Il fut un temps où les médecins prescrivaient l’antimoine en pilules, « sortes de petites balles de la grosseur d’une lentille ». Le malade les rendant intactes, elles pouvaient servir indéfiniment « sans perdre rien de leur vertu purgative et émétique » : de là leur nom de « pilules perpétuelles ».
On pourrait croire à une fantaisie, écrit le Dr Legué, dans un amusant article que publie le « Journal», tant paraît bizarre l’idée de ces petites balles multipliant leurs successifs voyages à travers des intestins différents : mais le grand apothicaire Lemery, dans son Cours de chimie, dit que « lorsqu’on avale la pilule perpétuelle, elle est entraînée par sa pesanteur et elle purge par le bas. On la lave et on la redonne comme devant et ainsi perpétuellement » .
De plus, une citation fidèle du « Dictionnaire de médecine et de chirurgie » (édition de 1772) ne laissera place à aucun doute à cet égard : « Lorsqu’on avait pris ces pilules, dit ce grave volume, le résultat de la purgation était recueilli dans une espèce d’écumoire pu de passoire, placée au-dessus d’un vase contenant de l’eau et était délayé et lavé jusqu’à ce qu’on ait retrouvé la petite balle d’antimoine qui, bien lavée à son tour, et séchée, était mise en réserve pour une opération subséquente ».
On ne saurait donc nier ce qu’avaient de pratique ces « pilules perpétuelles ». Entre amis, on se les prêtait. Un auteur contemporain de leur usage, l’illustre pharmacien Pomet, nous révèle même « qu’elles se transmettaient en héritage de famille ».
Heureuse époque où l’on pouvait, à défaut d’or liquide, se léguer des pastilles de santé. N’y aurait-il pas là, de nos jours, matière à alimenter la verve de nos vaudevillistes - et aussi remplir la caisse de quelque avisé spécialiste ?
(« La Chronique médicale », 1913)
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