Richard Durn, le « tueur de Nanterre », avait menacé d'une arme à feu un médecin, au cours d'une consultation, le 10 juillet 1998, au bureau d'aide psychologique universitaire (BAPU) du cinquième arrondissement de Paris (« le Quotidien » du 29 mars). Malgré le signalement effectué alors par la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS), ni le procureur de la République, ni la police ne seront apparemment alertés. Et plusieurs journaux de s'indigner contre ce qui constitue, selon eux, un dysfonctionnement administratif. Et un dysfonctionnement particulièrement grave, puisqu'il aurait permis à un malade mental dangereux de rester titulaire de son port d'armes et de garder les armes de première catégorie avec lesquelles il a perpétré le massacre du 27 mars.
Or, le préfet des Hauts-de-Seine, Jean-Pierre Richer à l'époque, justement en cette année 1998, s'était par trois fois adressé au ministère de l'Intérieur pour regretter que ses services ne puissent consulter ce qu'il appelle le « fichier des antécédents psychiatriques des individus ». Ces courriers, transmis au ministère de l'Emploi et de la Solidarité, avaient trouvé une réponse le 20 août, à en-tête de la direction générale de la Santé (DGS) : en raison du secret médical et de la loi Informatique et libertés, la police, y lit-on en substance, ne peut en aucun cas être autorisée à consulter le fichier des antécédents psychiatriques, ne figurant pas parmi les tiers autorisés, tels les maires, par exemple : « L'arrêté d'hospitalisation d'office n'est pas seulement un acte administratif nominatif, il révèle un trouble mental et est difficilement dissociable du contexte médical. »
Ce courrier présente en tout cas le mérite de préciser de quoi on parle, à savoir du fichier des personnes hospitalisées d'office et non pas de celles qui présentent des antécédents psychiatriques. Un tel fichier, en effet, s'il existait, « stigmatiserait les malades mentaux, souligne le secrétaire général du Syndicat national des psychiatres privés (SNPP), le Dr Jean-Jacques Laboutière ; le secret médical est indissociable de la qualité des soins et il serait d'autant plus choquant d'envisager le fichage des patients qu'on n'a eu de cesse de détruire ces dernières années le système de soins ».
Les seuls fichiers existant recensent en fait le suivi par les DDASS des personnes hospitalisées sans consentement, dans le cadre des mesures de placement d'office (PO) ou à la demande de tiers (DT). La CNIL en a autorisé l'informatisation le 19 avril 1994. Et dans un avis rendu le 7 décembre 1998, à la demande de la DGS qui la consultait à ce propos sans doute pour répondre au préfet des Hauts-de-Seine, la Commission analyse le décret (du 7 mai 1995) sur l'autorisation du port d'armes et conclut que les forces de police peuvent obtenir communication des informations détenues dans le fichier des DDASS et être considérées comme des « tiers autorisés ».
« Cet accès ne présente pas de caractère systématique, mais doit répondre à des demandes ponctuelles et motivées », précise au « Quotidien » le chef de la division des affaires publiques et sociales de la CNIL, qui estime en outre qu' « il y a une logique pour que cette autorisation soit valable également pour les informations détenues par les DDASS à propos de signalements de faits psychiatriques comme celui du 18 juillet 1998 ».
Dénonciation du secret médical
Le débat autour du dysfonctionnement entre deux administrations, celle des Affaires sociales et celle de l'Intérieur, qui n'auraient pas été en mesure, pour des raisons réglementaires, d'échanger des informations, semble donc avoir fait long feu. Si débat il doit y avoir, c'est sur la responsabilité des fonctionnaires et non pas sur le principe du secret médical qui aurait fait obstacle à des mesures de sécurité publique. La dénonciation du secret peut d'autant moins être invoquée en l'occurrence qu'un préfet réellement soucieux d'accéder au dossier médical de Richard Durn n'aurait eu aucune difficulté à le faire : « Il lui aurait suffi de missionner un médecin expert, explique le Dr Pierrick Cressard, membre du Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) et président de la Commission départementale de l'hospitalisation psychiatrique du Loiret. Lequel expert aurait pu alors évaluer dans un rapport la question de la dangerosité du demandeur. »
Quoi qu'il en soit, la question reste posée du recours aux médecins en vue de la délivrance d'un permis de port ou de détention d'armes. Pour le Dr Cressard, c'est « une disposition hypocrite qui utilise les praticiens comme les garants de l'ordre public. Une fonction qui ne devrait pas leur être assignée. J'ai d'ailleurs, toujours refusé de rédiger un quelconque certificat de bonne santé mentale », insiste le praticien.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature