Décision Santé. Pourquoi avoir débuté votre campagne par la thématique santé ?
François Hollande. La santé est une des premières préoccupations des Français dans cette campagne et, pour moi, c’est sûrement le domaine dans lequel les inégalités sont les moins acceptables. Qu’un ouvrier ait une espérance de vie de 7 ans inférieure à celle d’un cadre n’est pas acceptable. Les gouvernements de droite ont depuis des années laissé filer le système, amplifiant ces inégalités : déremboursements, franchises, dépassement d’honoraires, déserts médicaux, logiques uniquement financières à l’hôpital…. Il faut y mettre un terme. C’est une priorité : remettre le système de santé en ordre de marche, dans le sens du progrès.
D. S. Vous avez évoqué un nouveau mode de financement de l’hôpital. Quel est-il ?
F. H. Le modèle actuel de tarification à l’activité, construit par la droite, est doublement pervers : il fait entrer l’hôpital dans un système de concurrence, en obérant les valeurs de service public et de qualité des soins ; il n’aide en aucune façon la maîtrise des déficits, puisqu’il favorise toujours plus d’activité sans se soucier de la pertinence des soins. Ce que je veux, c’est changer cette logique pour que le mode de financement soit adapté aux exigences du service public. Par exemple, pour certaines activités comme les urgences ou certains domaines de la médecine, il faut pouvoir tenir compte de la nécessaire couverture du territoire et du temps passé par les médecins avec leur patient, gage de qualité des soins.
D. S. Vous vantez le décloisonnement entre le médico-social, le social et le sanitaire. N’est-ce pas un des acquis de la loi HPST ?
F. H. Avez-vous vraiment l’impression que les agences régionales de santé mettent en œuvre des politiques décloisonnées entre ces trois secteurs ? Je crois qu’il va falloir maintenant aller plus loin sur ce sujet, en travaillant sérieusement sur les financements, qui aujourd’hui fonctionnent très largement en tuyaux d’orgue. Il faut donner les moyens à ces agences d’être de réels animateurs territoriaux de la politique de santé.
D. S. Comment inciter les médecins sans les contraindre à s’installer dans les zones déficitaires ?
F. H. Tout d’abord, on sait très bien que la coercition ne fonctionne pas. Ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas de solution si on ose aborder ces sujets sans idéologie. Il s’agira d’abord de faire en sorte que les médecins libéraux réinvestissent ces zones déficitaires. C’est pour cela que je lancerai très rapidement un plan d’urgence pour aider les jeunes médecins à s’installer dans ces zones. Si cela ne suffit pas, il faudra être pragmatique : en cas d’absence d’initiative libérale, le service public devra prendre le relais. Je demanderai notamment à l’hôpital public d’organiser des structures de soins de proximité et de proposer aux jeunes médecins de travailler dans ces structures, sous des formes d’exercice variées.
D. S. Vous voulez mettre fin à la convergence tarifaire public/privé. N’avez-vous pas peur de fragiliser économiquement les cliniques privées ?
F. H. L’objectif n’est pas de fragiliser les cliniques privées, mais de tenir compte de certaines contraintes de l’hôpital public. Si une part importante des ressources doit être liée à l’activité, les missions de service public, la disponibilité permanente, les charges de coordination ville-hôpital et la prise en charge sociale doivent être prises en compte par un financement spécifique et global. Pour toutes ses raisons, il n’est ni réaliste, ni acceptable d’aller vers un tarif unique et d’aligner le financement des établissements assurant le service public de santé sur celui des établissements privés.
D. S. Vous voulez rétablir le service public hospitalier. Est-ce une réponse au malaise exprimé par les personnels ?
F. H. C’est une des réponses, parce qu’après dix ans de gouvernement de droite, je pense que les personnels n’en peuvent plus de la logique de l’hôpital entreprise et sont à bout. C’est aussi parce que, profondément, je crois en ces valeurs qui fondent le service public hospitalier et je veux les rétablir : la solidarité, l’égalité d’accès, la continuité et l’adaptabilité.
Mais cela ne suffira pas, c’est pourquoi je me suis engagé à négocier avec les organisations représentatives un nouveau pacte social pour le service public incluant des modalités de mise en œuvre d’un dialogue social profondément rénové pour l’hôpital public.
D. S. Comment lutter contre la spirale inflationniste de la T2A ?
F. H. Tout d’abord en limitant le champ de la T2A aux activités pour lesquelles ce mode de financement est adapté. Mais aussi, à court terme, en renforçant l’approche régionalisée, pilotée par les agences régionales, dans le cadre d’une contractualisation avec les établissements et d’un contrôle de leur activité. Enfin, à moyen terme, il faudra engager des travaux sur la pertinence des soins, pour être certains que les hôpitaux publics et les cliniques privées ne s’inscrivent pas dans cette spirale inflationniste mais effectuent les bons soins.
D. S. Faut-il rééquilibrer la gouvernance hospitalière en faveur des médecins ?
F. H. Nicolas Sarkozy, en clamant lourdement qu’il fallait un « patron » à l’hôpital et en modifiant les règles de gouvernance hospitalière, a fait preuve de brutalité à l’égard du corps médical et a déstabilisé les relations entre administration et médecins au sein des hôpitaux. Etre gestionnaire et médecin, ce sont deux rôles différents, et les directeurs d’hôpitaux font un métier exemplaire et difficile. On leur demande de faire beaucoup avec peu de moyens. Mais il faut remettre une logique médicale derrière les décisions stratégiques qui s’inscrivent dans une réalité économique. Le projet médical, c’est tout de même le cœur de la mission de l’hôpital.
D. S. L’industrie du médicament annonce une baisse de son CA en 2012. Est-il souhaitable, comme vous l’avez annoncé, de baisser le prix des médicaments ?
F. H. Nous ne pourrons pas lutter contre les déficits de l’assurance maladie sans être vigilants sur tous les postes de dépenses. Le médicament en est un très important, donc je souhaite faire baisser ces coûts.
L’industrie pharmaceutique française est un fleuron de notre économie, mais ce n’est pas en la subventionnant par une politique d’achat généreuse, qui de plus profiterait aussi à ses concurrents étrangers, que nous allons maintenir sa compétitivité. Plutôt que ces subventions déguisées sur des molécules dépassées, je préfère l’aider à investir davantage sur la recherche et l’innovation, et permettre ainsi à cette belle industrie de continuer à se positionner sur des produits d’avenir.
D. S. « Nous ne pouvons pas vivre avec les déficits structurels de l’assurance maladie », avez-vous déclaré. Comment faire ?
F. H. Comme je viens de le dire sur le médicament, en étant tout d’abord très rigoureux en matière de dépense. Une nouvelle organisation des soins, plus fluide, bâtie autour des parcours des patients, doit être pensée et mise en œuvre pour répondre aux défis des pathologies chroniques et du vieillissement. Je veillerai à ce que cette nouvelle organisation soit la plus efficiente possible et je sais que les professionnels de santé sont très conscients de cet enjeu.
Mais c’est aussi par la réforme fiscale qu’il conviendra d’agir, afin de faire mieux financer l’ensemble des dépenses d’assurance maladie, en ayant une assiette plus large incluant l’ensemble des revenus.
Exergues possibles :
« Les directeurs d’hôpitaux font un métier exemplaire »
« Il faut remettre une logique médicale derrière les décisions »
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