Bernard Stasi est un homme politique qui inspire le respect : il a toujours défendu des valeurs humanistes, il a conduit ses batailles politiques en refusant le cynisme, et c'est un centriste passionné, comme nous devrions tous l'être si nous étions capables de réprimer nos passions et d'introduire enfin un peu de réalisme dans nos idées.
M. Stasi a été nommé à la tête d'une commission chargée par le chef de l'Etat de faire des propositions sur la question du voile islamique, lequel, en vingt ans, est devenu une affaire d'Etat et déclenche un immense foisonnement d'opinions, depuis ceux qui ne croient pas aux menaces qu'on attribue au voile jusqu'à ceux qui y voient un danger pour la République.
Prudence et respect
La commission présidée par M. Stasi aura fait de la prudence l'axe de ses investigations et de ses conclusions : elle a noté une dérive islamiste dans les cités, elle reconnaît le risque qu'il y a à tolérer le voile ; mais par respect pour la communauté musulmane, elle fait des suggestions sans doute destinées à contrebalancer sa suggestion majeure : l'interdiction du voile.
Ce n'est pas rejoindre les positions de Philippe de Villiers que d'admettre avec lui qu'on est en train de jeter le bébé avec l'eau du bain. Il est donc temps de rappeler deux vérités essentielles :
1) Au moins 95 % des Français sont chrétiens ou d'ascendance chrétienne, même si beaucoup d'entre eux prennent leurs distances avec leur religion, même si un pourcentage non négligeable de Français se déclarent athées ou agnostiques. Le port de la croix est donc consubstantiel à un pays considéré comme la fille aînée de l'Eglise.
2) Le port de la kipa n'a jamais posé aucun problème : un très faible pourcentage des 600 000 juifs (au maximum) de nationalité française la portent et beaucoup de ceux qui ont une kipa ne la portent qu'en privé ou à la synagogue et à l'école. Les agressions antisémites ont conduit le grand rabbin Sitruk à suggérer aux enfants juifs religieux de la remplacer par une casquette. Dans un article remarquable, un chroniqueur du « Monde », Eric Fottorino, écrivait le 20 novembre dernier, à propos des enfants juifs qui sortent de leur école et remplacent distraitement leur kipa par une casquette : « Les voici ramenés à des temps immémoriaux. A l'écho du pire. Les insultes. Les agressions. Le feu criminel. Et maintenant le réflexe des juifs de cacher qu'ils sont juifs, sans autre raison que leur appartenance à cette communauté. »
Au secours des agresseurs
Sous ses traits les plus respectables, ceux de Bernard Stasi, la République, sans le vouloir, vole au secours des agresseurs. La kipa a été d'abord supprimée par la force, elle va être éliminée par la loi. Pourtant, contrairement au voile, elle n'est pas un instrument du prosélytisme, lequel est interdit par les textes sacrés : par définition, le peuple élu ne convertit pas les autres peuples. Et si, dans un lointain passé, il y a eu, en Afrique du Nord, en Afrique noire ou en Asie centrale, des conversions massives de tribus, elles ont été spontanées, et non pas demandées ou exigées par des juifs qui, au passage, n'ont jamais conquis aucune terre, à part celle qu'ils ont reconquise et dont ceux qui agressent nos enfants juifs leur contestent la propriété.
Les élèves ou étudiants porteurs de kipa en France, qui, dans les établissements publics, doivent se compter sur les doigts, obtiennent cependant satisfaction au sujet d'une revendication qu'ils n'ont jamais présentée : ils auront droit, pour Kipour, à une journée chômée au même titre que l'Aïd, qui devient férié pour les musulmans des écoles. Comme, de son côté, Jean-Pierre Raffarin envisage de supprimer le lundi de Pentecôte en tant que jour férié, la maladresse à l'égard des catholiques est patente. Le jugement de Salomon de la commission Stasi consiste simplement à enlever un petit quelque chose à deux religions pour contenir le prosélytisme de la troisième.
Tout cela fait désordre, surtout dans un pays membre de l'Union européenne, laquelle, rappelons-le ici pour lever toutes les hypocrisies, refuse l'entrée de la Turquie parce qu'elle est musulmane et pas seulement, comme on le dit, parce qu'elle ne respecte pas les droits de l'homme. Le sort réservé à la Turquie est inique : si elle a commis un génocide, ce n'est pas une raison pour lui interdire l'entrée dans l'Union, dès lors que l'Allemagne en a commis un autre, infiniment plus vaste et cruel, et qu'elle est le premier pilier de l'UE. Si la Turquie est musulmane, c'est une chance unique d'encourager un islamisme modéré plus tourné vers le commerce et le progrès que la sujétion des femmes (première signification du voile) ou la barbarie. On a peur de l'islam turc et on a peur aussi de l'islam français que l'on cherche à mettre sur les rails de la laïcité en lui donnant des gages : ôte ton voile et j'ôterai ma croix.
M. Stasi et le pape
Les idées de la commission Stasi entrent en contradiction avec d'autres idées, par exemple celle du pape, qui voudrait que la constitution européenne se réclame de la chrétienté. Personne n'est obligé de tenir compte des avis du pape. Mais alors pourquoi le nouvel académicien qu'est Valéry Giscard d'Estaing est-il opposé à l'entrée de la Turquie ? N'est-ce pas, au fond, parce qu'elle est musulmane ? Et si, dans le fond de leur cur, nos dirgeants revendiquent leurs racines chrétiennes au point d'être de l'avis du pape sans oser le dire, pourquoi empêcheraient-ils le port, « ostensible » ou non, de la croix ?
Jacques Chirac dira demain l'option qu'il aura faite, ce qu'il prend et ce qu'il rejette des propositions de la commission Stasi. Permettez-nous, Monsieur le président, de vous rappeler que c'est le voile qui nous dérange, pas la religion musulmane. Vous qui allez volontiers à l'église, vous dont l'épouse a rendu visite au pape, ne devez avoir aucune honte à rappeler qu'il existe en France une religion dominante ; une autre qui n'a jamais posé problème jusqu'à ce que Vichy fasse son propre syndrome d'intolérance ; et dont on ne reparle aujourd'hui que parce qu'elle est victime du fanatisme et de ce qu'il fait bien appeler le racisme ; une troisième, enfin, qui regroupe quelques millions de Français et résidents en France et qui commence, tout simplement, à être subvertie par une poignée d'extrémistes que financent des pays étrangers.
Votre rôle, Monsieur le président, est de les protéger toutes les trois : la première contre toute atteinte à son intégrité ; la deuxième contre les agités de la troisième ; et la troisième contre les mêmes.
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