LE TEMPS DE LA MEDECINE
L'HOPITAL DE JOUR d'évaluation gérontologique, au sein du groupe hospitalier Broca-La Rochefoucauld, à Paris, fêtera l'an prochain ses dix ans. Dix ans de combat innovant, sous la férule du Pr Françoise Forette, ce qui confère à l'établissement une renommée internationale, avec un statut officiel de centre mémoire expert Ile-de-France pour la recherche et les ressources.
Aujourd'hui dirigé par le Pr Anne-Sophie Rigaud, le service a tout d'abord procédé à ce qu'on appelait des bilans « prévention du vieillissement pathologique et évaluation mémoire ». « Il a fallu un peu de temps, précise le Dr Marie-Laure Seux, praticien hospitalier, avant qu'on retienne l'intitulé plus direct de consultation mémoire. » Une évolution sémantique logique, dictée par le constat que 99 % des patients qui frappent ici à la porte expriment une plainte mnésique.
« En 1995, nous en avons accueilli 300, adressés par leurs médecins depuis toutes les régions de France, se souvient le Dr Seux. L'année suivante, nous avons décidé d'ouvrir les rendez-vous directement, sans lettre du médecin traitant. Une stratégie qui a été revue par la suite, à deux reprises. »
Trois rendez-vous à l'hôpital de jour.
Toujours est-il que, chaque année, ils sont quelque 900 nouveaux patients à recourir à la consultation mémoire de Broca, qui s'ajoutent à une file active de 4 000 consultants. Moins de 20 % d'entre eux viennent du secteur dit de proximité (5e, 6e, 13e et 14e arrondissements), 29 % d'autres arrondissements de la capitale, 43,9 % de banlieue parisienne et 6,92 % de province.
L'hôpital de jour est un gros cube bleu construit de plain-pied dans le jardin de Broca. Selon le protocole en vigueur, les patients y seront reçus à trois reprises : tout d'abord, à l'instar de Mme H. (lire page 17), pour une première consultation d'une durée de trois quarts d'heure. Ensuite, c'est le bilan. Une batterie très diversifiée d'examens est proposée : évaluation clinique, électrocardiogramme, échelle de dépression, scanner cérébral, évaluation neuropsychologique, bilan biologique (NFS, glycémie, calcémie, VS, vitamine B12, gamma GT, TSH ultrasensible, folates érythrocytaires, albumine, bilan lipidique) ; participent aussi à l'équipe vraiment très pluridisciplinaire un ergothérapeute, un orthophoniste, un rhumatologue, un neurologue.
Mais le cœur de l'investigation reste la mémoire. Et en dix ans, souligne le Dr Seux, « c'est certainement la principale évolution que nous avons enregistrée ; les gens sont beaucoup plus médicalisés, si bien que lorsqu'ils viennent nous voir pour une consultation mémoire, ils ont déjà subi toutes sortes d'investigations pour lesquelles ils sont éventuellement sous traitement ».
La journée-bilan obéit à un déroulement très organisé : « Ils arrivent le matin à 8 h 30, explique le Dr Florence Latour, et on commence par effectuer une prise de sang, avant de leur servir un petit déjeuner ; après, ce sont les examens, avec les tests mémoire, les divers tests neurologiques et orthophoniques ; aux environs de midi, le déjeuner est servi sur des tables rondes où patients et personnels voisinent. Les accompagnants sont invités à laisser les consultants discuter entre eux. Puis les examens reprennent, parfois à l'extérieur, comme pour les scanners qui sont réalisés à Saint Vincent-de-Paul. »
Fin de la journée vers 16 heures. Les résultats sont connus deux à trois semaines plus tard et ils font l'objet d'une troisième consultation, dite de synthèse. C'est à ce moment-là que des choix thérapeutiques pourront être arrêtés.
Broca est victime de son succès : en général cinq mois vont s'écouler entre le début de la prise en charge et le diagnostic avec la prescription ad hoc. Il s'agit d'une moyenne, mais il y a des à-coups saisonniers : l'été est en général très calme ; on a aussi observé que lorsque surviennent des crises internationales majeures, le rythme des consultations mémoire chute sensiblement. Quand même, ces délais restent importants et d'autant plus préjudiciables aux patients que, contrairement à l'idée reçue, des stratégies thérapeutiques existent bien aujourd'hui.
Dans l'Orne, une consultation en voie de saturation.
L'Ile-de-France, avec ses 50 consultations mémoire, reste pourtant la région la mieux pourvue. Loin derrière, par exemple, la Basse-Normandie fait figure de parent pauvre avec seulement six consultations (Caen, Lisieux, Granville, Cherbourg, Avranches et Alençon) ; mais l'esprit pionnier, ici comme ailleurs, souffle. Gériatre qui a fait ses classes à Charles-Foix (Ivry, Val-de-Marne), le Dr Colette de Crécy en est la dynamique illustration : après avoir monté en 2000, au sein d'une unité de gériatrie à l'hôpital de L'Aigle (Orne), une consultation hebdomadaire orientée vers les troubles cognitifs et bilans des états démentiels, cette infatigable PH a enrôlé une neuropsychologue et une assistante sociale pour suivre à ses côtés la vague des consultations : « De 45 en 2001, on est passé, constate-t-elle, à 87 en 2002, 100 en 2003 et 300 pour cette année. Depuis le 1er mars, nous fonctionnons comme consultation mémoire, avec un dossier en cours d'accréditation à l'ARH de Basse-Normandie. »
A l'issue d'une première consultation avec tests, des examens paracliniques sont programmés (bilan biologique, scanner cérébral, bilan psychométrique). C'est ensuite, comme à Broca, le rendez-vous dit de synthèse, avec éventuelle mise en route du traitement et de la prise en charge en atelier mémoire.
Actuellement, le délai d'attente pour un premier rendez-vous est d'au moins quatre semaines. Mais déjà, la consultation aiglonne est menacée de saturation. L'état des lieux démographique est préoccupant : les projections Insee pour l'évolution de la population dans un rayon de 50 km autour de l'Aigle font état d'une progression de 27 % de la tranche des plus de 65 ans sur la période 2000-2008 et de 32 % pour les plus de 75 ans sur la même période.
Le Dr de Crécy a besoin de renforcer son équipe avec au minimum un gériatre à mi-temps et un neuropsychologue, également à mi-temps. « C'est la condition nécessaire, estime-t-elle, pour faire face à la demande des bilans mémoire et aussi pour envisager, dans un deuxième temps, un projet d'accueil de jour et d'hébergement temporaire. »
Les avantages de la ruralité.
Ici aussi, les traitements portent leurs fruits. Par exemple, Mme S., suivie depuis six mois, après avoir été mise sous anticholinestérasique, a cessé de se plaindre de troubles mnésiques invalidants au quotidien et elle participe aux ateliers mémoire avec une régularité sans faille.
« Il est vrai que nous bénéficions des avantages de la ruralité, souligne la gériatre. Ici, pour le maintien à domicile, les choses se passent généralement mieux qu'en milieu urbain, avec plus de bienveillance de la part des entourages, même à l'égard de patients sévèrement atteints. Cela nous permet de bien cadrer les patients, d'autant que les communes se sont souvent dotées d'associations d'aides ménagères ou d'auxiliaires de vie qui tournent bien. »
Ce combat pour le maintien des malades à domicile est probablement ce qui fédère des équipes aussi diverses que celles qui œuvrent à Broca, à L'Aigle et ailleurs ; contrairement au sentiment d'impuissance si souvent répandu, jusques et y compris dans le corps médical, les pionniers des consultations mémoire, d'hier et d'aujourd'hui, y croient et veulent y faire croire : « En dix ans, s'exclame le Dr Seux, nous avons assisté à une révolution. Sur une cohorte de 500 patients, un quart sont restés stables pendant trois ans grâce au traitement. » « La suite, assure le Pr Françoise Forette, s'annonce aussi prometteuse que ce que nous avons connu dans la lutte contre le sida avec les trithérapies. »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature