« Les industriels du médicament sont en train de comprendre que c'est aussi leur intérêt bien compris de travailler avec nous », se félicite le Dr Albert Toikeusse Mabri, ministre d'Etat de la Santé et de la Population de la république de Côte d'Ivoire. « Plus ils accepteront de réduire leur marge, plus important sera leur chiffre d'affaires avec nous, et mieux ils se porteront », explique-t-il au « Quotidien », en jugeant que ces partenaires sont « sur la bonne voie ».
Dans son discours de clôture, Jean-Pierre Cassan, le président du LEEM, s'est voulu également optimiste : « L'année dernière, a-t-il rappelé, nous constations le passage à une vision beaucoup plus pragmatique et optimiste sur ces questions ; aujourd'hui, nous sommes résolument entrés dans l'ère de l'action. »
Ce que confirme le Dr Urbain Olanguena Awono, ministre de la Santé de la république du Cameroun : « En 2002, j'avais annoncé que mon pays se préparait à réaliser plusieurs études sur les déterminants de recours aux soins et aux médicaments, et les conditions de prise en charge par les antirétroviraux des personnes vivant avec le VIH/sida ; menées avec le LEEM, ces études révèlent l'ampleur des efforts qu'il reste à faire pour l'accès du plus grand nombre au médicament (...) Les prix élevés des médicaments par rapport au pouvoir d'achat des populations entretiennent l'illusion chez les trois quarts de la population que le marche illicite constitue une alternative intéressante. »
Le Cameroun, pour casser la filière de contrebande qui fait rage sur son territoire, a entrepris de baisser de plus de 40 % les prix des médicaments essentiels, d'ouvrir son Centre national du médicament au secteur privé et de développer des filières de formation et de recrutement en sciences pharmaceutiques.
Les effets se font sentir, très positifs : « Les coûts mensuels des trithérapies qui étaient compris en novembre 2000 entre 250 et 500 euros ont été divisés par douze en trois ans, pour se situer aujourd'hui entre 23 et 43 euros. » Du coup, dans le même laps de temps, le nombre de malades sous traitements antirétroviraux a décuplé, dépassant le cap des 5 000.
Ces progrès ne permettent cependant pas de crier victoire. Le prix de la trithérapie correspond sensiblement au revenu mensuel moyen. « C'est dire, conclut le Dr Awon, que des efforts considérables sont encore nécessaires, notamment la mise en œuvre des accords de Doha (conférence de l'Organisation mondiale du commerce sur les droits de la propriété intellectuelle qui s'est tenue dans la capitale du Qatar en novembre 2001) et le renforcement du partenariat public-privé (...) Accéder au médicament est un droit fondamental pour tous, un droit humain qui fait de la santé un bien public commun qu'il faut rendre accessible pour sauver constamment des millions de vie. »
Confiance mutuelle
Ce credo, industriels du médicament et dirigeants africains sont unanimes à l'entonner, chacun dans sa grammaire propre. Ainsi, Bernard Lemoine, vice-président du LEEM, souligne ces efforts partagés, basés, assure-t-il, « sur une confiance mutuelle », les trois grands axes structurants que constituent, comme au Cameroun ou au Sénégal, l'assistance dans la réalisation des études techniques sur l'accès aux soins et aux médicaments, le partenariat public-privé et le développement des systèmes de protection sociale, comme au Maroc, où se met en place un ambitieux projet d'assurance-maladie universelle.
Autant d'initiatives auxquelles le LEEM, selon son président, est heureux d'avoir pu participer, en apportant son expertise technique aux multiples initiatives impulsées ou non par les gouvernements.
Quant à la question cruciale entre toutes des « médicaments cédés à des prix différenciés », pour dire les choses selon la formulation technocratique en usage, Jean-Pierre Cassan affirme son espoir que « le processus de Doha va trouver une réponse prenant en compte les préoccupations des pays en développement et celles des industriels, à savoir le respect de la propriété intellectuelle et la préservation des conditions essentielles au financement de la recherche et du développement de nouvelles molécules ».
« Si nous n'arrivons pas à concilier nos logiques, nous allons au chaos », prévient, de son côté, le Dr Mabri. Il en va de l'épidémie de sida comme des grandes problématiques environnementales : tous les pays au bout du compte sont concernés par l'issue finale.
Pour l'heure, la situation ivoirienne est critique : « En raison des troubles politiques, la prévalence du sida s'est accrue ces derniers mois, atteignant jusqu'à 15 % dans certaines régions », déclare au « Quotidien » le Dr Christine Adjobi, ministre chargée du sida, seule dans cette attribution pour tout le continent africain. C'est une manière, souligne-t-elle, d'affirmer combien son pays prend au sérieux l'épidémie : « Une priorité absolue, avec, à ce jour, 3 260 patients éligibles à la trithérapie et un total de 6 000 qui ont été approchés. Les centres accrédités ont été décentralisés dans les dix régions sanitaires, avec un suivi biologique et médical satisfaisant. Notre système de soins est à niveau ; notre urgence numéro un, c'est la fourniture des médicaments. Telle est la situation : la maladie est chez nous, et les traitements sont chez vous. »
Le Dr Mabri ne se départit pas d'un sourire quelque peu forcé en évoquant une solidarité internationale qui se lézarde autour de la Côte d'Ivoire, classée à l'échelle 4 par l'ONU, ce qui entraîne le départ de la plupart des bailleurs de fonds. Pour le moment, l'OMS maintient ses crédits, mais pour combien de temps ?
C'est l'épidémie de SRAS qui le fait finalement sortir de ses gonds : « Nous avons conçu un plan de surveillance des aéroports pour une détection des cas et leur prise en charge ; le budget se monte à 500 millions de francs CFA (un million d'euros) : l'OMS nous dit de nous contenter de nos veilles sanitaires déjà en place ; alors, quand nous voyons les moyens considérables dégagés pour contenir cette épidémie dans les pays riches, parce que le coronavirus les frappe au cœur, la frustration nous submerge, nous qui ne disposons pas de moyens de nous dire réellement indemnes du SRAS. »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature