Par le Pr YVES GANDON*
ON CONNAÎT les principaux facteurs de risque de cancer colo-rectal (CCR) : âge, antécédents personnels ou familiaux (ascendants directs et fratrie) de CCR ou d'adénome avant 65 ans, pathologie inflammatoire intestinale chronique (MICI), alimentation riche en graisse et pauvre en fibres, tabac… On peut donc en premier lieu inciter la population à modifier ses habitudes alimentaires. Aux États-Unis, on estime que le risque de CCR pourrait être réduit d'un tiers si l'apport en fibres était augmenté de seulement une douzaine de grammes par jour. Mais le point majeur de la prévention est l'ablation préventive des « polypes » colo-rectaux. En effet, le CCR survient dans la plupart des cas sur une lésion préexistante, l'adénome. On considère que 7 % des personnes de 45 à 49 ans en sont porteurs, 16 % entre 50 et 59 ans et de 20 à 33 % entre 65 et 74 ans. La croissance de ces lésions est lente et la dégénérescence souvent tardive. Elle est présente dans 0,3 % des adénomes de moins de 1 cm de diamètre, 9 % des adénomes de 1 à 2 cm et 28 % des adénomes supérieurs à 2 cm. La durée moyenne de transformation d'un adénome en cancer serait de l'ordre d'une dizaine d'années. Cette transformation serait plus courte, de l'ordre de trois à quatre ans, pour les lésions planes, plus difficiles à détecter. La résection endoscopique des adénomes supprime le risque de dégénérescence. Cependant, une surveillance régulière reste dans ce cas nécessaire pour rechercher l'apparition de nouvelles lésions.
Le dépistage du CCR repose en France sur la stratification des risques en dissociant la population générale à risque moyen de la population à risque élevé qui présente des facteurs de risques significatifs et particulièrement des antécédents personnels ou familiaux de CCR ou d'adénome (de plus de 1 cm ou avec une composante villeuse). Isolément, la survenue dans une famille d'un CCR après 65 ans ne majore pas le risque des autres membres d'une famille.
Méthodes de dépistage.
L'Hemoccult permet de détecter les saignements occultes. Cette méthode est relativement simple, mais sa sensibilité est réduite car elle ne détecte que 50 % des cancers environ. Malgré cette limitation, l'utilisation régulière de ce test permet de réduire de 15 à 33 %, selon les études, le risque de décès lié au CCR. Mais, pour atteindre cet objectif, il faut répéter annuellement le test car, sinon, le risque de méconnaître un cancer devient trop élevé. En revanche, ce test est assez spécifique, avec une valeur prédictive de néoplasie d'environ 40 %, autrement dit si un Hemoccult est positif, le risque de CCR est de l'ordre de 10 % et celui d'adénome de 30 %. Le taux global de positivité d'un test est de 2 %, devant donc en théorie amener à la réalisation de 20 000 coloscopies si l'on teste 1 million d'individus. En réalité, il y a environ 20 % des patients qui, malgré un test positif, ne se font pas faire de coloscopie.
La vidéocoloscopie est réservée aux risques élevés ou, bien sûr, aux patients avec Hemoccult positif. Elle permet le diagnostic, la résection ou la biopsie des lésions. Elle est réalisée dans l'immense majorité des cas sous anesthésie générale au cours d'une courte hospitalisation. La préparation se fait plus souvent par absorption de polyéthylène glycol que par laxatifs. Elle est complète dans environ 5 % des cas. Elle peut manquer des lésions qui siègent dans un segment non exploré, mais qui peuvent aussi être masquées par un pli ou par des résidus en cas de préparation imparfaite. Les lésions planes peuvent être de diagnostic difficile et imposer l'utilisation de coloration de la muqueuse pour être démasquées. Le taux de perforation est de l'ordre de 0,3 %.
Le coloscanner avec coloscopie virtuelle est également réalisé après une préparation colique adaptée, plutôt axée sur des laxatifs, mais associant un marquage des selles par de la baryte diluée et un produit iodé hydrosoluble pris par voie orale la veille de l'examen. L'insufflation du côlon se fait de plus en plus par un insufflateur à CO2 qui affiche la quantité administrée et contrôle la pression, rendant insignifiants les risques de perforation puisque la pression d'insufflation est très inférieure à celle observée lors des contractions coliques.
Les coupes sont effectuées à très base dose (par exemple, 120 kV et 35 mAs chez un sujet de corpulence normale) en décubitus dorsal, puis procubitus pour mobiliser les résidus liquides et solides. L'analyse des images se fait souvent d'abord en 2D pour rechercher les lésions coliques supracentimétriques et les lésions extracoliques, puis avec une vue 3D pour les petites lésions. Une fonction de cleansing, effaçant les résidus de produit de contraste et surtout un « CAD » aidant la détection des petites lésions sont très utiles pour réduire le temps d'analyse. Cette dernière varie entre 5 minutes pour un côlon bien préparé et complètement distendu sans lésion repérée à 30 minutes, voire plus dans un côlon mal distendu, mal préparé ou lorsque de nombreuses lésions doivent être documentées. La performance de cette technique est très dépendante de l'expérience de l'opérateur.
Il est recommandé d'avoir suivi une formation avec lecture de cas en atelier, puis d'avoir lu au moins 50 examens avant de se lancer dans la pratique de cet examen. Une évaluation régulière de la performance des radiologues impliqués dans de futurs programmes de dépistage devra certainement être organisée. Les opérateurs très entraînés ont une performance égale, voire supérieure, à celle de la coloscopie pour des lésions de 10 mm ou plus. Elle devient équivalente pour des lésions entre 8 et 10 mm et inférieure en dessous. La détection de lésions planes sera certainement facilitée par un traitement d'image permettant de tenir compte de l'épaisseur de la paroi dans la visualisation 3D.
Politique de dépistage pour les risques moyens.
Une campagne de sensibilisation de la population au dépistage du CCR par Hemoccult est en cours, avec une répétition du test tous les deux ans. Le taux de participation est inférieur à 50 % dans la plupart des départements. Le taux de patients réalisant réellement un contrôle tous les deux ans est encore inférieur ; or c'est ce chiffre qui est le plus intéressant car faire un seul test n'améliore que faiblement la mortalité liée au CCR, alors que l'on peut aboutir à 30 % de réduction par des tests répétés correctement.
La faible sensibilité de l'Hemoccult n'est pas satisfaisante et il faudra donc trouver dans le futur une méthode plus sensible pour la détection du CCR, mais surtout également pour celle des adénomes si l'on veut ajouter un rôle préventif à cette campagne de dépistage.
Il est vrai que le coloscanner pourrait être un bon candidat dans ce contexte car, dans la littérature, son taux de détection des cancers est de pratiquement 100 % et celui des adénomes significatifs proche de 90 %. Les risques sont réduits si l'on utilise une faible dose de rayons X et une insufflation au CO2 avec un contrôle permanent de la pression. Mais plusieurs limites font que cette attitude n'est pas encore à l'ordre du jour. Économiquement, ce n'est pas si impossible. En effet, si l'on compare globalement deux attitudes, l'une axée sur la réalisation systématique d'un scanner tous les cinq à dix ans, selon le niveau de risque suivi d'une coloscopie, uniquement en cas de découverte d'une lésion de plus de 10 mm versus l'attitude actuelle fondée sur la coloscopie première pour les sujets à risque et un Hemoccult biannuel pour les autres, on doit certainement obtenir une performance nettement supérieure avec le scanner pour un coût similaire. Mais d'autres considérations doivent être prises en compte comme les risques induits (irradiation, perforations…), les conséquences positives ou négatives de la détection de lésions extracoliques ou encore la prise d'un arrêt de travail d'une journée pour passer l'examen.
En fait, le problème majeur est qu'un dépistage de masse, par exemple la réalisation de 3 scanners entre 50 et 75 ans, représenterait 1,5 million d'examens par an, soit plusieurs centaines de machines dédiées et l'on ne parle pas du nombre de radiologues qui serait nécessaire, à une période ou la démographie médicale et particulièrement celle des radiologues est inquiétante. Bien sûr, des centres spécialisés avec une prélecture par un technicien entraîné aidé par une détection automatisée par CAD pourraient limiter les besoins d'encadrement médical, mais pas les supprimer. Avant tout, il faudra quantifier l'influence d'une telle politique sur la mortalité liée au CCR et, ainsi, préciser le coût d'une année de vie gagnée. Pour toutes ces raisons, il est donc peu probable qu'une politique de masse qui s'appuie sur un coloscanner systématique voit le jour à courte échéance.
Politique de dépistage pour les risques élevés.
Pour les patients à risque élevé, le problème est différent car la population est plus limitée. Il est alors logique de détecter non seulement les cancers, mais aussi les lésions préexistantes et les traiter. Jusqu'à présent, cela reposait uniquement sur la réalisation d'une coloscopie optique, soit environ 500 000 coloscopies par an pour cette indication (40 % de l'ensemble des coloscopies réalisées). En cas d'examen incomplet ou de contre-indications (essentiellement liées à l'anesthésie), il est recommandé de recourir au coloscanner avec coloscopie virtuelle. Depuis peu, ce dernier vient perturber ce contexte car ses performances, en des mains entraînées, s'approchent de celle de la coloscopie optique, soit 90 % de détection des lésions de 8 mm ou plus, mais avec un coût moindre et un risque réduit. Il faut évidemment ensuite programmer une coloscopie pour résection en cas de lésion de 8 mm ou plus, mais les études ont montré que cela pouvait réduire de 90 % les indications de la coloscopie.
La question majeure qui reste à régler est l'acceptabilité des patients. En effet, malgré les recommandations, une minorité de patients à risque élevé a réellement une coloscopie.Les patients ne sont pas sensibilisés ou n'acceptent pas de passer une coloscopie sous anesthésie générale. Ces derniers patients sont bien sûr attirés par le coloscanner avec coloscopie virtuelle quand cette alternative leur ait proposée, mais on ne sait pas aujourd'hui quelle proportion de patients à risque élevé accepterait une des deux méthodes si elles étaient proposées de façon identique. Malheureusement, aujourd'hui, ce type d'indication du scanner avec coloscopie virtuelle, pourtant totalement justifié médicalement et économiquement, n'est pas toujours accepté par les caisses.
La Haute Autorité de santé (HAS) a été alertée par les sociétés savantes de gastro-entérologie et d'imagerie médicale. De façon exceptionnelle, face à l'urgence de la situation, elle a accepté de modifier son planning pour y intégrer rapidement la réévaluation de la coloscopie virtuelle et définir son nouveau positionnement. Les conclusions devraient apparaître courant 2009.
* Hôpital Pontchaillou, Rennes.
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