DES FLEAUX AUX EPIDEMIES
Pharaon, le coeur endurci, s'obstinait. Moïse et son frère Aaron avaient plaidé la cause de leur peuple, jeté devant la cour le bâton qu'Il leur avait désigné, au pied du Buisson Ardent. Et comme Il l'avait indiqué, le bâton s'était transformé en serpent. Evénement imprévu cependant, en tout cas de Moïse, un magicien convoqué sur-le-champ avait réussi le même prodige, avec un autre bâton. Aussi, que le serpent issu du bâton de Moïse ait dévoré le serpent du magicien n'importa guère : la péripétie fut mise au compte de l'aléa ; assis qu'il était, ou croyait l'être, sur une science toute puissante, l'empire avait confirmé sa légitimité ; sa bonne marche exigeait la main-d'oeuvre corvéable que constituaient les Hébreux ; Pharaon ne se laissa pas convaincre. Dix plaies n'allaient pas tarder à s'abattre sur la pensée unique.
Pour se représenter ce que purent en être les instruments, la science moderne est convoquée en renfort. Pour commencer, il advint que le Nil se chargea de sang. Ce dut être spectaculaire, certes. Mais la prolifération rapide de certains phytoplanctons peut faire l'affaire pour expliquer cette marée rouge. Après nouvelle requête, et refus réitéré de Pharaon, la deuxième plaie survint : la terre d'Egypte fut envahie de grenouilles. Effectivement, toute grenouille normalement constituée tend à se réfugier en plein champ lorsque son habitat aquatique est devenu toxique, et que les petits poissons qui améliorent l'ordinaire n'y demeurent plus que ventre en l'air.
Epidémies sélectives
Peut-être Pharaon eut-il ce commentaire, que l'on fait typiquement en cours de chute : « Jusque-là, ca va. » Et de se préparer pour les plaies numéro trois et quatre, qui furent grouillantes, puisque des hordes d'insectes envahirent à deux reprise le palais de Pharaon et les maisons d'Egypte. A ce stade, les choses se compliquent, puisque les plaies deviennent sélectives, épargnant apparemment les Hébreux. A l'instar de la sixième plaie, d'ailleurs, qui fit se couvrir les Egyptiens d'ulcères. Troisième, quatrième plaies et sixième plaie, donc, ont fait l'objet de tentatives d'explications conjointes. Des épidémies véhiculées par des arthropodes, type peste bubonique, trypanosomiase, ou leishmaniose ont été évoquées. Il est toutefois douteux qu'une partie de la population ait pu échapper sélectivement à des maladies aussi aisément transmissibles. Une autre hypothèse est donc envisagée*, fondée sur l'observation en Turquie, en Afrique de l'Est, ainsi qu'en Australie, d'épidémies d'affections dermatologiques à type de cloques, liées à des coléoptères du genre Padeus.
Lesdites bestioles frayent habituellement sur les berges humides, où elles se nourrissent de têtards et de charognes. L'épisode des grenouilles, qui a dû voir nombre de batraciens finir prématurément, a donc du également favoriser une explosion de la population des coléoptères. La nuit, lorsqu'ils sont en surnombre, ces insectes peuvent littéralement envahir les sites éclairés, allant jusqu'à noircir des murs, dit-on. Or les habitations des Hébreux n'étaient sans doute pas les plus éclairées, ni les plus proches des rives fertiles du Nil.
Des cloques nécrotiques
Voilà pour les maisons d'Egypte. Ensuite, les ulcères. Non content d'être assez répugnant à haute dose, le genre Padeus est toxique. Au contact de la peau, son hémolymphe provoque en effet l'apparition de cloques nécrotiques douloureuses. Lors de l'invasion des maisons, on imagine sans peine que des coléoptères ont dû finir écrasés par dizaines de milliers. C'est en tout cas ce qui s'est produit lors des récentes épidémies, qui, pour certaines, ont conduit à l'évacuation de populations entières. Comme le délai d'apparition des cloques, après contact cutané avec l'hémolymphe, va de un à quatre jours, on peut aussi concevoir que les deux événements liés - invasion de coléoptères et apparition des ulcères - aient été perçus comme indépendants.
Entre les deux, il faut aussi placer la cinquième plaie, une épizootie qui a décimé le bétail. Mais s'il y a bien eu abondance de charognes sur les berges, le développement d'une épizootie est tout sauf improbable.
Pharaon vit encore passer la grêle, les sauterelles, les ténèbres - on évoque à ce propos l'éruption du volcan de Santorin -, avant de se résoudre, face à la mort des premier-nés égyptiens, à laisser partir les Hébreux, pour ensuite bien vite se raviser et perdre ses meilleurs bataillons en pleine mer Rouge. Les Hébreux vagabondèrent pendant quarante ans à travers le Sinaï. Au terme de cette épopée, Moïse fut admis, pour « services exceptionnels », à voir de loin le théâtre des événements à venir - mais non à y poser le pied - signe qu'une émancipation n'aboutit pas en une, mais en deux générations. Mais cela est une autre histoire.
Pour en revenir aux plaies d'Egypte, les choses se sont-elles passées de la manière que l'on décrit aujourd'hui ? Peut-être. Jusqu'à la sixième plaie, en tout cas, les éléments proposés paraissent vraisemblables. Mais peut-être faut-il justement se méfier des semblables, pas toujours véridiques, comme il aurait fallu se méfier du serpent du magicien, la science d'aujourd'hui n'ayant pas moins que celle d'hier, la charge de rassurer un empire sur lui-même.
* S. A. Norton et C. Lyons, « The Lancet », vol. 359, 1er juin 2002.
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