Le 10 mars est passé (« le Quotidien » d'hier), mais l'agenda revendicatif des médecins en colère reste bien rempli. Pour continuer de défendre au cours des prochaines semaines le slogan scandé dimanche par des milliers d'entre eux, « La santé avant tout », les libéraux auront l'embarras du choix.
L'UNOF (Union nationale des omnipraticiens français) planche sur des actions qui s'inscriront dans la grève des gardes suivie maintenant depuis quatre mois et dont elle doit dévoiler le détail aujourd'hui ou demain. Les coordinations ont, quant à elles, déjà élaboré leur plan de bataille. Rendez-vous est donné aux généralistes le jeudi 21 mars : des actions locales, toutes sur le même modèle, auront lieu dans chaque département. Suivra, quelques jours plus tard (du 25 au 30 mars), une « semaine de 35 heures », pour laquelle les médecins seront invités à mettre la clef sous la porte dès qu'ils auront atteint la durée de travail hebdomadaire désormais « légale » pour une majorité de Français. « Tout en rappelant que si notre but est d'avoir des honoraires meilleurs, c'est bien pour faire moins d'actes et pas pour gagner plus d'argent, nous allons montrer à tout le monde ce que cela signifierait si les médecins travaillaient 35 heures », explique le Dr Jean-Marc Rehby, porte-parole de la coordination nationale des généralistes. L'appel à l'application « sauvage » du C à 20 euros reste, bien sûr, d'actualité. Avec une nouveauté : les « hors-la-loi tarifaires » ont décidé de se compter. « Chaque semaine, nous adresserons à chaque caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) un état des lieux, validé par constat d'huissier, du nombre de médecins suivant le mouvement », annonce l'un des responsables de la même coordination, le Dr Jean-Paul Hamon.
Une façon, pour les coordinations, de montrer les dents au président (CFDT) de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), Jean-Marie Spaeth, qui est pour la première fois sorti du bois à propos de cette question du C à 20 euros. Jusqu'à présent, en effet, l'assurance-maladie était restée relativement discrète. Localement, certaines caisses primaires, comme celles de La Rochelle ou de Nantes, avaient pu rappeler à l'ordre les médecins pratiquant systématiquement le DE (dépassement d'honoraires pour exigence particulière du patient) pour facturer leur consultation 20 euros, mais l'échelon national de l'assurance-maladie avait observé une certaine réserve. Ce temps est révolu, la CNAM prend les choses en main. Dans le « Journal du Dimanche » du 10 mars, Jean-Marie Spaeth a révélé qu'il avait adressé aux médecins concernés un « premier avertissement ». Dans les faits, la CNAM indique que son président a envoyé « un petit message » à toutes les CPAM, leur rappelant la procédure « normale » à suivre quand un médecin pratique le DE « d'une manière excessive » (envoi d'une lettre au médecin, lequel peut ensuite s'expliquer, après quoi seulement, des sanctions financières sont éventuellement décidées). Un modèle de lettre, correspondant au premier volet de l'opération, a été fourni aux caisses primaires. Celles-ci, précise la CNAM, « l'utiliseront comme bon leur semble ». La missive est courtoise, Jean-Marie Spaeth ayant visiblement choisi de placer les médecins devant leurs responsabilités plutôt que de les menacer. L'accent est mis sur les « engagements » que suppose le conventionnement pour tous les acteurs du système. Les praticiens sont appelés à « respecter » leur part d' « équilibre conventionnel ».
Pendant que la caisse durcit le ton, MG-France, signataire le 24 janvier de l'avenant conventionnel portant notamment le C à 18,50 euros, hausse le ton (voir page 4). Son président, le Dr Pierre Costes, n'exclut pas de négocier avec la caisse des accords ultérieurs pour porter le tarif de la consultation à 20 euros et il invite les coordinations à venir, face aux pouvoirs publics, peser de leurs poids dans la balance. Son appel reçoit un accueil mitigé chez les responsables de coordination.
Pas question, répondent-ils d'abord, d'aller négocier « sur le porte-bagage de MG-France ».« Si nous devons aller discuter, ce sera ès qualités et à l'invitation du ministère ou de la CNAM », prévient le Dr Rehby. Seconde mise en garde : les coordinations n'iront débattre que quand le jeu en vaudra la chandelle. « Si c'est pour aller écouter des propos lénifiants, si c'est pour aller alimenter un écran de fumée, c'est non », assène le même Jean-Marc Rehby. La coordination nationale, qui ne veut pas « pratiquer la politique de la chaise vide », pose à toute participation à quelque réunion que ce soit des exigences difficiles à satisfaire : « La base de toute discussion pour nous, c'est la plate-forme de Cochin (rédigée à la mi-février par l'ensemble des coordinations, NDLR) , c'est-à-dire la dénonciation de l'accord du 24 janvier et le C à 20 euros », explique l'un de ses responsables.
« Du passé faisons table rase », s'obstinent donc à dire les médecins en colère, tandis que, de l'autre côté de la barrière, la CNAM et le gouvernement insistent sur ce qui a déjà été construit - « Il y a du grain à moudre », estime Jean-Marie Spaeth, et le ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner, affirme sans ambiguïté que « les négociations ont déjà eu lieu, on ne va pas les rouvrir ». Le fossé se creuse et il s'élargit d'autant plus que, dans le contexte de la campagne électorale, le débat se politise à grande vitesse.
Chirac pour le C à 20 euros
A peine son cortège dispersé, la manifestation de dimanche n'a pas manqué de provoquer de multiples commentaires, de susciter des petites phrases et parfois des promesses de taille. C'est ainsi que Roselyne Bachelot, porte-parole du candidat Jacques Chirac, n'a pas attendu vingt-quatre heures pour s'engager d'une manière très ferme sur le C à 20 euros. « Il faut entrer en dialogue avec les médecins pour valoriser leurs honoraires qui ne sont pas décents », a-t-elle expliqué lundi matin sur LCI, ajoutant que « la revalorisation bien modeste » réclamée par les généralistes mécontents lui « paraissait justifiée », répondant surtout « oui » à la question de savoir si son propos valait engagement du candidat Chirac. Invité, dimanche, du Forum Radio J, Jean-Pierre Raffarin, sénateur (DL) de la Vienne et proche du président de la République, y est allé lui de sa petite pique sur la manière dont le gouvernement de Lionel Jospin traite les médecins. Pour lui, l'équipe en place a commis « une triple faute : une faute d'arrogance (...) une faute d'imprévision (...) et une faute budgétaire ».
Irréaliste, selon Claude Pigement (PS)
Venus du camp de Jacques Chirac, la promesse et le reproche restent en travers de la gorge des socialistes. Délégué national du PS à la politique de santé, le Dr Claude Pigement rend les coups. « Je vois mal, ironise-t-il, comment on peut à la fois porter le C à 20 euros et baisser les impôts de 33 % sur cinq ans. Bien sûr, tout le monde voudrait que l'on rémunère mieux les médecins généralistes, mais il faut le financer. Or, à moins que la population dise banco à 1 ou 1,5 point supplémentaire de CSG, on n'a d'autre choix que de trouver un compromis entre les revendications des médecins et les contraintes sociales. En ce sens, je pense que l'accord du 24 janvier est un compromis correct. »
Interrogé lundi par RTL, Bernard Kouchner a tenu le même langage. Se disant « prêt à recevoir les médecins », annonçant qu' « un calendrier (de travail) devait leur être proposé », le ministre n'a pas pour autant promis la lune au corps médical : « On ne peut pas tout avoir, a-t-il averti, on ne peut pas mettre un litre et demi dans un litre. Il ne faut pas faire exploser ce système qui a permis aux Français avec un choix libéral d'être remboursés de la meilleure façon. »
Prenant acte de la mobilisation dominicale des médecins (« Je crois que c'était une importante manifestation »), la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Elisabeth Guigou, a, elle aussi, rappelé lundi sur Europe 1 que sa porte restait « toujours ouverte aux médecins » et donné son antidote au « trouble » et au « malaise profond » du corps médical : « Nous tournons le dos au système de sanctions financières » (issu du plan Juppé) et « nous construisons pour l'avenir d'autres façons de travailler ».
« Mauvaise réponse », s'est empressé de rétorquer le Dr Michel Chassang, président de l'UNOF, pour qui le gouvernement, en ne prenant pas en compte la « clameur » qu'ont fait entendre les médecins le 10 mars, « se comporte en antidémocrate ».
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