A-t-on bien pris la mesure du conflit qui secoue le monde de la santé et des conséquences de l'accord signé à l'arraché par MG-France et les caisses d'assurance-maladie ? A-t-on mesuré ses retombées, bien souvent contre-productives ? Peut-être pas.
Pour l'assurance-maladie :
un risque pour les dépenses
La CNAM a, certes, un accord avec un syndicat de généralistes. Mais, parce qu'il est rejeté par les organisations majoritaires, et surtout parce qu'il ne prévoit qu'une augmentation limitée du tarif de la consultation, cet accord ne permettra pas de mettre un terme à la course à l'acte que dénoncent les responsables de l'assurance-maladie. Le nombre annuel de consultations effectuées en moyenne par chaque omnipraticien ne cesse d'augmenter : il est passé de 2 912 en 1990 à 3 720 en 2000 (soit une hausse de 27 %). Cette augmentation est parfois due à des problèmes spécifiques (nombre de praticiens insuffisant dans un secteur donné). Mais de nombreux médecins reconnaissent que c'est l'insuffisance de la rémunération qui les incite à multiplier les actes, notamment, comme le dit l'un deux, le « taux de revoyure » des patients. Ce n'est pas une hausse d'un euro sur le C qui permettra d'inverser cette tendance.
Certains syndicats étaient prêts, moyennant une augmentation substantielle des tarifs, à discuter d'une limitation du nombre d'actes. Ne pouvait-on essayer de s'engager dans cette voie ? Cela supposait qu'on augmente plus fortement les honoraires et que l'on dénonce l'actuelle convention des généralistes. La CNAM ne l'a pas voulu. Résultat : tout indique que le nombre d'actes va continuer à augmenter. Et du même coup, le montant des prescriptions pharmaceutiques, dont l'évolution inquiète tant l'assurance-maladie.
La comparaison des statistiques entre les médecins du secteur I et ceux du secteur II permet de constater que moins un médecin fait d'actes, et moins le coût des prescriptions par acte est élevé. Pour l'assurance-maladie, cet accord ne permettra en rien de maîtriser l'évolution des dépenses. Cette situation, combinée avec une augmentation de la masse salariale - et donc des recettes - moins importante que prévue, pourrait creuser le déficit prévisionnel de l'assurance-maladie pour 2002.
Pour Jean-Marie Spaeth : une majorité toujours fragile
Le président de la CNAM n'a pas réussi à élargir sa majorité à l'occasion du conflit. L'accord n'a été approuvé que par la CFDT, la Mutualité, l'Union professionnelle des artisans (UPA) et les personnalités qualifiées. FO, la CGT et la CFE-CGC ont voté contre. La CFTC s'est abstenue.
Jean-Marie Spaeth est condamné à présider la CNAM avec une majorité fragile.
Pour MG-France : une crise interne
MG-France conforte, certes, auprès de la CNAM et des pouvoirs publics, son image de syndicat responsable, partisan d'accompagner les réformes. Mais sa signature se fait au prix d'une sérieuse crise interne. Une partie du syndicat, emmenée par le Dr Philippe Sopena, ancien premier vice-président et toujours membres du comité directeur, affirme que le bureau n'a pas été mandaté pour approuver ce type d'accord et demande la tenue d'une assemblée générale extraordinaire. Le comité directeur prévu pour le 2 février pourrait être contraint de convoquer cette assemblée générale si un tiers des syndicats départementaux la demande. Sur le terrain, une partie des membres de MG-France s'est associée à la « Journée sans toubib » du 23 janvier à laquelle le syndicat n'appelait pas. Certains adhérents ont décidé d'augmenter unilatéralement le tarif de leur consultation et de le porter à 20 euros. Il est difficile d'avoir une idée précise du nombre de ces dissidents, mais une chose est certaine : une fêlure s'est produite. MG-France, qui avait déjà perdu près de la moitié de ses sympathisants entre les élections professionnelles de 1995 et celles de 2000, risque de payer cher, en termes d'audience et de cotisants, le paraphe qu'il a apposé la semaine dernière au bas du protocole d'accord.
Pour la CSMF et le SML : l'avenir incertain de la mobilisation
L'Union nationale des omnipraticiens français (UNOF-CSMF) et le Syndicat des médecins libéraux (SML), qui ont été à l'origine du mouvement du grève des gardes, ont le vent en poupe. Mais plusieurs dangers les guettent. Le temps passant, la couverture médiatique dont ils ont bénéficié jusqu'alors a toute de chance de se réduire comme peau de chagrin et le mouvement de sombrer dans l'oubli. La popularité de la grève dans l'opinion publique, soutenue jusqu'à présent, pourrait être compromise à terme, notamment si certains médecins continuent à appliquer des hausses unilatérales d'honoraires, ce qui pénalise les patients. La détermination des généralistes risque aussi de faiblir, notamment si les caisses se font plus précises dans les menaces de sanctions qu'elles commencent à adresser aux praticiens qui prennent le C à 20 euros et le V à 30 euros.
Certains médecins pourraient également être tentés de ne pas considérer comme négligeable l'accord MG-France - CNAM qui, ne cesse de proclamer Elisabeth Guigou, représente, la première année, une augmentation des recettes de 350 euros par mois et par généraliste (soit un peu plus de 175 euros par mois de revenus supplémentaires, frais déduits).
Enfin la CSMF et le SML doivent se méfier du procès en sorcellerie politique qui commence à être instruit à leur encontre par le gouvernement. Et qui s'appuie, notamment, sur le fait que le Dr Claude Maffioli, président de la CSMF, est adjoint au maire (divers droite) de Reims et nourrirait l'ambition de se présenter aux élections législatives dans la Marne. L'accusation portée par la majorité est pour le moins hâtive : reprochait-on aux praticiens en 1997, lorsqu'ils se mobilisaient contre le plan Juppé, d'être des séides du Parti socialiste ? Mais elle peut faire mal.
Le gouvernement : un feu croisé de critiques
Le soulagement manifesté par Elisabeth Guigou lorsqu'elle a commenté, la semaine dernière, sur France 2, l'accord qui venait d'être signé, ne saurait faire illusion. Le gouvernement n'a pas réussi à dissiper le malaise des professionnels de santé. La grève des gardes continue et les professionnels devraient descendre dans la rue pour manifester leur mécontentement, au mois de mars, juste avant ou juste après l'annonce de la candidature de Lionel Jospin. Le gouvernement va se retrouver sous le feu croisé des critiques. Certains l'accuseront d'avoir affiché à l'égard des médecins une superbe indifférence et de ne pas avoir pris la mesure de leur mécontentement. D'autres lui intenteront un procès en procrastination, lui reprochant d'avoir différé en matière de santé, tout comme en matière de retraite, des réformes indispensables.
Assommée par son échec électoral en Avignon, accablée par les censures successives du Conseil constitutionnel, visée par les réquisitoires rétroactifs contre la loi sur la présomption d'innocence, Elisabeth Guigou n'avait pas besoin de ce conflit avec les médecins qui fait pâlir un peu plus son étoile au firmament de la politique.
L'opposition : l'accusation d'incohérence
La droite a fait son miel du conflit de généralistes. Elle serait inspirée de faire preuve d'une certaine réserve à cet égard. A trop surfer sur la vague des blouses blanches, elle s'expose à un double grief : celui d'avoir la mémoire courte - il n'y a pas si longtemps, c'était contre elle que défilaient les médecins - et celui de faire preuve d'une certaine irresponsabilité en matière d'équilibre des comptes sociaux. Certains paraissent l'avoir compris, tel le tout nouveau premier ministrable Jean-Pierre Raffarin, qui s'est contenté de lâcher un commentaire prudent sur le thème de l'accord qui va dans le bon sens mais qui demeure insuffisant.
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