complète. La forte médiatisation de la dépression et la publication de plusieurs livres témoignages ne sont sans doute pas étrangers à cette meilleure perception.
« En dehors de la dépression, les représentations de la maladie mentale ont assez peu évolué, constate Aude Caria, responsable méthodologique de l'enquête. Les jeunes et les personnes ayant fait des études supérieures sont plus familiers de la psychiatrie et ont donc une image plus positive, mais les préjugés ont la vie dure et les personnes souffrant de troubles psychiques subissent encore une certaine exclusion. On gère en France un héritage de deux cents ans d'asile ! Tout ce qui a trait à la maladie mentale est soigné ailleurs que les autres pathologies. Tant que la psychiatrie restera une filière à part, elle engendrera des représentations négatives. »
En faisant mieux connaître la maladie mentale et les lieux de soins, les promoteurs de cette étude espèrent promouvoir un système de soins moins excluant et instaurer une psychiatrie intégrée dans la cité.
* Salle Descamps, jusqu'au 27 octobre. Renseignements : www.epsm-lille-metropole.fr.
** En 2003, indiquent les auteurs de l'enquête, sur 47 665 personnes mises en examen dans des affaires jugées, il y a eu 285 non-lieux par application de l'article 122-1 du code pénal (irresponsabilité par cause psychiatrique), soit 0,005 % des mis en examen.
Partenariats
Les résultats de l'enquête soulignent, selon les auteurs, les exigences d'une alliance de tous les acteurs de la santé mentale ; patients, familles, professionnels de santé, élus locaux, médias. Les exemples d'un tel partenariat sont déjà nombreux : à Roubaix, formations spécifiques des travailleurs sociaux pour détecter les crises suicidaires et mieux connaître les soins psychiatriques ; à Rennes, une association d'anciens patients anime des ateliers ; à Paris, un conseil local de santé mentale regroupe les acteurs sanitaires, sociaux, associatifs et éducatifs ; à Bordeaux, des clubs d'accueil et d'entraide sont gérés par une association de famille ; à Lille, une galerie d'art contemporain est cogérée par un service de psychiatrie et la direction régionale de l'Action culturelle...
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